Sidération, stérilisation, socialisation : tel est le triptyque d’enfumage en trois « S » de la macronisation.
La « sidération » prend sa source dans un harcèlement médiatique et politique qui consiste à frapper l’opinion de stupeur pour anéantir ses forces vitales et l’amener à se soumettre à la doxa dominante sans combattre et sans récriminer. La tactique n’est pas nouvelle : on se souvient des diverses étapes de « l’enfillonnage » de 2017 avec un déroulement parfait de la dramaturgie.
D’abord un article du « Canard Enchaîné », toujours idéalement placé dans les combats contre la Droite. Puis une série de révélations sur le faux emploi d’attachée parlementaire de Pénélope Fillon, soigneusement séquencées sur « Médiapart » et les chaînes d’information continue pour donner corps au scandale, puis de nouvelles révélations sensationnelles sur les costumes très onéreux offerts au candidat. C’est alors l’emballement médiatique et la saisine dans la foulée du parquet financier qui va, lui aussi, distiller ses confidences aux journalistes pour mieux discréditer et tailler en pièces le candidat républicain, désormais considéré comme un pelé et un galeux. A la télé et dans « Libération », on évoque les « vices nauséabonds de la Droite ». Bref, c’est la curée. François Fillon ne peut plus respirer, il est cerné, ligoté, groggy. Ko debout. Abattu et battu (de justesse, malgré le tintamarre).
Pour masquer leur bilan désastreux, M. Macron et les socialistes influents qui l’entourent rééditent une opération machiavélique du même ordre avec une double offensive qui n’a rien de judiciaire cette fois : ils stupéfient l’opinion en médiatisant à outrance la guerre entre la Russie et l’Ukraine pour bien faire comprendre aux Français qu’ils auraient tort de se plaindre et qu’ils ne sont pas si mal lotis que ça. Ils font discrètement passer M. Macron pour un chef de guerre, le « père de la nation » alors qu’il n’est le fils de personne.
Cet appel à l’unité nationale, même s’il n’est pas formulé, est évidemment suivi par une majorité de Français qui compatissent, horrifiés, au malheur des peuples ukrainien et russe et font tout ce qu’ils peuvent pour accueillir dignement en France les milliers de réfugiés ukrainiens qui fuient le théâtre des opérations. Ceux qui s’écartent de cette ligne directrice sont considérés comme des brebis galeuses qu’il faut ramener au bercail à la faveur d’une propagande effrénée.
E. Macron se contentera du conglomérat des « barragistes »
Pour mieux dissuader les plus belliqueux des opposants au macronisme guerrier, le président sortant dégaine alors une autre arme sournoise, omniprésente, quasi-quotidienne : le pilonnage sondagier. Zemmour le dynamiteur, Marine la cajoleuse, Mélenchon le zozoteur des épinettes, Valérie Pécresse, l’amazone sans monture, Roussel le viandard, Hidalgo la démago, Jadot le nul en géo, ne pourront rien contre cette manipulation en forme de marteau-piqueur. Il s’agit de commander à des amis d’amis des sondages d’opinion destinés à influencer mine de rien le jugement des citoyens et à les démotiver en présentant le président sortant comme un candidat imbattable qui caracole en tête de toutes les enquêtes.
Tel est le cas depuis plusieurs mois déjà avec un résultat lancinant : numéro un Macron, numéro un Macron, numéro un Macron, avec des scores oscillant de 25 à 30 % des suffrages au premier tour, suivi d’une cohorte de gueux qui semblent à la peine loin derrière le Jupiter de l’Elysée. Evidemment, cette photo de l’opinion, maintes fois répétée, finit par devenir une vérité d’évidence, tant et si bien que la plupart des Français de bonne foi sont persuadés, en cette fin de campagne, que l’élection présidentielle du 10 avril ne sera qu’une formalité pour Emmanuel Macron.
Ils oublient la surprise de 1965 lorsque le général De Gaulle a été contraint à un ballottage imprévu par François Mitterrand. Ils oublient aussi la certitude absolue des sondeurs et de la presse qui présentaient en 1995 Edouard Balladur comme le futur président de la République alors que c’est finalement Jacques Chirac qui contre toute attente a été élu. Ils oublient enfin l’importance du « vote caché », celui des trente pour cent habituels d’abstentionnistes qui pourraient se rendre aux urnes et faire pencher la balance. En faveur de qui ? Mystère et boule de gomme.
la stérilisation du débat
L’équation présidentielle comporte donc des inconnues qui incite la Macronie à passer à la seconde phase de l’offensive : la stérilisation du débat. M. Macron a longuement mené campagne dans toute la France – aux frais de la République – sans être candidat et le voilà candidat sans mener campagne ! La bataille du Covid (139 000 morts en France) et la guerre en Ukraine le dispensent de descendre de son Olympe. Pourquoi ce Narcisse follement amoureux de lui-même et qui se mire en permanence dans le reflet de son auguste image irait-il se mêler aux bouseux qui s’écharpent dans des débats et prétendent lui succéder ? Pourquoi se livrer à l’exercice contraignant des confrontations d’idées lorsqu’on peut fort bien s’en passer et organiser, comme à Poissy, pays ami, des réunions « tupperware » avec une poignée de militants d’En Marche qui lui posent servilement les questions qu’il a lui-même écrites ?
Il est vrai qu’on n’est jamais si bien servi que par soi-même, n’est-ce pas ? Si le président sortant a décidé d’enjamber ainsi l’épreuve des présidentielles, c’est qu’il a conscience de ne pas être en phase avec une majorité du corps électoral, soit environ 45 % des électeurs conservateurs du premier tour. Ceux-là , il ne peut pas les voir en peinture. Ce sont pour lui des « franchouillards » qui ne comprennent rien à la vie. Des attardés mentaux, des arriérés, des abrutis. Leurs principaux sujets de préoccupation à ces écervelés ? L’immigration massive, l’insécurité, les enclaves étrangères, le trafic de stupéfiants, le salafisme, le grand remplacement, le grand déclassement, le fanatisme islamiste, l’éradication de la racaille, lui, il s’en moque. Il n’en a même pas fait mention dans sa lettre aux Français !
Ce qui le motive, lui, Jupiter, c’est « de bâtir la France de nos enfants, pas de ressasser la France de notre enfance ». Autrement dit, M. Macron veut poursuivre son œuvre de destruction de la nation en transformant la France en vague « territoire mondialisé » de la planète, ouvert à tous les vents et à tous les gens, d’où qu’ils viennent, formant une sorte de « société des individus » ayant tous les droits du citoyen français. A cet égard, Macron c’est l’anti-Zemmour, l’anti-Pécresse et l’anti-Marine Le Pen qui, eux, sont en phase avec les angoisses identitaires des Français. La France de Macron sera africanisée, islamisée et créolisée et la droite, dans son ensemble, ne veut pas entendre parler de cette solderie à grande échelle.
Pour être réélu, M. Macron se contentera donc du conglomérat des « barragistes », c’est-à -dire de tous les électeurs de gauche et de droite qui ne veulent ni de Mélenchon, ni de Zemmour, ni de Le Pen, ni de Pécresse, et qui lui permettront de se succéder tranquillement à lui-même. Ce sera le triomphe d’un ectoplasme imbu de lui-même, mais aussi d’un tacticien machiavélique qui pourra se targuer d’être le chef des « barragistes », ces électeurs désorientés qui, à leur cœur défendant, vont déposer à son nom un bulletin dans l’urne alors qu’ils le détestent cordialement !
la stratégie de la glaciation aura de nouveau porté ses fruits amers
C’est ainsi que la non-campagne de France aboutira à un non-président d’une non-France. La stratégie de la glaciation aura de nouveau porté ses fruits amers. Naturellement, cette élection en trompe l’œil posera la question de la légitimité du président. On en glosera sur les plateaux durant quelques semaines en omettant de se focaliser sur la dette abyssale de la France, sur sa gabegie financière, ses libéralités à l’égard des étrangers, ses fractures sociales et ethniques, et la perspective catastrophique d’une libanisation. Bref, l’accumulation des frustrations écologiques, nationales et sociales fera rapidement sentir ses effets dans la rue. Et ce sera le surgissement de la troisième étape, celle concernant le troisième tour des élections. La revanche de la rue. Des défilés monstres de protestations. La paix civile sera menacée. Puis tout rentrera dans l’ordre…Les ectoplasmes triompheront des cocus. Comme d’habitude.
Cette élection, ou plutôt cette non-élection, consacrera probablement la fin des grands partis de gouvernement qui ont dirigé le pays au cours de ces dernières décennies et l’ont conduit à la dislocation, à la ruine, voire à la sécession. Le parti socialiste et une partie des Républicains pourront se côtoyer au cimetière du Père Lachaise en remâchant les erreurs du passé. Encore que le PS n’est jamais vraiment mort. Je me souviens dans les années 90 des socialistes moribonds, au comble de l’impopularité : ils avaient supprimé de leurs affiches le poing et la rose mais ils les ont ressortis de la naphtaline quelques années plus tard, toute honte bue…
Les Français sont hantés par leurs fins de mois et par la perspective de la fin de la France. Mais c’est le « consensus du refus » qui dicte sa norme et écarte systématiquement ceux qu’elle identifie et désigne comme des extrémistes, ou des fascistes, ou des nazis, pour mieux les diaboliser et les rendre infréquentables. Plus les extrêmes prospèrent, plus le centre gauche se croit autorisé à présenter ses choix comme non négociables, ce qui nourrit d’immenses frustrations au sein du peuple de France.
Nous voilà rendus au troisième et dernier stade de la manipulation : celui de l’anesthésie. Le président recherche le renouvellement « d’un bail par tacite reconduction », comme le dit joliment Jordan Bardella, et il nous propose d’interminables bavardages sous la forme dite « démocratique » de longs monologues sans queue ni tête, de « conventions citoyennes » ou « Etats généraux » qui ne sont que les cache-sexes d’une imposture majeure. Le président caméléon, déployant ses réels talents d’acteur et de comédien, va picorer des idées de la concurrence ici et là pour illustrer sa magnanimité et nous inviter à son vide-greniers idéologique.
L’ennui avec un tel prestidigitateur, c’est qu’on finit toujours par découvrir les ressorts de ses tours de magie. Alors un jour, l’émerveillement ne marche plus, le vase s’ébrèche et le pire est à craindre pour l’ensorceleur de service…
José D’ARRIGO, rédacteur en chef du Méridional