Présidentielle 2022 – Divisée, la gauche en plein naufrage

Anne Hidalgo en 2018 © WKMC

Les sondages (s’il faut encore les croire) sont unanimes : la gauche française est dans une situation critique. Elle ne totalise plus que 24% des intentions de vote aux élections présidentielles, tous candidats confondus. Malgré la gravité de la situation, elle se permet le luxe de diviser pour l’instant ses voix en plusieurs candidats rivaux, qui n’ont aucune chance d’accéder au second tour. Toutes les tentatives d’unir ces égos surdimensionnés ont pour l’instant échoué. La nouvelle défaite qui s’annonce pourrait être lourde de conséquences.  

La gauche, ça n’est plus ce que c’était

C’était il y a 40 ans : ce 10 mai 1981, François Mitterrand fait une entrée triomphale dans la cour de l’Élysée, pour participer à la cérémonie de passation de pouvoir ; il vient d’être élu président de la République. C’est le « Grand Soir » que beaucoup attendaient, et qui provoque des manifestations spontanées de joie ou de rejet dans les rues de tout le pays. Le socialiste a conquis le pouvoir avec le soutien des communistes, qui se verront attribuer quatre ministères. De 1997 à 2002, le Premier ministre Lionel Jospin rassemblera à son tour toutes les tendances de la gauche dite « plurielle », au sein de son gouvernement. Car il fut un temps où la gauche, malgré les dissensions, maîtrisait l’art de l’union. Ce temps-là est révolu.

La gauche n’atteint plus aujourd’hui que 24% au total dans les sondages, soit autant qu’Emmanuel Macron à lui tout seul. Ces 24% sont surtout divisés en plusieurs candidatures distinctes et rivales. La dernière en date : Christiane Taubira, ancienne ministre de la Justice de François Hollande, s’est officiellement lancée dans la course la semaine dernière, ajoutant à la dispersion. Malgré ses 4%, elle a l’orgueil de croire que tous se rangeront derrière elle. L’ancien président François Hollande a pourtant dénoncé il y a quelques mois au Parisien : « A gauche, toutes les candidatures sont lilliputiennes. Elles se livrent à des batailles aussi picrocholines que microscopiques. »

Si la gauche est déclassée, c’est avant tout parce qu’elle a perdu son électorat principal, les classes populaires. Nous vivons aujourd’hui l’ère de la gauche « sociétale » qui a délaissé le social pour des obsessions délirantes sur le wokisme, l’indigénisme, l’idéologie du genre, l’écologie punitive, etc. Sa nouvelle cible privilégiée, les minorités – ethniques, sexuelles, religieuses – ne compense pas cette perte. C’est un changement radical de culture politique et de sociologie électorale. Entre un ouvrier communiste en col bleu de 1981, et une étudiante en sociologie militante intersectionnelle de 2022, il y a un monde.

Unis, mais derrière qui ?

De cette faiblesse, les candidats de gauche à l’élection présidentielle sont parfaitement conscients. Les tentatives de rapprochement se sont multipliées ces derniers temps, en vain. Le mieux placé est Jean-Luc Mélenchon, qui atteint environ 10% des intentions de vote. Ses militants se démènent pour rallier à lui les autres formations, mais même le Parti communiste, qui l’a soutenu en 2012 et 2017, a décidé de faire cavalier seul, sous la bannière de son président Fabien Roussel (3%). Il est vrai que tous s’accordent à prôner l’union, tant qu’elle se réalise derrière leur personne.

Une initiative se démarque pour tenter de réaliser l’union tant attendue : la Primaire populaire. Cet événement organisé par des militants indépendants vise à désigner un unique champion pour porter les couleurs de la gauche. Sept prétendants ont été sélectionnés pour leur compatibilité avec un « Socle commun » d’idées. La Primaire populaire rassemble 250 000 électeurs inscrits, qui voteront en ligne du 27 au 30 janvier en attribuant à chaque personnalité une mention, de « très bien » à « insuffisant ». Une formule mathématique désignera le vainqueur, qui aura la meilleure valeur générale. Toutefois, les trois candidats les « moins bas » dans les sondages – Jean-Luc Mélenchon (LFI), Yannick Jadot (EELV) et Anne Hidalgo (PS) – ont déjà annoncé qu’ils maintiendraient leur candidature quel que soit le résultat. Les candidats communistes n’ont de leur côté même pas été sélectionnés, et ne risquent pas de se soumettre au verdict final.

Les conséquences de la désunion 

La maire de Paris Anne Hidalgo espérait incarner la renaissance d’un Parti socialiste moribond, après l’échec cuisant de Benoît Hamon en 2017 (6%). Voyant les intentions de vote en sa faveur stagner autour de 3-4%, elle a rapidement compris qu’au-delà du périphérique parisien, elle ne suscite que railleries et hostilité. En plus d’humilier définitivement sa famille politique, son score risque de l’enterrer financièrement : les frais de campagne ne sont remboursés par l’État qu’à partir d’un seuil de 5% des voix… Une épée de Damoclès qui pèse sur tous les petits candidats de gauche, et qui a poussé Anne Hidalgo ou Arnaud Montebourg (1%) à multiplier les coups de téléphones et les appels du pied aux autres prétendants, en vain. Arnaud Montebourg a d’ailleurs préféré retirer officiellement sa candidature ce 19 janvier, sans pour autant se rallier à un autre candidat.

La défaite fatale qui s’annonce risque d’avoir des effets durables pour la gauche : démobilisation des électeurs, perte d’influence culturelle, radicalisation idéologique des militants. Selon une étude Opinion Way de 2021, les citoyens français ne sont plus que 24% à se déclarer de gauche, contre 38% de droite. Le déséquilibre s’accentue, et concerne tous les grands pays d’Europe de l’Ouest. Cette relégation en seconde division n’est ainsi que la traduction politique d’une réalité sociale toujours plus patente : la France est désormais un pays de droite.

Antoine LIVIA