Vous l’ignorez peut-être, mais le prochain maire officieux de Marseille, celui qui tiendra benoîtement les mains du maire actuel, s’appelle Jean Castex. Attention danger. Explications.
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Le slogan s’affiche à l’est du palais du Pharo dans un décor de rêve choisi d’ordinaire par les jeunes mariés qui veulent immortaliser leur alliance. Pelouse verte, ciel bleu, vue imprenable sur l’entrée du Vieux-Port : le président de la République a choisi « Marseille en grand » pour flatter l’honneur des Marseillais et ne pas heurter leur susceptibilité. Mais aussi pour sceller son alliance personnelle avec Marseille, une ville dont il rêve d’être le maire, un jour…
Les élus socialistes et écologistes écoutent religieusement les promesses financières qui se déversent soudain sur la ville. Ils sont tout esbaudis. Comme hypnotisés par cette avalanche de liasses. Les élus Les Républicains, eux, semblent moins attentifs, comme si le refrain présidentiel leur donnait une impression de déjà-vu.
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De fait, ils se souviennent. Ils se souviennent de Nicolas Sarkozy qui avait délégué à Marseille un superpréfet de police, un technicien hors pair du « maintien de l’ordre » dont la mission principale consistait à anéantir les trafics. On sait ce qu’il est advenu : il a fait chou blanc.
Ils se souviennent de François Hollande qui, en sortant d’un cinq à sept torride rue du Cirque à Paris, a envoyé son Premier ministre Manuel Valls pour mettre à la raison les quartiers hostiles et réfractaires de la ville. Sauf que le fier Catalan a dû rapidement rebrousser chemin car il a été accueilli à La Castellane par des rafales de kalachnikov. Une grande première, là aussi.
Puis ce fut au tour d’un autre Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, de venir montrer les biceps de l’Etat. Milliards à gogo, rénovation urbaine, « approche sociale et humaine », on allait voir ce qu’on allait voir. On n’a rien vu du tout. Résultat : néant. Les trafics ont repris de plus belle, au grand dam du bonimenteur nantais.
Le 17 septembre 2019, là, c’est le pompon. Les élus marseillais ont vu débarquer d’un œil goguenard une pléiade de ministres qui ont présenté un plan de lutte « en cinquante-cinq mesures« . Pas 54 ni 56 : 55 ! Au passage, ils ont remplacé l’Octris par l’Ofast (office anti-stupéfiants). Formidable. Ils ont évoqué un « pilotage renforcé », des « campagnes de prévention », une « approche globale » : toujours le même bla-bla.
Emmanuel Macron est aussi doué que ses prédécesseurs pour nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Il veut « harceler » les dealers, « pilonner » les trafics, faire de Marseille la cosmopolite une ville d’intégration et non plus de désintégration, il veut réduire les fractures, « créer du consensus », faire cesser l’absentéisme, les grèves, les petits arrangements, bref il souhaite devenir un grand prestidigitateur.
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Trois jours de poudre aux yeux et d’enfumage bien ciblé. M. Macron sait pertinemment que depuis vingt ans on a délibérément démantelé les effectifs des douanes portuaires et que les services de police ont fondu comme neige au soleil. Il sait aussi qu’on ne peut vider la mer avec une petite cuillère.
En outre, il a bien conscience que chaque mois une trentaine de tonnes de cannabis en provenance du Maroc transitent par les ports français et inondent le territoire au nez et à la barbe d’une poignée de contrôleurs désabusés. La vérité, c’est que les trafics de drogue, d’armes et de cigarettes génèrent des bénéfices considérables qui sont blanchis depuis le bled dans les grandes surfaces, l’achat d’immobilier, de restaurants et de brasseries.
On encourage en douce les trafics
Cet argent sale, rapidement devenu propre, fait vivre des milliers de familles, en France et à l’étranger, et l’on encourage en douce une économie souterraine et illégale qui se substitue utilement aux aides sociales de l’Etat. En outre, les Marseillais ont compris désormais que les meutes de trafiquants règnent en maîtres sur « leur » territoire. Aucun ministre de l’Intérieur ne peut se permettre de les affronter car une intervention musclée pourrait susciter des émeutes qui ne manqueraient pas d’embraser toute la France, de proche en proche.
Donc, comme d’habitude, on peut prévoir le maintien du statu quo. Les dealers des 156 plans stups de Marseille peuvent dormir sur leurs deux oreilles et engranger des bénéfices de 50 à 80 000 euros par jour. Bien sûr, deux compagnies de CRS viendront les « harceler » de temps à autre, comme ça, pour la frime. Désolés pour le dérangement, on repassera plus tard.
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En réalité, Emmanuel Macron est venu à Marseille pour séduire l’électorat de droite très sensible aux questions de sûreté, mais aussi l’électorat de Mélenchon lors d’une visite très larmoyante de la cité Bassens et enfin l’électorat écologiste en ouvrant le Congrès mondial de la nature. Ce fut le premier meeting de la campagne des présidentielles. Partout, elle ressemblera à ce qui s’est passé sur la Canebière : M. Macron s’efforcera de coaliser des forces antagonistes en les impliquant « dans la construction d’une organisation vertueuse » susceptible d’éteindre les « chicayas locales ». C’est un art nouveau : celui du pointillisme politique.
On déshabille systématiquement les Républicains pour devenir naturellement leur champion en mai prochain…
Il est vrai que le président n’a pas vraiment le choix : s’il veut figurer au second tour et battre de nouveau Marine Le Pen, sa seule chance est de cambrioler pièce à pièce le parti républicain. Voilà pourquoi il est venu à Marseille avec un paquet de fric et… d’arrière-pensées. Les subventions tous azimuts qu’il a promises ne sont pas gratuites du tout : c’est le haut fonctionnaire Jean Castex, actuel Premier ministre qui sera chargé de présider les établissements publics chargés de distribuer la manne présidentielle. Et ces fonds ne seront délivrés qu’à une seule condition : l’allégeance des élus de droite et de gauche au président de la République. Faute de quoi, ils pourront se brosser.
Par conséquent, le futur maire potentiel de Marseille, celui qui tiendra les cordons de la bourse, s’appellera Jean Castex. Il s’agit purement et simplement d’une mise sous tutelle déguisée de la seconde ville de France. C’est l’Etat qui de Paris agitera les marionnettes locales, avec un cynisme consommé. Oui, c’est vrai. Marseille est en grand…danger !
José D’Arrigo, rédacteur en chef du Méridional