Marseille : la fermeture programmée de l’Escale Borély

© Escale Borély Fb

L’Escale Borély va-t-elle mourir ? Les vingt-cinq commerces et les 700 employés qui y travaillent depuis trente ans vont-ils rester sur le carreau ? La question se pose aujourd’hui avec acuité faute de garantie juridique et politique.

L’Escale Borély est un des joyaux touristiques de Marseille au même titre que le stade vélodrome ou Notre-Dame-de-la-Garde. La notoriété de ce site merveilleux, idéalement situé entre la mer et le parc du même nom, est telle que des milliers de touristes et de Marseillais le fréquentent quotidiennement. Les amateurs de baignades et d’apéros adorent ce lieu de plaisirs, de farniente, de joie de vivre et de convivialité qui fait honneur à Marseille.

Or, l’Escale Borély, faute de garantie juridique et contractuelle, est aujourd’hui en état de mort cérébrale. Les brasseries, restaurants, glaciers et commerces de renom voient avec hantise se profiler le 1er juillet 2021, date à partir de laquelle ils n’auront plus aucune existence reconnue et seront donc sous la menace d’une fermeture programmée.

Pour empêcher ce désastre humain et économique, seule une concertation entre les parties prenantes : l’Etat, la ville, les commerçants, pourrait aboutir à un accord pérenne d’exploitation.

Or, l’exploitation du littoral est du domaine exclusif de l’Etat. C’est donc le préfet du département qui en assure la gestion et l’Escale Borély n’échappe pas à la règle. L’Etat a fait concession du site à la Ville de Marseille, laquelle en a confié les rênes à la société de gestion immobilière de la ville de Marseille (Sogima).

Ce contrat d’amodiation entre la ville et la Sogima a parfaitement fonctionné durant trente ans. Depuis la création de l’Escale, en juillet 1991, la Sogima a fait signer des baux commerciaux d’occupation aux commerçants en augmentant chaque année leurs loyers en fonction de l’indice du bâtiment et du coût réévalué de la construction.

Tout marchait sur des roulettes

Bref, tout marchait sur des roulettes et ceux qui avaient pris le risque commercial de s’engager dans cette zone jadis envahie par la mer en bordure de la Corniche se sont félicités de leurs investissements. Grâce à une bonne fréquentation de l’Escale, ils ont pu prospérer et offrir à Marseille une façade maritime exceptionnelle qui a sonné le glas des derniers espoirs du troisième Prado, entre David et le luxueux club privé de La Pelle.

Hélas pour eux, la roue tourne. La convention d’une durée de trente ans conclue entre la Sogima et les commerçants est devenue caduque et les élus de la ville de Marseille ne l’ont pas prorogée en temps utile, tant et si bien que les occupants actuels sont devenus de véritables « squatteurs » jouissant sans droit ni titre de leurs propres établissements !

Cet imbroglio ne satisfait personne. Les « commerçants-squatteurs » ne peuvent plus obtenir de crédits auprès de leurs banques pour rénover leurs bâtiments émoussés par de longs mois de Covid et ils ne peuvent plus faire signer de contrats à durée indéterminée à leur personnel en raison de leur statut précaire de « zombie juridique ». Ils ressemblent à ces canards à qui on a coupé la tête et qui continuent de courir dans tous les sens… en quête d’un hypothétique réconfort du fermier.

A maintes reprises, les restaurateurs ont appelé l’attention des pouvoirs publics sur leur déshérence commerciale et sur la nécessaire prorogation de leurs baux au-delà du 1er juillet 2021. Ils n’ont récolté que de vagues promesses et les nouveaux élus semblent tomber des nues. La vérité, c’est que l’Escale Borély n’est plus qu’un diamant en toc, un bijou de pacotille…

Les incertitudes qui pèsent sur leur avenir ont incité les commerçants à multiplier les démarches auprès des élus pour savoir à quelle sauce ils allaient être mangés. La Sogima et la ville ont été assaillies de questions : proposeront-elles un nouvel appel d’offres pour rénover le site et le mettre en harmonie avec les récents aménagements boisés de la Pointe Rouge ?

Les nouveaux élus, très portés sur l’écologie, exigeront-ils la création d’une voie verte arborée ? Jugeront-ils utiles de remplacer l’éclairage défaillant, d’assurer une meilleure étanchéité des locaux et une réfection du système de rejet des eaux usées ?

De leur côté, les locataires sans bail seront-ils contraints d’en appeler à un expert du tribunal de commerce pour faire respecter leur ancienneté et la légitimité de leur droit à prorogation de leurs baux ?

« Nous n’avons plus aucune garantie et nous pouvons être mis dehors du jour au lendemain », se désole l’un des pionniers de l’Escale, Henri Tulimiero, patron du restaurant « Les Mouettes ». « Si je veux assurer mon établissement ou le vendre, je suis dans l’incapacité de le faire car je n’ai plus de bail en bonne et due forme. » L’Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie a été alertée. Elle prépare une « riposte appropriée ».

Peut-être serait-il judicieux qu’un dialogue constructif s’instaure au plus tôt entre les commerçants et les pouvoirs publics pour éviter que l’Escale Borély ne se transforme en un vaste « no man’s land » nostalgique de sa splendeur passée.

José D’Arrigo, rédacteur en chef du Méridional