Rubirola n’est déjà plus là…

« Elle était du monde où les plus belles des choses ont le pire destin, et rose elle vécut ce que vivent les roses, l’espace d’un matin… »

Si François de Malherbe, poète baroque, était encore de ce monde, il ne pourrait que constater les dégâts : à Marseille les feuilles mortes se ramassent à la pelle, les souvenirs et les regrets aussi. Michèle Rubirola était une erreur de casting. Les 66 512 électeurs de gauche qui l’ont élue (sur 507 412 inscrits) étaient loin de s’en douter mais ils ont élu un ectoplasme. Une adepte du bel canto écologiste qui se trouva fort dépourvue quand la bise fut venue.

La vérité, c’est que la mairesse, à peine installée, a pris la porte en pleine figure. Elle a constaté, à son corps défendant, que la réalité politique refait toujours surface, quoi qu’on fasse. L’enthousiasme de la campagne et la croyance en une renaissance de la « gauche unie », façon Mitterrand, ont peut-être aveuglé son sens critique ? Toujours est-il que la gestion de la ville de Marseille n’a rien à voir avec la floraison printanière ni avec un attelage brinquebalant qui tient du bric-à-brac. On célèbre sous les lampions les noces des écolos, des socialos, des cocos et des mélenchos et puis six mois plus tard on se rend compte que tous ces braves gens ne peuvent pas se voir en peinture.

D’origine napolitaine et espagnole, Michèle Rubirola adore chanter dans sa chorale des tarentelles qui lui donnent l’illusion d’une harmonie parfaite entre des voix discordantes issues de tessitures différentes. Mais en politique on ne vit pas toujours à l’unisson. La concorde souriante n’est souvent qu’un masque trompeur et un paravent séduisant derrière lequel les militants socialistes affûtent leurs dagues pour faire avancer leurs pions. Un Benoît Payan a trop longtemps végété dans les arrières cours du Gaudinisme pour ne pas avoir aujourd’hui une faim de loup. La guéguerre politicienne, il s’en régale. Michèle Rubirola, elle, n’en a pas le goût et elle ne semble pas de taille à en subir les effets pervers.

Au fur et à mesure qu’elle prend connaissance des dossiers et de l’ampleur de la tâche qui l’attend, Michèle Rubirola rétropédale. Elle s’aperçoit que la mairie est en état de quasi faillite et que sa marge de manœuvre, quel que soit le sujet abordé, est très étroite. Déjà épuisée par les suites d’une lourde opération, elle ne peut plus donner le change. Le vrai maire de Marseille, celui qui officie à sa place en coulisses depuis le début, c’est le socialiste Benoit Payan. En fait, Rubirola n’a jamais été là…

La supercherie de sa candidature primesautière se révèle au grand jour. La gauche marseillaise vole en éclats. Bécassine prend conscience qu’on l’a menée en bateau. Les vieux routiers du socialisme marseillais l’ont habillée d’une rutilante parure censée illustrer la candeur du renouveau. Ils l’ont transformée en marionnette verdoyante affublée d’un sourire avenant en lui dissimulant avec soin qu’elle devrait avaler des couleuvres durant six ans. Elle devrait aussi apaiser les ardeurs belliqueuses des suffragettes qui ont contribué à son élection, à commencer par la pétardière Samia Ghali.

Alors Rubirola s’est dit : « oh lala ! Me prennent-ils pour une andouille ? » La mairesse a décidé de reprendre sa destinée en mains. Est-elle vraiment « the right woman in the right place » ? Les clans et les partis vont à présent donner libre cours à leurs médiocres querelles en faisant cuire leur petite soupe dans leurs petites marmites. Et Rubirola, ce fricot-là, elle n’en veut pas.

Comment simuler plus longtemps qu’elle joue le premier rôle alors que s’active dans ses jupes un Mazarin à la mine chafouine qui lui dicte sa conduite comme s’il était « omniscient, omnipotent et omniprésent » ? La mairesse éphémère de Marseille restera celle qui le 25 août dans les colonnes de « La Provence » s’est flattée d’avoir réussi durant l’été à « récurer les gouttières des écoles qui étaient pleines de feuilles mortes ». Elle restera sans doute une magistrale ramasseuse de feuilles mortes…

Le dénouement de cette mascarade politique va probablement faire ricaner nos confrères parisiens qui en feront une « grosse galéjade ». Les élus de la majorité verseront des larmes de crocodile sur cette « démission regrettable ». Sans doute le docteur Rubirola va-t-elle revêtir une tunique à sa taille, celle d’adjointe à la Santé qu’elle ambitionnait au départ. Ou bien se satisfera-t-elle de la présidence de l’assistance publique des hôpitaux de Marseille ? Ou troquera-t-elle son poste contre celui de son envahissant mentor ?

En tout cas, elle qui prédisait lors de son élection « la fin du clientélisme, du népotisme et du clanisme » a intégré que ces trois combats, fort louables au demeurant, étaient perdus d’avance à Marseille. Le réveil est brutal. Le miroir aux alouettes s’est fracassé sur le réel. Les 99 548 électeurs marseillais de droite et du centre qui n’ont pas voté pour elle n’ont pas le cœur à triompher car leurs champions ont eux-mêmes donné le spectacle pitoyable de la division et des chicaneries.

Quant aux 68 % des électeurs qui n’ont pas pris part au vote, ils rient sous cape. Eux se doutaient depuis le début que Mme Rubirola n’était qu’un épiphénomène qui n’aura duré que ce que durent les roses…l’espace d’un matin.

José D’Arrigo

Rédacteur en Chef du Méridional.com