Saïgon/Kaboul : près de 50 ans plus tard, une même déroute

Des réfugiés sud-viêtnamiens embarquent à bord d'un navire américain en avril 1975 © WKMC

Les commentateurs du drame afghan n’ont cessé, après la chute de Kaboul, d’évoquer la chute de Saïgon en 1975. Rappel des faits et éclairage historique.

Durant la première quinzaine de mars 1975, le processus d’invasion de la république du Sud-Viêtnam par le Nord-Viêtnam communiste s’accélère. Profitant du désengagement américain (les troupes américaines sont sur place depuis 1965, les Français sont partis en 1955), les communistes prennent d’assaut les hauts plateaux. Le repli sud-vietnamien se transforme en déroute. Face à la terrible réalité, les Saïgonnais s’accrochent aux plus folles rumeurs : coup d’état à Hanoï, invasion du Nord-Viêtnam par la Chine populaire, retour des Français…

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Plus réalistes, les Américains ont commencé, à partir du 14 avril, l’évacuation par un pont aérien de leur personnel et des Vietnamiens qui se trouvent sur leurs listes. Mais ils n’ont pas prévu qu’une famille vietnamienne, c’est aussi des oncles, des tantes, des cousins, au moins 40 personnes ! Sans compter les fausses listes mises en circulation par les officines de faux papiers.

Le 21 avril, pour tenter d’obtenir un arrêt des hostilités, l’ambassadeur américain Graham Martin contraint à la démission le président du Sud-Viêtnam Thieu, remplacé par le général Minh que les communistes refusent de recevoir.

Une poignée de défenseurs

Au même moment tombe le dernier verrou de la capitale, Xuan Loc. L’armée sud-vietnamienne se désagrège. Ne reste plus pour défendre la capitale que quelques groupements parachutistes. En face, 18 divisions nord-vietnamiennes en ordre de bataille encerclent Saïgon.

A partir du 28 avril, le vide politique et le chaos militaire règnent à Saïgon. Quelques éléments épars se battent encore, sans espoir, pour l’honneur, parce que ces soldats refusent la dictature communiste des nordistes. Les Vietnamiennes qui le peuvent (tout se monnaie) font la chasse aux célibataires français ou américains car, une fois mariées, elles acquièrent automatiquement la nationalité de leur mari, avec passeport salvateur à la clé. Des milliers de soldats se transforment en civils, abandonnant dans la rue uniforme, grenades, gilet pare-balles et fusil d’assaut. Certains conservent leur arme pour se frayer un passage jusqu’au port et tenter d’embarquer sur un dernier bateau. Partout, des bandes de pillards ; la police laisse faire quand elle ne se joint pas à cette pègre.

Fuir…

L’évacuation par l’aéroport de Tan Son Nut est maintenant sous le feu des canons ennemis et a dû être un moment interrompue. Aussi a-t-il été décidé de mettre en place également une évacuation massive par hélicoptères. Des milliers de civils tentent de rejoindre les aires d’évacuation organisées par les Américains. Tous n’y parviennent pas. Les embarquements à bord des derniers hélicoptères vont se faire à coups de pied et de poing dans une pagaille indescriptible. Le 30 avril, un tank communiste enfonce les grilles du palais présidentiel. Le même jour Saïgon est rebaptisé Hô Chi Minh ville.

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Comment en est-on arrivé là ? L’écrivain et grand reporter Jean Lartéguy, qui était sur place, donne dans son journal « L’Adieu à Saïgon » (Presses de la Cité) l’avis d’un colonel de l’armée sud-vietnamienne las et désespéré : « Les Américains n’ont pas su nous créer une armée parce qu’ils ne nous aimaient pas, qu’ils ne nous comprenaient pas et qu’ils nous choisissaient comme chefs non pas les meilleurs mais ceux qui parlaient anglais et sortaient de leurs écoles. Si cela avait été mon cas, si je n’étais pas sorti des écoles françaises, je serais depuis longtemps général. Je serais sur une liste et j’aurais ma place dans un avion américain pour foutre le camp. » 50 000 soldats américains sont morts lors de la guerre du Vietnam.

Jeanne RIVIERE