Présidentielle 2022 – Quand l’impôt sur les successions se place au cœur de la campagne

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La question sensible des droits de succession s’est imposée ces derniers mois comme un thème incontournable de l’élection présidentielle. Le sujet reste un marqueur gauche/droite fort, et les principaux candidats à la magistrature suprême ont formulé des propositions très remarquées. Si elles étaient prévisibles, certaines des mesures avancées ne font pas ressortir le meilleur de la société française.

Un thème récurrent mais clivant

Le chiffre est édifiant, et surprend dans un pays aussi obsédé par l’égalité que l’est la France. D’après un récent sondage OpinionWay, 81% des Français souhaitent un allègement de l’impôt sur les successions. Nos concitoyens approuvent massivement cette idée, y compris les plus pauvres, qui y auraient personnellement intérêt. Même les sympathisants de gauche y adhèrent dans leur majorité : 61% chez La France insoumise ! Emmanuel Macron le sait bien. Lorsqu’il était ministre de l’Economie, il avait pourtant déclaré sa « préférence pour le risque face à la rente », ce qui l’amenait à « préférer par exemple la taxation sur la succession aux impôts de types ISF ». Depuis son accession au pouvoir, le président de la République s’est bien gardé d’augmenter cette fiscalité ; il en connaît les répercussions politiques.

Pourtant, la pression monte sur Emmanuel Macron. Ces dernières années, les rapports d’économistes favorables à une hausse de la taxation sur les successions s’enchaînent : France Stratégie en 2017, Terra Nova en 2019, Tirole-Blanchard puis celui du Conseil d’analyse économique (CAE) en 2021. La tentative de ces économistes de mettre à l’agenda politique cette augmentation a été dans une certaine mesure couronnée de succès. Le thème s’est invité dans la campagne des présidentielles, et plusieurs candidats l’ont intégré à leur programme.

Actuellement en France, les transmissions (donations au cours de la vie, et successions après la mort) sont taxées selon un barème progressif qui dépend du lien de parenté. Plus on est proche du défunt moins on est taxé, et plus la somme est élevée plus on paye : de 5 à 45% pour les enfants, 25 à 45% pour les frères et sœurs, et jusqu’à 60% pour les autres. De nombreuses exemptions existent. En dessous d’un certain seuil, on échappe au fisc : 100 000€ pour les enfants, 15.000€ pour les frères et sœurs et 1 600€ pour les autres. Enfin, grâce à la loi Dutreil, 75% du montant des transmissions d’entreprises familiales est exempté d’impôts, à condition de respecter certaines conditions. Un dispositif-clé, alors que 83% des entreprises françaises sont familiales, d’après un rapport de l’Institut Montaigne.

A droite, on promet un allègement

A droite, les candidats rivalisent de propositions. Éric Zemmour veut aller plus loin que la loi Dutreil. Dans Le Figaro, il « propose d’exonérer purement et simplement de droits de donation et de succession les transmissions d’entreprises familiales entre générations ». Il accompagne cette proposition d’un éloge vibrant de l’entrepreneuriat familial, qui se transmet moins de parent à enfant en France qu’en Allemagne ou en Italie, ou ce type d’entreprise est très dynamique.

Valérie Pécresse est peut-être la candidate la plus ambitieuse sur le sujet ; elle souhaite créer un « choc de transmission des patrimoines », et « supprimerait les droits de succession pour 95% des Français ». Tout d’abord en rehaussant de 100 000 à 200 000€ le seuil jusqu’auquel une succession des parents vers les enfants n’est pas taxée. Le seuil concernant les autres membres de la famille (grands-parents, frères, sœurs, oncles, tantes, neveux, nièces) serait également rehaussé. Du vivant des donateurs, ces dons défiscalisés peuvent être répétés tous les 15 ans à l’heure actuelle ; on passerait à 6 ans. C’est pour la candidate LR un bon moyen de se démarquer d’Emmanuel Macron, tout en satisfaisant son électorat, plutôt âgé et aisé. Son lieutenant Éric Ciotti vilipendait déjà pendant la primaire cet « impôt sur la mort », reprenant une expression courante aux États-Unis.

De son côté, Marine Le Pen constate que « les moyens se concentrent chez les personnes âgées, qui n’ont pas la capacité de pouvoir aider leurs enfants et petits-enfants ». Pour y remédier, elle propose d’élargir le seuil de 100 000€ d’abattement aux dons des grands-parents vers les petits enfants, qui deviendraient renouvelables tous les dix ans.  Elle affirme également : « Ma priorité c’est que les biens immobiliers français restent aux Français », car « l’immobilier c’est l’enracinement ». La présidente du RN supprimerait donc les droits de succession jusqu’à 300 000€ sur les biens immobiliers.

A gauche, la tentation de l’impôt

La candidate PS Anne Hidalgo reprend les principes d’une proposition de loi déposée en 2020 (mais rejetée) par la députée socialiste Christine Pirès-Beaune : « J’exonérerai totalement 95 % des Français de cet impôt, et augmenterai la fiscalité sur la transmission des plus gros patrimoines. » Jusqu’à 300 000€, aucun droit de succession ne serait prélevé, quel que soit le lien de parenté. En revanche, à partir de deux millions d’euros, ils seraient très élevés, sans qu’Anne Hidalgo ait voulu en dévoiler le taux exact. Si la maire de Paris reprend jusqu’au bout les idées de la proposition de loi, ce taux pourrait s’élever à 60%, même pour les bénéficiaires en ligne directe, c’est-à-dire les enfants…

Quant à Jean-Luc Mélenchon, il se démarque par une proposition radicale : « Au-delà de 12 millions, je prends tout. » L’argent ainsi ponctionné servirait à financer une « allocation d’autonomie » de 1 063€ par mois pour tous les étudiants. Le président de La France insoumise tient quand même à rassurer : « Si vous n’avez pas 12 millions d’héritage de prévu, vous ne risquez rien avec moi. »

D’autres candidats de gauche sont pour l’instant restés évasifs sur le sujet, mais planchent sur des mesures allant dans le même sens. Tout comme certains économistes médiatiques, ils ne manquent jamais de rappeler que les inégalités de patrimoine, qui avaient baissé après chaque guerre mondiale, sont reparties à la hausse. Malheureusement, ils succombent à un biais très français qui est de n’envisager la résolution de ce problème que sous l’angle d’une hausse des impôts. Un véritable acharnement, alors que la France oscille déjà entre la première et la seconde place des pays où les prélèvements obligatoires sont les plus élevés au monde.

En réalité, pour lutter contre les inégalités à long terme, d’autres leviers plus justes existent, et notamment l’école – où le niveau s’effondre -, ou le marché du travail. D’autres facteurs que le capital économique jouent sur la réussite personnelle, et notamment les capitaux culturel et social, comme l’expliquait le sociologue Pierre Bourdieu, peu soupçonnable d’accointances ultralibérales. La France est devenue une caricature de la société démocratique qu’avait décrit Alexis de Tocqueville après son voyage aux États-Unis, où la moindre différence entre les hommes suscite l’envie et la jalousie. Une convoitise insatiable, car pour le philosophe politique : « Les institutions démocratiques réveillent et flattent la passion de l’égalité sans pouvoir jamais la satisfaire entièrement. »

Antoine LIVIA