La Chine a peu montré, au long de son histoire, des velléités d’expansionnisme. Exception faite au XVème siècle, durant lequel l’amiral Zheng He (1371-v.1434) entreprit, sur l’ordre de l’empereur Yong, les sept voyages d’exploration et à but commercial (1405-1433) à la tête d’une imposante flotte armée, pour une reconnaissance du Sud-Est asiatique, Inde, Ceylan, jusqu’aux côtes somaliennes. Ces expéditions se sont déroulées sans annexion ni colonisation ; l’amiral et sa flotte sont retournés dans leur pays et l’Empereur a fait interdire la construction de nouveaux vaisseaux pour des raisons de restrictions économiques. A partir de cette période, la Chine est restée autocentrée, confinée dans ses frontières, jusqu’au XIXème siècle, où les puissances occidentales cherchent à briser cet enfermement (guerres de l’opium etc.)
Aujourd’hui, la situation est radicalement différente ; le gouvernement chinois affiche de nouvelles ambitions liées à la mer, avec l’exacerbation des revendications territoriales (mer de Chine méridionale) et la volonté de sécuriser les voies de communication maritime. La Méditerranée devient une cible stratégique importante dans la mesure où cette mer est l’aboutissement de la « Nouvelle Route de la Soie » maritime.
En septembre 2013, à Astana, capitale du Kazakhstan, le président chinois Xi Jinping lance le projet des « Nouvelles Routes de la Soie » (ou OBOR One Belt One Road ou BRI Belt and Road Initiative). Ce projet pharaonique a pour but de relier la Chine à l’Europe avec trois routes : terrestre, ferroviaire et maritime. La voie maritime part des ports chinois de la mer de Chine, passe par le détroit de Malacca (Singapour), traverse l’Océan Indien pour arriver au détroit de Bab-el-Mandeb, remonte la mer Rouge et arrive en Méditerranée par le canal de Suez.
On assiste ainsi, depuis 2013, à un activisme économique chinois dans cette zone méditerranéenne, doublé d’un « soft power » très présent à différents niveaux : augmentation des investissements dans les marchés de la zone, développement de plusieurs ports du pourtour méditerranéen et volonté d’associer de nombreux pays au projet OBOR.
Ce maillage portuaire européen a démarré il y a plus de dix ans avec l’opportunité du port du Pirée. Plus proche de la Chine que les grands ports de l’Europe du Nord, l’Europe du Sud occupe en effet une position stratégique pour Pékin. Les ports de cette région, modernisés, aux capacités augmentées, réduisent les délais et les coûts de transport. Pour ces raisons, les rives Nord du bassin méditerranéen ont été identifiées comme l’un des points d’aboutissement de la Belt and Road Initiative.
Le gouvernement chinois cherche aujourd’hui à renforcer les coopérations comme celle du port du Pirée (Athènes) avec d’autres pays du bassin méditerranéen utilisant une stratégie qui s’appuie sur des ports importants. La Chine regarde également vers les ports secondaires ou sous-utilisés, délaissés par les opérateurs traditionnels et les subsides européens, où les investissements vont être massifs, financés par la croissance du trafic. C’est une stratégie à long terme et méthodiquement mise en place.
Quel est le niveau d’implantation de la Chine dans les ports du pourtour méditerranéen ?
LA PRESENCE DE LA CHINE DANS LES PORTS EUROPEENS
En Grèce
Le port du Pirée (Athènes) est devenu la tête de pont de la stratégie chinoise en Méditerranée. Dans les années 1990, China Shipping Container Lines, absorbé en 2016 par la société COSCO (premier armateur chinois), investit dans les terminaux du port du Pirée pour en faire son hub méditerranéen. Le Pirée est à cette époque un port totalement secondaire.
En 2009, alors que la Grèce est en plein marasme économique et croule sous des dettes colossales, COSCO devient actionnaire de la société gérant le port et, en 2016, elle devient majoritaire (67% du capital pour un investissement de 368 millions d’euros). Le port du Pirée devient alors le point d’entrée chinois dans l’Union européenne et représente, de fait, le hub des produits chinois arrivant de la mer Rouge ainsi que la plateforme de redistribution desdits produits sur l’Europe. Le Pirée est à deux jours de mer du canal de Suez, emprunté par tous les cargos reliant la Chine à l’Europe.
Par ailleurs, COSCO cherche à développer des liaisons ferroviaires vers l’Europe du Nord via la Macédoine, la Serbie et la Hongrie au départ d’Athènes. Ce projet entre dans la stratégie de pénétration de l’Europe par les Balkans en s’appuyant sur des Etats dits « faibles » et en intégrant cette stratégie dans le format « 17+1 ». Ce groupe a été créé à Varsovie, à l’initiative du ministère chinois des Affaires étrangères, et vise à promouvoir les relations commerciales et d’investissement entre la Chine et 16 pays d’Europe centrale et orientale.
En France
Le groupe China Merchants Port, l’autre géant chinois de l’ingénierie portuaire, a pris en 2013 le contrôle de 49 % du capital de la filiale du groupe CMA-CGM, Terminal Link, opérateur des terminaux à conteneurs de Marseille, Malte-Marsaxlok, Tanger-Med et Casablanca.
China Merchant est également présent au capital d’Eurofos, le port de Fos-sur-Mer, à hauteur de 25% depuis 2018.
Par ailleurs, Orange a assuré le 19 octobre 2021 à Marseille « l’atterrissement » du câble sous-marin Peace. Long de 12 000 kilomètres et financé par des acteurs chinois, il représente une « route de la soie numérique », d’un intérêt stratégique majeur. Les câbles assurent 98 % du trafic Internet de la planète.
En Espagne
En 2017, COSCO a pris le contrôle de 51 % des parts de la société espagnole Noatum Ports, gérant les ports de Bilbao et Valence. Ces deux ports constituent deux relais clés dans le réseau international de terminaux portuaires de COSCO sur la façade méditerranéenne de l’Espagne et sur l’Atlantique.
A Barcelone, la société Hutchinson Ports Holding (HPH) est devenue le seul actionnaire du terminal Barcelone Europe South Terminal (BEST).
En Italie
En 2016, COSCO – allié au Port de Qingdao – a pris possession de 49,9 % des parts du port italien de Vado Ligure (Savona), principal terminal réfrigéré de la Méditerranée.
En mars 2019, à l’issue du voyage du président chinois Xi Jingping, l’Italie est le premier pays européen à rejoindre officiellement la longue liste des pays adhérents au projet chinois de la Nouvelle Route de la Soie avec, en particulier, le renforcement de la présence chinoise dans les ports de Trieste et Gênes.
Stratégiquement, le choix de Trieste est pertinent car son emplacement privilégié à l’extrémité nord de l’Adriatique fournit une liaison avec les pays des Balkans qui n’ont pas d’accès à la mer. On revient ici à la stratégie du « 17+1 » mentionnée plus haut. Mais aujourd’hui, sous les pressions européennes et transatlantiques et l’action du Premier ministre Mario Draghi, le projet est quasiment abandonné et la société allemande Hamburg Hafen und Logistik AG a acquis 50,1% du capital du port de Trieste.
Concernant Gênes, COSCO a déjà un terminal du port en concession et la Chine a signé en 2019 un accord bilatéral sur les Nouvelles Routes de la Soie avec le gouvernement italien de l’époque.
La Méditerranée est le lieu de rencontre de trois continents, reliée à l’océan Atlantique par l’étroit cordon de Gibraltar, à la mer Noire par le Bosphore et à l’océan Indien par l’isthme puis le canal de Suez. C’est donc une mer éminemment stratégique et il est donc logique que la Chine s’y intéresse.
> A suivre : Une stratégie chinoise en Méditerranée : les investissements portuaires. 2/2 : au Maghreb et en Orient
Alain BOGE
Alain Bogé est spécialisé en Géopolitique, Relations Internationales et Commerce International. Il a notamment enseigné à l’Université Lyon 3 (IAE), à la Delhi University-Inde (School of Economics), à l’IESEG School of Management Lille-Paris. Il donne actuellement des cours à la Czech University of Life Sciences-Dpt Economy-Prague, à la Burgundy School of Business (BSB)-Dijon et à la European Business School (EBS)-Paris.