Matisse en Corse : l’éblouissement des couleurs

Matisse, "La mer en Corse, le Scoud", 1898. Musée de la Corse © Succession H. Matisse

Un éblouissement : c’est sans doute ainsi que l’on pourrait résumer en un mot le séjour d’Henri Matisse (1859-1954) en Corse en 1898. Cette date marque un tournant dans la vie artistique du peintre. C’est sur cette île de beauté que se joue le renversement des acquis académiques et conventionnels du XIXème siècle. Le musée de Corte (Corti en langue corse) prépare une exposition qui promet une magnifique mise à l’honneur de l’artiste.

« C’est à Ajaccio que j’ai eu mon grand émerveillement pour le Sud que je ne connaissais pas encore. Bientôt me vint comme une révélation, l’amour des matériaux pour eux-mêmes. Je sentis se développer en moi la passion de la couleur », confie Henri Matisse dans ses Ecrits et propos sur l’art. Le jeune homme de 28 ans découvre l’île à l’occasion de son voyage de noces en compagnie de son épouse Amélie. Une double histoire d’amour…

Une terre bleue comme une orange

Le bleu et l’orange surtout le frappent. Ces couleurs, il les applique déjà de temps à autre à sa façon dans ses tableaux ; mais il les pressent plutôt qu’il ne les connaît. Les découvrir dans la nature lui ouvre les yeux. « La mer bleue, bleue, si tellement bleue qu’on en mangerait« , écrit-il à l’un de ses amis. Ce voyage marque un déclic dans sa manière de peindre : sur la route du fauvisme, en passant par l’étape du pointillisme. Officialisé en 1905, le fauvisme (dont Matisse s’affirmera comme le chef de file) privilégie les couleurs violentes en larges aplats, les contours marqués et la simplification du dessin, pour une sensation visuelle provocatrice.

Aucun peintre avant Matisse ne s’était aventuré si loin avec une telle liberté artistique. En l’espace de six mois, Henri Matisse peint 55 tableaux qui reflètent l’esprit méditerranéen qui l’a conquis.

Matisse, « Perroquets de tulipes », 1905 © Flickr JL Maziere

Une réunion d’œuvres exceptionnelle

A Corte, le musée prépare une exposition qui rassemble des œuvres rarement montrées au public, et réunies exceptionnellement : 20 de ces tableaux peints en Corse et des dessins à la plume issus de plusieurs musées : le SFMoMA de San Francisco, le Musée Pouchkine de Moscou, la Fondation Rosengart de Lucerne, de nombreux musées français (le Musée d’Art moderne de Troyes, le Musée de l’Annonciade de Saint-Tropez, le Musée des Beaux-Arts de Bordeaux, le Musée Matisse de Nice, le Musée Matisse du Cateau-Cambrésis, le Musée National d’Art Moderne de Paris), la Fondation Pierre et Tana Matisse de New York et de prestigieuses collections privées, grâce au concours de la famille Matisse et des archives Matisse.

L’exposition a été pensée dans la continuité de l’achat réalisé en décembre 2019 par la Collectivité de Corse d’un tableau de Matisse « La mer en Corse, le Scoud » daté de 1898. Cette acquisition revêt une grande importance symbolique pour les collections publiques corses.

Matisse, « La Danse », 1909-1910 © Flickr JP Dalbéra

La période corse de Matisse reste relativement peu connue, malgré son rôle capital dans la vie du peintre et pour la vie artistique de l’époque. L’exposition entend justement la situer dans le contexte de ses œuvres précédentes et suivantes. Elle commence donc en 1895 avec les premières peintures de plein air peintes en Bretagne où Matisse expérimente l’impressionnisme sur les sites peints à Belle-Île par Monet. Elle se termine sur la grande révolution artistique du fauvisme en 1905, grâce à des prêts majeurs, Rue du soleil à Collioure, une aquarelle du Musée Matisse du Cateau-Cambrésis et La Moulade provenant d’une collection privée. Une révélation des couleurs, qui exprime encore aujourd’hui l’émerveillement des voyageurs face à la beauté des paysages corses.

Jeanne RIVIERE

Musée de la Corse à Corti, 1898, Matisse en Corse, « un pays merveilleux », du 24 juillet au 30 décembre 2021 ; l’exposition est en attente d’autorisation pour ouvrir en raison du covid.