Vingt ans après les attentats-suicides perpétrés aux Etats-Unis, quel regard peut-on porter sur un événement qui a signé le début d’une lutte contre ce que le président George W. Bush avait alors nommé « l’axe du mal » ? Joe Macaron, politologue libanais spécialiste de la politique américaine et du Moyen-Orient, répond aux questions du Méridional.
Le Méridional : Joe Macaron, vous étiez encore au Liban à la date du 11 septembre 2001. Comment avez-vous vécu l’annonce de cet événement ? Comment a-t-il été perçu depuis ce pays du Moyen-Orient ?
Joe Macaron : Comme beaucoup dans le monde, je me souviens encore de la première fois où j’ai entendu la nouvelle. En tant qu’étudiant en relations internationales, j’ai rapidement commencé à réfléchir à son impact sur le système international, la politique étrangère des États-Unis et le Moyen-Orient avant de déménager à New-York moins de deux ans après. Au Liban, et au Moyen-Orient en général, la question était de savoir comment les États-Unis réagiraient et comment cela affecterait les régimes arabes qui avaient des politiques anti-américaines, comme l’Irak et la Syrie. L’administration Bush dirigée par les néo-conservateurs a commencé des aventures militaires qui ont façonné le Moyen-Orient et l’Asie centrale, et ont eu des implications sur la politique américaine et l’ordre mondial. Nous vivons toujours aujourd’hui dans un système international qui tient compte des conséquences de ces attaques.
L.M : Quelques années plus tard donc, vous habitez aux États-Unis. Quel climat avez-vous senti lors des interventions américaines dans divers pays du Moyen-Orient ?
J. M : À New York et à Washington, j’ai appris pendant près de deux décennies les nuances de l’ordre social américain et comment les attentats du 11 septembre ont façonné la société américaine et sa vision du monde. Il y avait une peur et un scepticisme croissants à propos de tout ce qui est étranger autant qu’il y avait de l’empathie avec le monde. La guerre contre l’Irak a entraîné des coûts politiques, militaires et économiques élevés qui ont permis à Obama de remporter les élections présidentielles de 2008, tandis que la récession économique mondiale renforçait la fracture dans la société américaine. L’invasion américaine de l’Irak a ébranlé le système autoritaire arabe, mais l’échec de la politique américaine à stabiliser le pays et la guerre par procuration menée par l’Iran et d’autres ont affaibli l’influence américaine au Moyen-Orient, et conduit à la fragmentation de l’ordre social arabe. Cela a indirectement conduit aux soulèvements arabes en 2011, alors qu’un nouvel ordre chaotique a commencé à émerger à travers le Moyen-Orient.
L. M : Vingt ans après le 11 septembre 2001, le départ d’Afghanistan signifie-t-il que les Américains renoncent à leur politique d’ingérence dans des pays étrangers ?
J. M : Deux décennies après les attentats du 11 septembre, il y a une fatigue aux États-Unis des interventions militaires, et les dirigeants américains tentent de trouver une nouvelle façon de guider le système international alors que l’accent est mis sur les défis intérieurs avec les implications de Covid-19 sur l’économie américaine. Cependant, il existe des défis émergents tels que la concurrence géopolitique de la Chine et de la Russie qui comblent le vide américain, comme cela s’est produit récemment en Afghanistan. Le retrait américain d’Afghanistan était inévitable, mais la façon dont l’administration Biden l’a mis en œuvre a eu un impact négatif sur l’image des États-Unis à l’étranger, notamment auprès de ses alliés. Les États-Unis sont confrontés à des questions difficiles auxquelles il est difficile de répondre quant au rôle qu’ils joueront dans le système international à l’avenir et sur la façon dont ils peuvent équilibrer cela avec les défis intérieurs. Cela ne signifie pas que les impulsions américaines à intervenir à l’étranger s’arrêteront, mais Washington trouvera des moyens rentables de le faire.
L. M : La France peut-elle tirer des leçons de ce qu’ont vécu les Etats-Unis il y a 20 ans ?
J. M : La France devra apprendre à trouver un équilibre entre s’attaquer aux racines du terrorisme chez elle et éviter de mener une politique étrangère controversée à l’étranger qui prend parti dans la bataille pour gagner les esprits au Moyen-Orient. Les leçons du 11 septembre sont que les pouvoirs ne doivent pas agir sur des impulsions et que l’usage de la force, même s’il est essentiel parfois, doit être utilisé avec précaution tout en pensant aux conséquences. Il existe des solutions à court terme et à long terme pour faire face au terrorisme, et la France ne doit pas s’inquiéter de débattre publiquement de ces questions sensibles.
Propos recueillis par Raphaëlle PAOLI