L’interview de la semaine – Impôts : 5 questions à Olivier Bertaux, expert fiscaliste

Avec la floraison des marronniers, revient le temps des impôts… Le Méridional pose cinq questions à Olivier Bertaux, expert et fiscaliste pour l’association Contribuables Associés.

Le Méridional : Olivier Bertaux, François Hollande avait déclaré en 2018 qu’Emmanuel Macron était le « président des très riches ». Quelle est sa politique en termes d’impôts ? A-t-elle évolué ?

Olivier Bertaux : Cette déclaration s’explique par le fait qu’Emmanuel Macron a supprimé l’ISF sur le patrimoine financier et plafonné l’impôt sur le revenu du capital financier à 30 % alors que le revenu du travail peut rester taxé à plus de 50 %.

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Durant son premier quinquennat, Emmanuel Macron a en pratique pris plusieurs mesures fiscales importantes, comme l’augmentation de la CSG, le remplacement de l’ISF par l’IFI, l’instauration du PFU sur les revenus de capitaux mobiliers ou, plus récemment, la suppression progressive de la taxe d’habitation sur la résidence principale.

En ce qui concerne l’imposition du patrimoine des particuliers, Emmanuel Macron a toujours voulu favoriser le patrimoine mobilier au détriment du patrimoine immobilier. Ce qui explique qu’il a plafonné à 30 % l’imposition des dividendes et intérêts alors que celle des revenus fonciers peut toujours dépasser 60 %. De même, seul l’immobilier est désormais soumis à l’impôt sur la fortune. Enfin, on peut remarquer que si la taxe d’habitation sur la résidence principale disparaît, les autres impôts locaux explosent, comme les taxes foncières ou la taxe d’habitation sur les résidences secondaires.

e. macron a toujours voulu favoriser le patrimoine mobiliser au détriment du patrimoine immobilier

Cela dit, il a aussi voulu augmenter la fiscalité par le biais de la taxe carbone mais a dû y renoncer devant la fronde des gilets jaunes.

Aujourd’hui, Emmanuel Macron promet peu en matière d’impôt, même s’il faut quand même noter une volonté de diminuer les impôts de production des entreprises et l’annonce ces jours-ci de la suppression dès cette année de la redevance audiovisuelle. Il est vrai que la dépense publique atteint de tels sommets qu’on voit mal comment il pourrait financer aujourd’hui une baisse des impôts. Une dette de l’Etat qui augmente, c’est logiquement des impôts, prélèvements ou ponctions à venir.

L.M : Marine Le Pen voulait réinstaurer l’Impôt sur la fortune. Emmanuel Macron revendique les bienfaits de sa suppression, puisque selon lui, cet impôt faisait fuir les riches hors de France. Que pensez-vous ?

O.B : La suppression de l’ISF est évidemment une bonne chose et effectivement cet impôt faisait fuir certains patrimoines à la recherche de cieux fiscaux plus cléments. Cela dit, maintenir un impôt sur le patrimoine pour les seuls biens immobiliers atténue fortement les bienfaits de la mesure. Comme si un patrimoine financier était plus vertueux qu’un patrimoine immobilier. Le motif avancé serait que la pierre ne produit pas de richesses comme des actions ou tout autre produit financier. Or, l’immobilier sert aussi à se loger ou à produire et une bonne partie de l’activité économique d’un pays tourne autour de sa richesse foncière, qu’elle soit bâtie ou non bâtie. Il s’agit juste de profiter du fait qu’un immeuble ne peut franchir les frontières et révèle aussi un certain mépris pour tout patrimoine enraciné.

E. Macron promet peu en matière d’impôt

L.M : Quelles sont les spécificités des impôts français par rapport à ceux de nos voisins européens ?

O.B : Difficile à dire. Les impôts du monde entier deviennent complexes et ce n’est donc pas une particularité française. L’impôt français se caractérise peut-être par sa vocation redistributive, pour ne pas dire idéologique. Il ne sert pas uniquement à financer l’Etat et les autres collectivités publiques, il est aussi là pour participer à un partage des richesses, voire sanctionner la richesse et en tous cas influer sur le comportement des contribuables. La fiscalité environnementale en est l’exemple le plus flagrant.

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Si on doit parler de spécificité française, ce sera en tous cas en termes de prélèvements obligatoires. Ceux-ci regroupent tout ce qui est impôt, taxe et cotisations sociales et font de la France un des pays où le taux des prélèvements obligatoires est le plus fort en dépassant les 46 %. Au point, d’ailleurs, qu’il est de plus en plus difficile de différencier ce qui relève de l’impôt et ce qui relève des cotisations sociales, l’Etat voulant s’occuper de tout. C’est sans doute à rapprocher de notre modèle social devenu trop lourd, occasionnant un niveau de dépenses obligatoires tel qu’il ne permet plus de distinguer le prélèvement fiscal et le prélèvement social.

l’etat veut s’occuper de tout

L.M : Pouvez-vous nous citer quelques absurdités fiscales ?

O.B : La frontière entre absurdité et complexité est parfois ténue. Mais certains exemples anecdotiques viennent toutefois rapidement à l’esprit. Ainsi, le taux de TVA sur les produits alimentaires est de 5,5 % sauf pour le caviar qui est de 20 % sous prétexte qu’il s’agit d’un produit de luxe. Mais alors pourquoi reste-t-il à 5,5 % pour le foie gras, la truffe ou les huîtres ? On ne peut même pas parler de patriotisme fiscal puisqu’il existe maintenant du caviar français. En matière de droits de succession, on peut déplorer que l’abattement de 100 000 € concerne toutes les transmissions vers un ascendant alors que vers un descendant, seul l’enfant en profite. En cas de la transmission d’un grand parent vers un petit enfant, celui-ci ne bénéficie que d’un abattement de 1 594 €.

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On pourrait aussi parler de l’absurdité de notre système de taxes foncières. Plus une collectivité locale héberge d’entreprises, plus elle est riche et moins elle a besoin de taxer les ménages alors que ceux-ci profitent du dynamisme local en termes d’emploi et de revenu. A l’inverse, plus une collectivité locale est pauvre en entreprises et plus elle doit taxer les ménages pour faire face à son budget alors que ce sont précisément ces ménages qui souffrent du chômage et des bas revenus.

L.M : Y’a-t-il, selon les profils, certaines « stratégies » pour payer moins d’impôts ? Comment les Français pourraient-ils payer moins d’impôts ?

O.B : Ces stratégies sont nombreuses mais ont souvent le défaut de ne profiter qu’aux plus aisés, les classes moyennent gagnant trop pour ne pas payer d’impôt mais pas assez pour s’offrir un conseil fiscal ou investir dans des montages de défiscalisation. En matière d’impôt sur le revenu, il est difficile d’expliquer en quelques lignes ces stratégies. Elles peuvent consister dans la création d’un déficit à imputer sur les revenus, à lisser ses revenus pour éviter les hautes tranches d’imposition ou encore à chercher à capitaliser plutôt qu’à percevoir immédiatement un revenu.

toute donation n’a plus à être rappelée fiscalement au bout de 15 ans

Certains cherchent aussi la niche fiscale, mais attention : il ne faut pas que le gain fiscal cache le risque de perte financière ou le montant des frais exposés. En matière de transmission, disons que la meilleure des stratégies consiste à la commencer le plus tôt possible, sachant par exemple que toute donation n’a plus à être rappelée fiscalement au bout de 15 ans. Tous les 15 ans, on profite donc des abattements et basses tranches. De même, quand on donne la nue-propriété d’un bien, celle-ci vaudra d’autant moins que le donateur est jeune. On pourrait ajouter l’assurance vie qui est exonérée de droits de succession si les primes ont  été versées avant 70 ans. Quant à la transmission d’entreprise, elle sera d’autant plus douce fiscalement qu’elle aura été préparée sur le long terme.

Propos recueillis par Raphaëlle PAOLI