Les dix-huit policiers prévenus de vols en réunion par personnes dépositaires de l’autorité publique ont été quasiment relaxés ce lundi soir 19 avril par le tribunal correctionnel de Marseille. Les réquisitions prises à leur encontre par le procureur André Ribes sont en effet des peines de prison assez légères assorties du sursis, ce qui revient à dire qu’ils ne remettront pas les pieds en prison. Evidemment, les journalistes anti-flics vont crier au scandale judiciaire car ils estiment que les policiers de la brigade anti-criminalité de la division nord de Marseille qui avaient pris la liberté de s’approprier les sacoches des dealers qu’ils étaient censés poursuivre sont des voyous. Mais ils auront face à eux les partisans de l’efficacité qui ne regardent que les résultats et la politique du chiffre, sans trop s’attarder sur les moyens d’y parvenir.
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Le procureur s’est demandé quelle était la peine la plus juste à infliger à des policiers coupables de « soustractions frauduleuses » de cartouches de cigarettes de contrebande, de barrettes de cannabis ou de sacoches contenant parfois plusieurs centaines d’euros qu’ils se partageaient ensuite. « Neuf ans après la commission des faits, est-ce que ce sont les mêmes individus que vous allez condamner ? Moi je ne le crois pas, a affirmé M.Ribes. Ils sont redevenus de vrais policiers, certains d’entre eux ont sauvé une famille dans une maison en feu, un autre a neutralisé de justesse l’assassin d’une jeune femme qui allait périr. Et vous voudriez que je sanctionne des gens capables d’une telle bravoure ? »
Il est vrai que le spectacle quotidien de trafiquants de drogue roulant dans des voitures rutilantes et se gavant de centaines de milliers d’euros les a incités peu à peu à transgresser la loi. Et pourquoi pas nous ? On s’octroie un petit bonus sur la bête, on ferme notre gueule, et tout ira bien. La tactique était bien huilée : j’arrive, je prends, je me casse.
Des coups tordus
Jusqu’au jour où un trafiquant plus mariole que les autres leur a monté un chantier en bonne et due forme en faisant constater à son arrivée à l’hôtel de police que sa sacoche avait disparu durant le trajet en voiture. L’astuce consistait à séparer le dealer de sa sacoche, de lui demander combien elle contenait et de dérober le surplus, ni vu ni connu. La seconde ruse, plus courante, consistait à laisser s’enfuir le trafiquant pour l’inciter à lâcher sa sacoche et la ramasser ensuite.
Ce qui ressort aussi de cette affaire outrageusement médiatisée, c’est l’esprit de corps des « Baqueux » qui sont restés unis au-delà des minces divergences mises au jour par l’enquête de l’inspection générale de la police nationale. L’initiateur de ces « coups tordus« , curieusement, est un policier d’élite, un vrai flic capable de déceler la moindre embrouille à distance, doté d’un flair fantastique, aujourd’hui en poste à Aubagne. C’est lui qui a écopé de la réquisition la plus lourde, si l’on peut dire : trois ans de prison dont trente mois avec sursis. Peine couverte par sa détention préventive si le tribunal décidait de suivre le parquet.
L’indulgence de ces tardives réquisitions s’explique aussi par la volonté évidente du parquet de ne pas envenimer ses relations avec la police alors qu’elles ne sont plus vraiment au beau fixe. Il faut bien que les policiers puissent rémunérer leurs indicateurs. Avec de l’argent ou de la drogue. La jeune collaboratrice du procureur a bien essayé deux heures durant de jeter l’anathème sur ces « baqueux » en les traitant de voleurs et de menteurs, sa démonstration a fait pschitt.
Tant et si bien qu’on avait l’impression d’une inversion des valeurs de la part de cette magistrate qui a voulu faire passer pour des victimes les trafiquants de drogue qui amassent des fortunes considérables. Une discrimination positive assez mal perçue car elle visait « une inversion des voleurs ». Elle a beau dire, pratiques « déviantes ou pas », les 18 policiers concernés étaient d’excellents éléments qui faisaient la fierté de leur division. Et permettaient à leur hiérarchie d’encaisser des primes considérables fondées sur leur exceptionnel « chiffre de crânes ».
José D’Arrigo, rédacteur en chef du Méridional