Sans surprise, l’ancienne ministre de la Justice Christiane Taubira a remporté la Primaire populaire. Cette élection, organisée par des militants indépendants des partis, devait désigner un candidat unique pour la gauche à l’élection présidentielle, au lieu de sept. Contrairement à leurs espérances, aucun des autres compétiteurs ne s’est retiré. Plutôt que de rassembler, Christiane Taubira se retrouve donc à porter la huitième candidature de sa famille politique.
Le fantôme de 2002
Le lapsus est particulièrement embarrassant. Lors de son discours de victoire à la Primaire populaire du 30 janvier 2022, Christiane Taubira, euphorique, déclare : « Merci d’y croire et d’être dès demain les chevilles ouvrières d’une possible victoire en avril 2002. » 20 ans plus tôt, l’égérie de l’union des gauches se présentait déjà à l’élection présidentielle, sous l’étiquette Parti radical de gauche (PRG). Elle y réalisait le score exceptionnel de… 2,32%. Le 21 avril 2002 est surtout resté dans les mémoires comme un immense choc dans la politique française : Jean-Marie Le Pen (FN) se qualifie pour le second tour face à Jacques Chirac. A la surprise générale, Lionel Jospin, candidat du Parti socialiste, arrivé troisième, est éliminé d’office ; il lui manquait seulement 0,68% pour se qualifier. Le score de Christiane Taubira – et d’autres petits candidats de gauche – aura été suffisant pour diviser son camp et faire subir à celui-ci une déroute dont il ne s’est toujours pas remis.
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Loin de regretter le passé, elle affirmait il y a deux ans à ce propos : « Et s’il fallait recommencer, je recommencerais – différemment, pour qu’on entende mieux ma voix. » Une voix si attendue, indispensable, incontournable, qu’elle s’apprête à récidiver. Heureusement pour elle, le peuple de gauche aura cette fois peu de raisons de lui en vouloir, car aucun de ses candidats n’a de toute façon l’espoir d’atteindre le second tour. L’ancienne garde des sceaux réalise même une belle performance : faire progresser l’éparpillement des voix de gauche de sept à huit candidats. Les 4% que lui accordent les sondages le valaient bien.
Le laboratoire de la désunion
La Primaire populaire, cette élection organisée par des militants associatifs hors de tout cadre partisan, avait initialement pour but de désigner un seul et unique champion pour la gauche. Elle avait recueilli l’inscription de 467 000 votants, pour un scrutin où chaque postulant se voit attribuer une mention, de « Très bien », à « Insuffisant ». La belle mécanique était pourtant grippée dès le départ. Le choix des candidats en lice s’est fait indépendamment de leur volonté, et était soumis à un système de parrainage. Ce système a eu pour résultat que plusieurs personnalités se sont retrouvées inscrites contre leur volonté, et que d’autres – comme le communiste Éric Roussel – n’ont même pas été sélectionnées.
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Anne Hidalgo, au plus bas dans les sondages, a dans un premier temps annoncé qu’elle se soumettrait à ce vote, avant de se rétracter. Jean-Luc Mélenchon (LFI) et Yannick Jadot (EELV) ont dès le départ refusé de jouer le jeu et tiré à boulets rouges sur la primaire ; ils gardaient toutefois un œil sur le résultat, car une victoire aurait pu les servir. En somme, je rejette le scrutin, sauf si c’est moi qui gagne.
Christiane Taubira, favorite, l’a finalement emporté grâce à une mention « Bien plus », devant Yannick Jadot, second avec son « Assez bien plus ». Elle était la seule à avoir réellement mené campagne, et à avoir accepté les règles. A son grand regret, personne ne s’est désisté en sa faveur. Il est vrai qu’elle espérait qu’une fois revenue dans le jeu politique, tous la rejoindraient. Pas dans son propre intérêt bien sûr, mais pour le bien commun, car l’ancienne ministre promettait la main sur le cœur en décembre : « Je ne serai pas une candidate de plus. » Christiane Taubira l’affirme : « J’appellerai Anne. J’appellerai Yannick. J’appellerai Fabien. J’appellerai Jean-Luc. Je sais leur réticence mais je sais aussi leur intelligence et leur sens de l’intérêt général. Parce que l’enjeu, c’est l’avenir de nos enfants. »
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Elle devra se montrer persuasive – c’est un euphémisme. En attendant, la huitième candidate de la gauche part sans programme, sans budget, sans soutien… Sauf celui d’un certain Benoît Payan. Comme promis, le maire de Marseille compte accorder son parrainage au vainqueur de la Primaire populaire, pour obtenir les 500 signatures d’élus requises pour être candidat aux élections présidentielles. Plus que 499.
Antoine LIVIA