Corse – P-F Paoli : « Aux yeux des nationalistes, Colonna est un martyr »

Portrait peint d'Yvan Colonna © flickr thierry ehrmann

Paul-François Paoli, né à Marseille, est écrivain, chroniqueur et journaliste. Il écrit notamment pour « Le Figaro littéraire » et « La Revue des Deux mondes ». Il a notamment fait paraître « France-Corse. Je t’aime moi non plus », en juin 2021 (éditions de l’Observatoire), qui sonde les sources d’un « quiproquo historique ».

Le Méridional : Paul-François Paoli, vous avez fait paraître en 2021 un ouvrage intitulé « France-Corse, je t’aime moi non plus Â» : pourquoi ce titre ? Est-il plus que jamais d’actualité ?

Paul-François Paoli : Dans mon essai, j’insistais sur le fait que les continentaux ne prennent pas assez au sérieux la question corse, qui témoigne tout particulièrement de la crise d’identité que traverse la France. Le fait est que moult jeunes insulaires ne se reconnaissent plus dans ce qu’il est convenu d’appeler « la France ». L’affaire Colonna est le symptôme éruptif d’un éloignement profond de l’île par rapport à un pays auquel ces jeunes ne s’identifient plus ou de moins en moins. Exemple parmi d’autres qui est loin d’être anodin : la relative indifférence avec laquelle les performances de l’équipe de France de football ou de rugby sont accueillies sur l’île.

L.M : Selon vous, de tels événements étaient-ils, dans une certaine mesure, prévisibles ?

P-F.P : Oui, ils étaient prévisibles, comme il est à prévoir que la mort de Colonna [le 21 mars, ndlr] sera très « chaudement » accueillie… Aux yeux des nationalistes, celui-ci est, ni plus ni moins, un martyr. Il est tout à la fois la victime de l’acharnement judiciaire et de la criminalité islamiste. Un cocktail d’autant plus explosif que les Corses se reconnaissent d’autant moins dans une France islamisée par l’immigration. Si Colonna, qui a purgé l’essentiel de sa peine, avait été transféré dans une prison en Corse, ce genre de drame aurait pu être évité. Pour toutes sortes de raisons, l’Etat aurait dû consentir à la demande de transfert.

« Le mot d’autonomie est une sorte de mantra en corse »

L.M : La jeunesse corse est-elle particulièrement impliquée dans ce « combat Â» ?

P-F.P : Oui, terriblement impliquée. Colonna n’est pas un héros à mes yeux. Il a participé à une action criminelle d’une extrême gravité qui ne doit être, en aucun cas, relativisée. Mais le fait est que les nationalistes ont fait de lui un symbole. Je n’ai aucune opinion sur Colonna en tant que personne, et il se peut fort bien que son comportement ait été irréprochable en prison. Le fait qu’il soit victime d’une agression criminelle n’en fait pas pour autant un héros. De ce point de vue, la mentalité ambiante en Corse est la même qu’ailleurs ; les gens ont tendance à auréoler d’un statut héroïque quiconque est victime d’une injustice.

L.M : De quand datez-vous la « rupture Â» du mariage franco-corse ?

P-F.P : Paradoxalement, la rupture date des années 60, époque où l’Etat commence à faire de sérieux efforts pour remettre la Corse – qui était sous peuplée et sous-développée économiquement-, à niveau. Le nationalisme est en partie né du traumatisme causé par la perte de l’Algérie française, où beaucoup de Corses étaient impliqués. Un siècle durant, entre le Second Empire de Napoléon III qui avait tissé des liens particuliers avec la Corse, et le retour de De Gaulle en 1958, la Corse fut très pro-française. Les Corses s’étaient identifiés à la grande nation. La baisse de rayonnement de la France qui a perdu son statut impérial a blessé ces Corses qui s’étaient identifiés à l’Empire et qui, une fois revenus au pays, se sont rendu compte que celui-ci était pauvre et laissé-pour-compte. Du coup, le nationalisme est devenu un exécutoire. Puisque la France n’était plus ce qu’elle était, pourquoi ne pas faire de la Corse une nation à part entière ? 

L.M : Les Corses donnent-ils tous le même sens au mot « autonomie Â» ? Certains voient-ils déjà au-delà ?

P-F.P : Le mot d’autonomie est une sorte de mantra en Corse. Les graves problèmes de cette île, le chômage notamment, n’ont rien à voir avec le statut de la Corse. Ce n’est pas parce que la Corse sera plus autonome qu’elle n’est déjà que les jeunes qui étudient à l’université de Corte auront plus de débouchés. Quand un hôtelier ou un restaurateur propose des emplois à des jeunes peu qualifiés et qu’il ne trouve personne, cela n’a rien à voir avec l’autonomie.

« le nationalisme est en partie né du traumatisme causé par la perte de l’algérie française »

L’assistanat est un fléau en Corse comme ailleurs, il faut le dire même si c’est impopulaire. La vraie question, c’est celle de l’indépendance. Il faudra bien, un jour ou l’autre, que la question soit posée aux insulaires. On ne peut pas constamment récriminer contre l’Etat français sans en tirer les conséquences. La logique du nationalisme c’est à terme la sécession. Personnellement je pense que ce serait une catastrophe. Comme Leo Battesti, je pense que la Corse n’a pas vocation à être une nation. Mais renoncer à l’idée d’indépendance suppose d’assumer l’identité française de la Corse, ce que se refusent à faire les nationalistes qui sont coincés entre deux rives.  

L.M : Que pensez-vous du positionnement du gouvernement par rapport à la question corse ?

P-F.P : Je ne sais pas si l’on peut appeler cela un positionnement. J’ai l’impression que l’exécutif, dans ce domaine, comme dans d’autres, navigue à vue. C’est plutôt d’inconsistance dont il faudrait parler.

Propos recueillis par Jeanne RIVIERE