Comment peut-on survivre treize mois sans le moindre revenu ? Telle est la question que pose Christophe Longo, patron de la discothèque « La Joïa » à Aix-en-Provence et président d’un collectif qui regroupe une centaine de gérants de discothèques de la région Sud et de la Corse. « On meurt les uns après les autres dans l’indifférence générale », s’indigne M. Longo qui déplore 300 dépôts de bilan en un an en France. Les patrons de boîtes n’ont pas le sentiment d’être entendus par les pouvoirs publics et ne voient pas le bout du tunnel. Ce désintérêt est-il lié à la suspicion du gouvernement à l’égard des professionnels de la nuit ? En tout cas, Christophe Longo se bat comme un lion et espère une réouverture rapide des établissements. Il a bien voulu répondre aux questions du Méridional.
– M. Longo, comment pouvez-vous tenir le coup sans la moindre recette ?
– Nous bénéficions de prêts garantis par l’Etat pour compenser notre absence de chiffre d’affaires et nous avons droit également au chômage partiel pour nos employés. La Joïa a été indemnisée normalement l’an dernier, mais depuis le mois de décembre je n’ai pas perçu le moindre euro de l’Etat. Je suis obligé de jongler avec le peu de trésorerie qui me reste. Moi, si je perds ma boîte, je perds aussi ma maison et une vie d’économies consacrée à ma passion de la nuit.
– Pourquoi ce blocage des aides du gouvernement ?
– Je pense que je subis les conséquences d’un contrôle fiscal pour lequel j’ai fait appel et cette procédure bloque l’octroi des prêts. Tant et si bien que je ne pourrai bientôt plus payer ma dette fiscale ni rembourser les prêts qu’on m’a attribués l’an passé. Pour moi, c’est une double galère.
– Vous avez été reçu à plusieurs reprises par M. Alain Griset, le ministre chargé des petites et moyennes entreprises. Pourquoi ne comprend-il pas votre détresse financière ?
– Pas du tout, il la comprend très bien. Nous avons engagé le dialogue avec lui car c’est un homme de bonne volonté. Mais comme la plus belle femme du monde, il ne peut donner que ce qu’il a et pour l’instant, on se contente de remplacer de la dette par de la dette.
– Comment faites-vous pour payer le loyer de La Joïa alors que vous n’avez aucun moyen autorisé de rentabiliser votre affaire ?
– J’ai beaucoup de chance : comme j’ai toujours payé mon loyer rubis sur l’ongle, la propriétaire m’a offert deux mois de loyer. D’autres gérants, eux, sont pris à la gorge et 400 d’entre eux sont sur le point de mettre la clef sous la porte car ils ne peuvent plus payer ni leur loyer, ni les charges patronales, ni l’Urssaf.
– Pourquoi ne proposez-vous pas un protocole sanitaire strict pour être en mesure de rouvrir vos établissements ?
– Mais c’est exactement ce qu’on a fait. Nous avons proposé de supprimer les pistes de danse pour éviter toute promiscuité, nous renouvelons l’air de la discothèque toutes les sept minutes grâce à un système d’extraction, notre service d’ordre est capable de faire respecter le port du masque pour toute circulation à l’intérieur de la boîte, nous sommes même prêts à accepter la moitié moins de clients pour respecter les distances nécessaires entre les tables, mais rien n’y fait. Le gouvernement semble oublier que nous représentons 40 000 emplois en France et que de nombreux professionnels tels que les brasseurs ou les alcooliers sont touchés par ricochet. Notre collectif de professionnels revendique désormais un protocole sanitaire allégé tenant compte des progrès quotidiens de la couverture vaccinale.
– Comment expliquez-vous ce mépris des autorités à votre égard ?
– Nous souffrons depuis longtemps d’une prévention négative et d’une réputation sulfureuse, sinon on permettrait aux clubs comme le mien qui disposent d’un extérieur de rouvrir sans le moindre risque. Cette stigmatisation des lieux de fête n’est pas nouvelle alors que la gestion de nos clubs est désormais transparente. Le gouvernement doit comprendre que personne n’empêchera les gens de faire la fête cet été dans des soirées clandestines où les risques de propagation du virus sont énormes. Il devrait faire confiance aux professionnels ainsi qu’aux parents des étudiants qui Å“uvrent de concert pour sécuriser au maximum le déroulement des soirées. Je comprends d’autant moins cet ostracisme que nous sommes très contrôlés, très surveillés, très responsables et, chez nous, les risques de foyers de contamination sont quasiment nuls.
– Votre opération « escargot » sur l’autoroute A 51 en octobre 2020 n’a pas abouti à grand-chose. Pourquoi n’imitez-vous pas les taxis marseillais qui ont bloqué la gare Saint-Charles à l’aide de 800 voitures pour protester contre la concurrence déloyale des Uber ?
– Une telle manifestation de force est impensable pour nous car nous sommes moins nombreux et très légalistes. On vend du plaisir, on vend de la fête et nous sommes considérés comme une activité peu sérieuse. En réalité, les jeunes sont en sécurité chez nous et nous voulons simplement savoir avec précision quand nous pourrons rouvrir et dans quelles conditions sanitaires.
– N’êtes-vous pas les victimes collatérales acceptables du Coronavirus ?
– Oui, c’est vrai. Le syndicat national des discothèques et des lieux de loisir a mis en garde le gouvernement contre la multiplication des débordements festifs cet été dans des lieux clandestins. Nous nous insurgeons contre une fermeture arbitraire qui pénalise des centaines de professionnels passionnés par leur métier et des milliers d’étudiants qui n’ont plus nulle part où aller et sont guettés par le syndrome de la claustration obligatoire. Nous sommes effectivement les victimes collatérales acceptables de la crise sanitaire.
– Est-il exact que vous organisez des distributions de repas gratuits pour les étudiants dans le besoin ?
– Oui. Nous sommes devenus les « discos du cÅ“ur ». A force de fréquenter les étudiants nous avons noué avec eux des relations amicales et nous nous sommes rendu compte qu’ils ne mangeaient pas tous les jours à leur faim. Voilà pourquoi avec notre généreux collègue d’Avignon Bokaos, Christian Bandikian et tous les membres de notre collectif, nous avons organisé en mars de grandes distributions de repas gratuits à proximité de la cité universitaire à Aix.
Propos recueillis par José D’Arrigo, rédacteur en chef du Méridional
En attendant la réouverture de La Joïa, retrouvez chaque semaine les vidéos de « Joïa le jour » sur Facebook et Youtube.