Bien peu nombreux sont les Marseillais à imaginer les trésors endormis dans les sous-sols de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Marseille. A deux pas de la Canebière pourtant, des milliers de pièces constituent des collections patrimoniales extraordinaires (réparties entre Marseille et la commune de Rousset). Récemment, l’institution consulaire a annoncé vouloir estimer ces œuvres – qui sont sa propriété. Cette estimation constituerait là le premier pas d’une vente aux enchères publique. Si rien n’est encore précisément défini, beaucoup de Marseillais s’’inquiète de l’éventualité.
Le Méridional a recueilli le témoignage de Patrick Boulanger, de l’Académie des Sciences, Lettres et Arts de Marseille. Chevalier de l’Ordre national des Arts et Lettres, il a été Conservateur du Patrimoine à la Chambre de Commerce et d’Industrie Marseille-Provence (à partir de 1994). L’émotion et l’enthousiasme se mêlent dans sa voix quand il nous parle de ces collections.
Une collection montée depuis plus d’un siècle
« La collection de la Chambre de Commerce et d’Industrie est sans aucun doute l’une des plus belles collections d’histoire maritime au monde », souligne Patrick Boulanger. Celui qui a été conservateur des collections de la Chambre de Commerce et d’Industrie Marseille Provence mais aussi de son Musée de la Marine et de l’Economie de Marseille, ne se lasse pas d’évoquer les pépites rassemblées sur plus d’un siècle. « La collection a été montée depuis 1913 ; par qui ? Des chefs d’entreprise, des « ship lovers ». Voyant changer la marine commerciale marseillaise et française de la voile à la vapeur, ils se rendent compte qu’il faut conserver des témoignages du passé, et de cette époque charnière. »
L’époque où Marseille rayonnait sur toutes les mers du globe
L’historien poursuit : « Depuis le 18ème siècle, en Méditerranée, en mer Noire, avec Odessa… Marseille entretient des liens avec le monde entier. » Le rayonnement de la France et de Marseille sur toutes les mers du globe s’est notamment traduit, donc, par la création d’un musée de la Marine. Ce dernier rassemble alors des pièces originales de toutes sortes, des modèles réduits de navires, etc. provenant des compagnies de navigation, ou fabriquées par des modélistes amoureux de la mer.
marseille porte de france et d’europe
« Durant toutes ces décennies, et à une époque où les voyages ne se faisaient pas encore en avion, Marseille était la première terre européenne que vous fouliez, souligne encore l’ancien conservateur. La porte de France, mais aussi un des carrefours du monde. Quand on allait en Chine, en Inde… ou qu’on en revenait, on passait par Marseille ! »
« Mettre en lumière » oui, disséquer non
« Offrir aux Marseillaises et Marseillais la possibilité de se réapproprier, de découvrir et redécouvrir et de profiter pleinement de son patrimoine historique et culturel, voici le seul et unique objectif qui nous guide et nous guidera », précise de son côté le communiqué de la CCI AMP.
« Les interrogations soulevées par la procédure de choix d’un commissaire-priseur chargé d’estimer les œuvres propriétés de la CCIAMP, et qui n’est pas une première, illustrent l’une des exigences majeures de notre institution consulaire. Plus ancienne Chambre de Commerce et d’Industrie au monde, celle d’Aix-Marseille-Provence porte en effet une responsabilité particulière au regard de l’histoire de notre ville et de la Provence tout entière.
« Au-delà de sa mission première au service des entreprises et, plus largement, de l’économie de notre territoire et de son rayonnement dont elle porte la voix, la CCIAMP est ainsi investie d’un devoir culturel et mémoriel essentiel vis-à -vis des générations futures. Une gestion aussi rigoureuse qu’ambitieuse de son patrimoine, exceptionnel à bien des aspects, s’inscrit dans cette exigence.
« Rien ne serait plus dommageable de laisser les milliers d’œuvres de toute nature dont elle dispose enfermées dans des lieux de stockage certes sécurisés mais où elles restent durablement inaccessibles au public. Des sites où, pire encore, le temps accomplit son redoutable ouvrage de dégradation.
le musée n’a jamais été estampillé « musée de france », les collections ne sont donc pas protégées
« Cette procédure constitue donc la première étape d’une volonté assumée et d’une réflexion patrimoniale stratégique globale en cours et destinée justement à mettre en lumière auprès du plus grand nombre, des collectionneurs publics en passant par les collectionneurs privés et tous les amoureux de Marseille et de la Provence, la culture collective dont notre Chambre de Commerce et d’Industrie est bien plus que le dépositaire, le témoin et l’acteur historiques. »
Des milliers d’objets différents
La CCI envisagerait la vente d’une « première partie » des collections, soit environ 200 pièces. Peintures (de grands noms notamment), instruments de navigation, objets multiples, photographies, affiches des compagnies maritimes… Des milliers de trésors qui font sans aucun doute partie du patrimoine marseillais et qui symbolisent son rayonnement passé. Que la Chambre entende « mettre en lumière » ce patrimoine, oui. En faire profiter les Marseillais, oui. Mais il est évident que des mises aux enchères publiques attireraient les convoitises de bien des acheteurs étrangers prêts à mettre la main au portefeuille.
Une tradition culturelle perdue
Le musée a été fermé en 2018. L’espace a été transformé en café chic. Depuis 2013, date où Marseille avait symbolisé la « capitale de la Culture », la tradition culturelle de la Chambre a été perdue. Le côté économique a pris le dessus, expliqué par le monde d’aujourd’hui sans doute. Mais l’un n’empêche certainement pas l’autre !
De fait, le musée créé par la Chambre de Commerce n’a jamais été estampillé « Musée de France », ce qui explique que les collections puissent être disloquées. Une éventualité que refusent de nombreux Marseillais.
Jeanne RIVIERE