Depuis trois mois environ, un hashtag venu d’Iran circule sur les réseaux sociaux : « #LetUsTalk ». Il a été créé par des Iraniennes pour lutter contre le port obligatoire du hijab. Elles estiment que leur combat est réduit au silence par le féminisme occidental.
« Pour les Occidentaux, le hijab est un symbole de liberté et de diversité mais pour nous, il représente l’oppression », souligne Mahya, jeune activiste iranienne, enseignant chercheur à Paris. Installée à Paris depuis presque dix ans, la jeune femme originaire de Téhéran a choisi de retirer son voile. « Pour moi, le voile est profondément sexiste. Il sépare les hommes des femmes avec toute l’idéologie qui s’ensuit. Pour le régime iranien, les valeurs d’égalité sont relatives. Il utilise le discours féministe en Occident pour légitimer et rendre obligatoire le port du voile en Iran. En Occident, j’ai peur de parler de l’islam. On est immédiatement taxé de racisme. Sauf que nous, nous savons de quoi nous parlons car nous avons l’expérience de la soumission à cette loi, d’où le hashtag Let us talk » [« Laissez nous parler », ndlr].
« tu ne portes pas un voile comme tu portes une chemise »
Lorsque l’on évoque le mouvement des hijabeuses en France, un collectif qui souhaite pouvoir porter le hidjab dans les compétitions sportives, la réponse de Mahya est sans équivoque : « Elles utilisent le discours féministe pour appliquer la loi islamique. On ne peut jamais parler de liberté de choix pour le hijab car le voile islamique ne peut pas se dissocier de l’idéologie à savoir l’islam politique. Tu ne portes pas un voile comme tu portes une chemise. »
En Iran, le combat est tout autre. Les femmes qui osent sortir sans hijab risquent de lourdes peines de prison pouvant aller jusqu’à 25 ans. Pour Mahya, le féminisme occidental va à l’encontre du féminisme oriental, voire, le dessert dans son combat pour la liberté.
Aux origines du féminisme en Iran
En Iran, environ 89 % de la population est de confession musulmane chiite. Le port du voile islamique n’a pas toujours été obligatoire. Il fut même interdit pendant de longues années. Dans les années 30, suivant le modèle d’Atatürk en Turquie, le dirigeant de l’Iran, alors Empire impérial, Reza Shah Pahlavis impose aux femmes de se dévoiler. « Reza Pahlavis voulait moderniser l’Iran par la force en copiant les Occidentaux », analyse Thierry Coville chercheur à l’IRIS, spécialiste de l’Iran. « Pour lui, la religion était la cause des retards de l’Iran. »
Pendant la période de son règne, Reza Pahlavis chasse les religieux des institutions juridiques et des écoles et enchaîne les réformes : « Il a créé de force un Etat moderne. Mais il était aussi un dictateur. » L’interdiction du voile « a été vécue comme un véritable traumatisme en Iran. La société n’était pas prête à ses changements brutaux car elle était encore très conservatrice. » Dans les années 50, la modernisation a pris place peu à peu dans le paysage iranien. « On peut dire qu’il y a eu une modernisation des comportements mais deux Iran coexistaient : d’un côté les classes moyennes et aisées qui vivaient à l’occidentale et de l’autre, les classes populaires et conservatrices. »
l’une des premières mesures de la révolution de 1979 a été le port obligatoire du voile
La révolution en 1979 est assez populaire parmi les Iraniens. Beaucoup ne pensaient pas que les religieux prendraient le pouvoir. L’une de leurs premières mesures est de rendre le port du voile est obligatoire. « Les femmes occidentalisées ont vu cela comme une atteinte à la liberté », souligne Thierry Coville. A ce mécontentement se joignent peu à peu les femmes qui pratiquent l’islam traditionnel : pour elles, le port du hidjab n’est pas imposé par l’islam mais par le patriarcat. « Il y a eu une montée du féminisme en Iran à cette période. Cela est lié au fait qu’il y a eu l’alphabétisation des femmes. Elles font des études supérieures. En médecine, par exemple, il y a plus de femmes que d’hommes. » Un phénomène qui n’est pas que citadin : il est aussi vrai en province. « La société civile est très moderne en Iran, dans les mentalités. Aujourd’hui, l’individu tend à primer sur le groupe : « de quel droit vous m’imposer ça ? » »
Pour Thierry Coville, « la campagne sur les réseaux sociaux pour changer la loi en Iran s’inscrit dans un mouvement de fond d’un vrai féminisme qui date des années 90. A cette date, même les femmes traditionnelles et pratiquantes soutenaient celles qui ne voulaient pas se voiler. En Iran, tout est question de paradoxe, de mélange entre le nationalisme et le religieux. Face à ce mouvement, le régime ne sait pas quoi faire. Cette loi est bien plus qu’un symbole : pour certains, la fin de cette loi serait le début de la fin de l’Iran, du système politique en Iran. »
« Ce sera tout ou rien »
Cheveux très courts teints en blond platine, tatouages, manucure… Mayah incarne ce vent de modernité qui souffle sur la jeunesse iranienne. Une jeunesse qui pourrait se radicaliser. « Nous avons un régime qui n’hésita pas à tuer sa population. Dans notre mouvement, cinq femmes ont été emprisonnées pour avoir enlevé leur hidjab dont une de 22 ans, condamnée à 25 ans de prison. Face à cela, les femmes sont de plus en plus courageuses et de plus en plus radicales. Mais il n’est pas simple de faire bouger les choses. On se rend bien compte que la liberté, ce sera tout ou rien. »
« En iran, tout est question de mélange entre le nationalisme et le religieux »
Aidée par l’activiste iranienne Masih Alinejad, Mahya et d’autres femmes souhaitent libérer la parole sur l’islam grâce aux réseaux sociaux. « Au début, j’avais très peur. Mais je me rends compte qu’il faut dire la vérité. »
L’Iran étant frappé par une très forte crise économique en raison des sanctions qui pèsent contre le pays, les « réseaux sociaux sont capitaux dans l’explosion du mécontentement ou comme moyen de l’exprimer. Le régime en a peur car la population iranienne a beaucoup de contacts avec l’extérieur », souligne Thierry Coville. Aux yeux du chercheur, rien n’empêchera la société d’Iran d’évoluer, même si le mouvement est long, car « le désir de modernité est un mouvement profond qui dure depuis 40 ans. » Pour l’heure, les contours de l’avenir de la société civile en Iran sont encore flous. « Nous y verrons plus clair si les sanctions contre l’Iran sont levées. »
Marie-Charlotte NOULENS
Marie-Charlotte Noulens est journaliste depuis cinq ans. Elle est passée par la presse locale en Normandie avant de travailler à Bangkok pour « Asie Reportages ». Elle a rejoint ensuite le magazine « Aider les autres à Vivre », pour lequel elle écrit sur des sujets de société, principalement dans des zones touchées par la guerre ou encore, autour de la précarité en Afrique, au Moyen Orient et en Asie du Sud-Est. Elle se déplace à l’étranger et livre dans les colonnes du Méridional ses analyses sur l’actualité internationale.