« Illusions perdues » : Balzac à l’honneur au cinéma

Décidément, pour le cinéma, 2021 aura été une année Honoré de Balzac. Après une libre adaptation d’Eugénie Grandet – tellement libre qu’elle tournait le dos à la psychologie des personnages du romancier -, voici une adaptation des « Illusions perdues ». Elle est due à Xavier Giannoli, un réalisateur plutôt subtil.

Avec « Illusions perdues », son choix s’est porté sur une partie seulement du chef d’œuvre de Balzac. Nous ne saurons donc que peu de choses sur la vie de province telle qu’elle se déroule à Angoulême. Juste ce qui est nécessaire pour nous faire sentir combien elle est mesquine, ennuyeuse et fermée aux belles-lettres… D’où la fuite vers la capitale de Lucien Chardon dit de Rubempré, poète de son état, avec la belle Mme de Bargeton (Cécile de France), une précieuse de la ville.

Le film bénéficie d’une mise en scène rythmée, qui se place en harmonie avec une reconstitution soignée de l’époque, celle de la Restauration. Les deux figures principales sont portées avec naturel par Benjamin Voisin, dans le rôle de Lucien, et par Vincent Lacoste, dans celui de Lousteau, son mentor en arrivisme. On salue également l’intéressante composition de Depardieu incarnant le libraire-éditeur Dauriat, ignare en littérature mais expert en tripotage financier.

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Lucien de Rubembré, livré à lui-même dans la jungle parisienne, échappe à la misère en se lançant dans le journalisme. Depuis 1819, avec l’abolition de la censure et de l’autorisation préalable à paraître, la liberté de la presse est réelle. Aussi, son goût des bons mots et sa plume acérée font merveille ; le voilà soutien du Parti libéral contre le Parti royaliste. A vrai dire, les feuilles où il écrit comme « Le Corsaire » et « Le Satan » (bientôt fusionnés en un « Corsaire-Satan » car plus que les idées, c’est la rentabilité qui mène le jeu) se préoccupent avant tout d’engranger de l’argent. Faire ou défaire les réputations, cela peut rapporter gros. Rechercher la Vérité ? Plaisanterie ! La littérature n’échappe pas à la règle ; et Lucien est passé maître dans l’art, moyennant finance, de louer ou de démolir la réputation d’un écrivain, même si parfois la nostalgie d’un monde plus pur se rappelle à lui.

Autre description particulièrement bien rendue : le milieu du théâtre. Le spectacle n’est pas tant sur scène que dans les coulisses et dans la salle. Evoluent ainsi sous nos yeux : barbons épris de jeunes actrices, demi-mondaines, aristocrates friands de ragots… Dans ce cadre, la répétition des personnages payés pour applaudir ou huer le spectacle demeure un grand moment.

Presse, arts, culture, amours : nous sommes en plein dans la « comédie humaine Â» ; une comédie qui concerne également les temps actuels, comme semble le suggérer Xavier Giannoli.       

Jeanne RIVIERE