Jusqu’où l’histoire se répète-t-elle ? Alors que l’Afghanistan est au cœur des préoccupations internationales, il n’est hélas nul besoin de jouer les Cassandre pour savoir qu’une catastrophe d’une telle ampleur couvait sous la cendre depuis des décennies. L’Afghanistan est resté le symbole de la lutte entre les « Grands » de la Guerre froide jusqu’à la veille de la chute du Mur de Berlin. Entre Américains et Soviétiques, entre mœurs occidentales et mœurs orientales, le malaise se fait sentir : le pays apparaît comme l’échiquier malheureux des enjeux internationaux.
Comprendre la situation actuelle, autant qu’elle peut l’être, c’est analyser les étapes de l’histoire de ce pays lors des années antérieures. La série documentaire d’Arte en 4 épisodes (d’environ 1h chacun, diffusée à l’origine en mars 2020, disponible jusqu’au 11 septembre 2021) esquisse les clés de compréhension de l’éclatement actuel. Les images d’archives sont étayées de témoignages clairs et précis (Hekmatyar, le rival du commandant Massoud, Sima Samar, ministre de la Condition féminine afghane de 2001 à 2003, mais aussi un taliban, un ex-agent de la CIA ou un major de l’ex-Armée rouge.)
« Quarante ans d’un cycle infernal de violence » : tout est dit…
Années 1960. Dirigé par le roi Mohammed Zaher, chah depuis 1933, le pays connaît sa plus longue période de stabilité. Il bénéficie du soutien des deux superpuissances de la guerre froide, les États-Unis et l’URSS. Mais à l’inverse de Kaboul, où vit l’élite afghane occidentalisée, les campagnes, qui regroupent 80 % de la population, ne bénéficient pas des efforts de modernisation du pays. Entre espoir socialiste et révolution islamique, les étudiants de l’université de Kaboul commencent à nourrir des rêves contestataires. Le 17 juillet 1973, appuyé par l’Union soviétique, Mohammed Daoud khan, le cousin du roi, fomente un coup d’État. Il est renversé cinq ans plus tard, pour s’être retourné contre les leaders communistes, et remplacé manu militari par Mohammed Taraki. Interdiction de la religion, extermination des opposants : la politique radicale de ce dernier provoque l’ire des islamistes qui prennent les armes. Le 27 décembre 1979, Moscou envoie ses troupes à Kaboul pour restaurer l’ordre.
Face à l’avancée de l’Armée rouge, de nombreux Afghans rejoignent l’appel au djihad lancé par les combattants islamistes. La résistance de ces moudjahidine – « guerriers saints » – attire aussi des étrangers. Parmi eux, le Saoudien Oussama Ben Laden. Peu familières du terrain, les troupes de l’URSS se retrouvent piégées. Les Américains saisissent l’opportunité de donner l’estocade à l’ennemi soviétique en armant la rébellion afghane. Approvisionnée par l’Occident et le monde arabe, soutenue par la population, qui ploie sous le joug d’un pouvoir communiste intransigeant, la guérilla pousse Moscou à battre en retraite. Le 15 février 1989, Mikhaïl Gorbatchev achève l’évacuation de ses soldats. Les dix ans de guerre laissent le pays exsangue. Plus d’un million de civils ont été tués et cinq millions ont traversé la frontière pour se réfugier au Pakistan et en Iran.
Pendant le conflit, le communiste Mohammed Najiboullah s’est hissé à la tête du pays. Ses tentatives de réconciliation nationale restent vaines face aux ambitions des moudjahidine d’installer une République islamique. Mais le front combattant pâtit de sa désunion. Les commandants Massoud et Hekmatyar se livrent un combat féroce qui mène à la guerre civile. Au milieu du chaos, une nouvelle force émerge : les taliban. Formés dans les écoles coraniques pakistanaises après avoir fui le conflit afghan dans les années 1980, ils gagnent le soutien de la population en promettant l’ordre et la justice. Au pouvoir à partir de 1996, ils font du pays un terreau fertile pour le développement du terrorisme islamiste. Ainsi, l’organisation Al-Qaïda menée par Oussama Ben Laden y a développé son idéologie meurtrière. Le 11 septembre 2001, malgré l’avertissement du commandant Massoud aux Américains, elle réussit à mettre à exécution son plan : frapper en plein cœur les États-Unis.
Les Américains dirigent la coalition internationale pour capturer Oussama Ben Laden et renverser les taliban. Les moudjahidine se joignent aux troupes de l’Otan. En novembre 2001, le régime fondamentaliste s’effondre mais Ben Laden reste introuvable. Malgré tout, un vent d’espoir souffle sur la population : la démocratie émerge et le port de la burqa n’est plus obligatoire. Mais l’extrême pauvreté et la corruption généralisée minent peu à peu le pays. Les taliban, qui avaient réussi à se fondre dans la société après leur débâcle, regagnent du terrain. Le 2 mai 2011, Ben Laden est abattu par les GI au Pakistan. Pour les États-Unis, le but initial est accompli. Mais pour l’Afghanistan, théâtre de nombreux attentats-suicides, le chemin vers la paix reste semé d’embûches. Les taliban s’opposent au gouvernement local et à l’armée américaine, la dernière sur le terrain depuis le retrait des forces de l’Otan en 2014.
De bouleversements en bouleversements, de coups d’État en ingérences étrangères, la population afghane a subi bien des désillusions. Aujourd’hui, le conflit est à l’origine d’une crise migratoire géante. Exsangue, le pays était sous perfusion américaine : est-il encore vivant ?
Afghanistan, pays meurtri par la guerre ; sur Arte jusqu’au 11 septembre 2021.