L’édito de José D’Arrigo – Zemmour : l’éveilleur de consciences

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C’est l’histoire d’une symphonie inachevée. D’un rendez-vous manqué. La destinée funeste d’un aigle napoléonien abattu en plein vol par un sniper imprévisible : la guerre. Que retenir de la saga présidentielle d’Eric Zemmour, cet homme courageux, loyal, sincère dont l’éloquence parvenait à convaincre les éléments épars d’une droite en miettes. Qu’est devenu le petit juif berbère venu d’Algérie qui rêvait de restaurer la grandeur de la France ?

Petit flash-back. Septembre-octobre 2021. Les meetings de Zemmour et ses discours partout en France soulèvent des torrents d’enthousiasme. Voilà enfin un homme qui dit le réel sans fioritures. Pour lui, un terroriste islamiste n’est pas un gentil cinglé. C’est un assassin. Il fonce dans le tas. A Ajaccio, au Mont Saint-Michel, à Saulieu, à Villepinte, au Trocadéro. Marine Le Pen, ramant sur des flots contraires, continue sa campagne Tupperware. Elle profite en douce du bruit et de la fureur qui entoure le nouveau Zorro de la droite française. Elle se réfugie dans une sorte de ringardise avenante. Elle en serait presque devenue sympathique à une meute de journalistes de gauche, tous macronistes avérés, qui l’étrilleront quelques semaines plus tard, dès l’annonce des résultats du premier tour.

Le 23 février au soir, Eric Zemmour, harassé par son périple électoral, se couche fourbu mais heureux : un institut de sondage vient de le donner à 16,5 % derrière Macron mais devant Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Il exulte. L’ex-journaliste de renom rêve d’un débat d’entre-deux-tours avec Emmanuel Macron. Il est vrai que sa présence éventuelle au second tour laisserait présager un sacré mano a mano avec le président sortant. Il se voit déjà le pousser dans ses retranchements sur les thèmes majeurs de la survie de la France en tant que nation indépendante, l’identité, l’immigration invasive, l’islamisation galopante, la démographie, les atteintes à la liberté, les délires sociétaux de la gauche, le terrorisme. Pour le président en exercice, seule compte l’hégémonie de l’Europe et son omnipotence stratégique. Le reste, tout le reste, il n’en a cure.

Le rêve de Zemmour est de courte durée. Le 24 février à l’aube, il se frotte les yeux devant sa télé : les troupes russes envahissent l’Ukraine. C’est la guerre. Et cette guerre, au cœur de l’Europe, personne ne l’a vue venir. Tous les efforts de l’aigle berbère sont réduits à néant d’un seul coup. L’enchaînement est inéluctable.

Une partie des électeurs de « Reconquête » sont des légitimistes qui se rangent aussitôt derrière Emmanuel Macron parce que c’est le chef des armées. Une autre partie, non négligeable, environ 30 % des électeurs frontistes qui avaient été séduits par le discours résolument national de Zemmour, décident de regagner leur camp d’origine et de voter pour Marine Le Pen. La campagne électorale de France s’arrête net et cède la place à la campagne belliciste d’Ukraine. Telle est la conséquence inattendue de « l’effet drapeau ».

Le choix du vote utile devient un impératif général. Les frontistes ont bien senti souffler le vent fétide de l’extrême gauche mélenchoniste et ils ont décidé de prévenir la catastrophe que constituerait un duel de second tour Macron-Mélenchon. Dès lors, le fameux pic de votes zemmouristes à 16,5 % va fondre comme neige au soleil et se réduire au fil des jours comme peau de chagrin.

Zemmour n’est pas la seule victime du vote utile. Les électeurs des Républicains ont pour la plupart déserté leur camp et se sont portés d’emblée sur Macron, qu’ils auraient de toutes façons choisi au second tour. Les électeurs écologistes de Jadot et les socialo-dingos d’Hidalgo ont, eux aussi, étoffé le score de l’extrême gauche et permis aux islamo-gauchistes de dépasser les 20 % de votes exprimés, ce qui ne correspond en aucun cas à l’étiage personnel de Jean-Luc Mélenchon évalué à 10 ou 11 % des suffrages.

Bref, cette élection ressemble à un jeu de dupes. Les vraies angoisses qui taraudent 60 % des Français ont été poussées sous le tapis avec le calumet macronien de la paix. Mais cette bifurcation de la campagne au profit de la scène internationale ne doit pas occulter les erreurs de Zemmour. Son refus d’accueillir les réfugiés ukrainiens en France a un effet dévastateur sur sa popularité, y compris dans son propre camp.  C’est la douche froide. Il a beau expliquer sa position par un souci de cohérence avec son hostilité à l’entrée en France de faux réfugiés, c’est à dire de vrais immigrés économiques africains, sa réticence ne passe pas. Qu’il puisse réserver un sort identique à des quêteurs d’avantages sociaux et à des familles qui fuient les théâtres d’opérations en Ukraine suscite une désapprobation générale dans une société imprégnée de sentimentalisme.

La seconde erreur majeure qu’il a commise est stratégique. Sans doute s’est-il laissé griser par les scores à deux chiffres que lui promettaient les machiavéliques sondeurs d’opinion. Et il en a totalement oublié sa promesse de septembre face aux journalistes qui l’interrogeaient avec gourmandise sur sa position à l’égard de Marine Le Pen : « Vous ne m’entendrez jamais dire un mot plus haut que l’autre sur Marine Le Pen, avait-il répondu. Elle fait partie du camp national et je respecte ses électeurs ».

Les journalistes espéraient un clash. Juste un mot de travers pour le pilonner tous les quarts d’heure sur France-Intox. Déception. Ils parviendront à attiser la division du camp national quelques mois plus tard. Car Zemmour, emballé par sa verve et son score présumé, n’a cessé ensuite d’éreinter sa concurrente comme s’il était sûr de lui damer le pion alors que c’est l’inverse qui s’est produit. Et son estocade, le soir du 24 avril à 21 heures, avec cette saillie malveillante (« Hélas, trois fois hélas, c’est la huitième fois que la défaite frappe le nom de Le Pen »), n’a guère été du goût des Lepénistes.

La dilection de la provocation de Zemmour a contrarié à cet instant l’intérêt politique de « Reconquête » puisqu’il a appelé quelques secondes plus tard à voter pour Marine Le Pen au second tour, « sans la moindre condition ». Le pari de Zemmour de convaincre à la fois les classes populaires et la bourgeoisie patriote issue du fillonisme est un échec. L’écrivain talentueux l’apprend à ses dépens : nul n’est prophète en son pays.

Au fond, la vraie question n’est pas de savoir si Zemmour s’est embronché dans les mailles du système en place qu’il croyait pouvoir dézinguer. Elle est plutôt de savoir s’il n’aurait pas eu intérêt à poursuivre son combat culturel « d’éveilleur de consciences » qui l’a porté aux nues sur CNews. A la rentrée, il publiera un livre fort instructif sur les coulisses de cette campagne présidentielle interrompue prématurément. Succès garanti. Mais sur le plan politique, il devra, semble-t-il, boire le calice jusqu’à la lie. Son parti, faute d’alliances, risque en effet de connaître un nouvel échec aux législatives compte tenu de l’obligation de réunir sur son nom au moins 12,5 % des électeurs inscrits au premier tour pour avoir le droit de se maintenir au second tour. Comme on peut prévoir une abstention d’environ 50 % des électeurs à ces législatives, les candidats devront récolter au minimum 25 % des suffrages et ils ne seront pas nombreux à pouvoir le faire dans le camp national…

Cette perspective de débâcle électorale – et pour le RN et pour Reconquête – aurait dû inciter Marine Le Pen à oublier les algarades de la campagne et à saisir la main tendue par Zemmour, soucieux de signer avec elle un pacte de non-agression synonyme d’une petite ribambelle potentielle d’élus pour le camp national. Eh bien non. Marine Le Pen préfère privilégier sa boutique, au risque de se faire incendier. Ceux qui croient qu’elle ignore délibérément ses convictions et se venge des frustrations accumulées durant la campagne électorale se trompent lourdement.

Le parti de Marine Le Pen est en effet très endetté et elle doit d’abord songer à rembourser un emprunt important à une banque russe. Elle pense d’abord à la survie de son parti. Pour la survie de la France, on verra plus tard. En outre, il ne faut pas minimiser, dans sa décision de repli partisan, l’importance du financement public des partis. Or, sachez-le, chaque voix recueillie par un parti, quel qu’il soit, au premier tour des législatives rapporte 1,64 euro au parti pendant cinq ans, à la seule condition qu’il respecte la parité et qu’il obtienne au moins 1% des suffrages dans 50 circonscriptions différentes.

C’est ainsi que depuis 2017 La République en Marche touche environ dix millions d’euros par an, le RN 5 millions, LFI 4 millions, le PS 2 millions, et… 67 186 euros pour le parti animalier. Le financement est également lié au nombre d’élus (députés et sénateurs) puisque chaque parlementaire va rapporter la somme de 37 500 euros à son parti durant cinq ans. LREM touche par exemple environ 11 millions d’euros grâce à ses 267 députés contre seulement 300 000 euros pour le RN avec son maigre bagage de huit députés.

On comprend mieux ainsi pourquoi les partis politiques préfèrent jouer la partie en solo afin de gagner un maximum d’argent public qui fera prospérer leur boutique…

Si les Français voulaient gommer les abus de ce scrutin majoritaire, ils plaideraient pour l’instauration d’un scrutin proportionnel intégral où le nombre de sièges à pourvoir est partagé en fonction du nombre de voix recueillies par chaque parti. C’est le principe même de l’équité politique.

Mais le président en exercice pourrait-il réellement gouverner avec une Assemblée nationale morcelée en trois parties égales et qui se chamaillerait à n’en plus finir sur chaque texte de loi ? Ce serait un blocage assuré des institutions et une suite de crises de régime identique à celles qui ont émaillé l’histoire de la quatrième république.

Il n’en reste pas moins vrai que le scandale majeur qui va résulter des élections législatives de juin, c’est qu’elles risquent d’accorder, de nouveau, tous les pouvoirs exécutifs et législatifs à un président et à sa bande de godillots dont les idées sont largement minoritaires dans le pays. Le second scandale, c’est que l’union du camp national qu’on pourrait baptiser « NUPPA » (Nouvelle Union Populaire et Patriote), histoire de contrer le NUPES de Mélenchon, permettrait à ses candidats d’être présents au second tour dans 387 circonscriptions et d’espérer remporter une centaine de sièges potentiels au lieu… d’une dizaine au total.

Marine Le Pen, sans vouloir la blâmer compte tenu de ses impératifs financiers, préfère tuer « Reconquête » en présentant partout des candidats RN contre ceux de Zemmour. C’est la tactique de la terre brûlée. Elle sera toujours présente sur la scène publique, mais mezza voce, conformément au pacte secret qu’elle a passé avec Macron.

A la décharge d’Eric Zemmour, il faut tout de même reconnaître qu’il n’a pas été seulement victime des bombardements intensifs de l’armée russe. Il a fait l’objet d’un bombardement médiatique incessant en France. A et égard, le scandale des médias contaminés par la gauche en France est devenu patent. Honnêtement, je n’ai jamais vu un candidat – hormis Jean-Marie Le Pen – se faire autant matraquer à longueur d’antennes. Une vraie entreprise de démolition systématique, orchestrée par l’Elysée. Zemmour a été insulté, diffamé (France Bleu l’a même taxé d’antisémitisme, ce qui est un comble pour un homme qui va à la synagogue tous les samedis), il a été diabolisé, satanisé, ostracisé, voué aux gémonies au point de devenir à Marseille et ailleurs la cible favorite des antifas et des gauchistes. Est-ce vraiment cela l’objectivité promise aux candidats ?

Est-il donc interdit en France de parler de la survie de la nation et de vouloir que la France reste la France ?  Oui, c’est interdit. Tous les sujets touchant à l’immigration ou à l’islamisation sont-ils devenus tabous ? Oui, ils le sont devenus. Et les coupables sont criminalisés aussitôt par les gardes chiourmes de la pensée dominante et des diktats socialistes. Ces divers interdits à la liberté d’expression annoncent hélas, trois fois hélas, un avenir inquiétant. Un avenir qui laisse présager un affrontement entre l’extrême gauche de Mélenchon, celle de la France zadiste, créolisée et islamisée, et la France nationale de Zemmour et Le Pen, la France anti-racaille.

Zemmour ne se fait aucune illusion. Son grand mérite aura été de dire enfin le réel sans ambages sur le grand remplacement et le grand déclassement. Mais ce qui attend le monde politique à présent, c’est le grand dégagement. Au LR, Valérie Pécresse ira se réfugier dans son bastion de l’Ile-de-France tandis que les partisans d’Eric Ciotti reprendront la main autour de Retailleau et Wauquiez, Zemmour poursuivra son  œuvre salutaire de briseur de tabous, Marine Le Pen, probablement réélue dans le Nord sera peu à peu poussée sur la touche par Jordan Bardella, Mélenchon et ses escouades gauchistes feront un maximum de tapage au palais Bourbon, en vain, et pendant ce temps-là, entre deux défilés de protestation de la CGT, Emmanuel Macron pourra continuer sous l’œil vigilant des Américains et de la Commission européenne à défaire la France maille après maille, tranquillement, jusqu’à ce que mort s’ensuive…

José D’ARRIGO, rédacteur en chef du Méridional