Ô Capitaine ! Mon Capitaine ! Ou La solitude du Président

Réveillés par l’espoir d’une révolution et l’enthousiasme d’un mouvement « en marche Â», des dizaines de milliers d’inconnus inexpérimentés ont fait adhérer, en mai 2017, près de 21 millions de français à un projet inattendu qu’ils ont porté.

Avec ses meubles renversés, ses fenêtres ouvertes, les gardiens inamovibles du temple et du système politique remerciés, notre Pays se prenait à espérer, respirer et à aspirer aux changements !

La France, l’Europe et le Monde en ont sursauté !

Un peu plus de trois ans après, tous trois s’interrogent sur l’état du navire et la capacité de son capitaine à maintenir le cap initial. Non pas que l’objectif ait changé, il reste largement confirmé et affirmé par le commandant, mais les passagers sont troublés par l’écriture d’une communication qu’ils déchiffrent difficilement et par un équipage diversement rassurant qui semble, à tort ou à raison, les ignorer.

Notre vieux pays n’est ni un voilier de régate, ni un hors-bord.

Il est lourd de son Histoire et d’autant plus difficile à manœuvrer qu’il s’est encalminé dans des décennies de laxisme, parfois de lâchetés, et de gouvernances souvent tétanisées par les changements du Monde, obsédées par la proue plutôt que par l’horizon.

C’est aussi un pays puissant, riche de sa diversité, de son appartenance européenne, fier de savoir, mieux que la plupart des autres nations, concilier liberté et solidarité.

Mais c’est également un peuple qui souffre d’une forme de schizophrénie le faisant osciller, parfois brutalement, entre une envie profonde de réformes, voire de révolution, et la tentation du statuquo frileux d’un présent jugé médiocre mais faussement rassurant.

S’il est possible dans une dictature d’avoir raison contre tous, ça ne l’est pas dans une démocratie rythmée par des élections et dont les corps intermédiaires en sont l’ossature. ! Il nous faut convaincre, expliquer, accepter la concertation et certains compromis, obtenir l’adhésion du plus grand nombre possible avant de décider.

L’Entreprise l’a récemment compris qui casse progressivement ses carcans hiérarchiques, prône la polyvalence de ses collaborateurs, mise sur leur intelligence, innove et affirme des valeurs sociales et environnementales.

L’Etat, ses organisations, ses collectivités et plus particulièrement ses agents doivent le comprendre, et s’approprier les impératifs comme les évidences du monde nouveau qui s’installe. Aux élus de montrer la voie, au-delà des échéances électorales.

Ce ne peut être aux élites d’une école prestigieuse destinée à former des …administrateurs, ni aux fonctionnaires destinés à …fonctionner, de dessiner et d’imaginer le futur de la France en Europe.

Nous devons pouvoir nous affranchir de l’immobilisme naturel des grands Corps d’Etat, indispensables mais dont l’épaisseur dilue les messages et affadie les rêves.

A défaut d’agilité, et de cette nécessaire innovation qui ne doit pas être réservée à l’Economie, nous risquons de voir la conservation et la tactique prendre le pas sur la vision et la stratégie, et d’être dirigés par des têtes bien pleines à défaut d’être bien faites !

De même, il est désolant de constater que le courage du capitaine, la constance et l’énergie qu’il met à rappeler le cap, sont régulièrement trahis ou rendus incompréhensibles par une partie de l’équipage. Partie souvent plus préoccupée par son propre destin, voire par la captation de la lumière du leader pour assurer la brillance de ses galons.

Une escale est prévue en 2022

A défaut de reconstituer son équipage, en s’assurant de son engagement et de sa communication, le capitaine risque d’être remplacé. Beaucoup s’en réjouiront, souvent obsédés par une détestation viscérale qui risque de les rendre indifférents à la qualité, aux objectifs et aux conséquences de la succession. D’autres en seront amers et découragés, déçus de constater que la forme du discours en aura tué son fond !

Il est encore temps de retisser la toile, de raviver l’enthousiasme initial. Et peut-être ainsi, de pouvoir éviter de reprendre, aussi, le dernier vers de Walt Whitman « Je foule le pont ou gît mon Capitaine, étendu, mort et glacé Â».

Yves Delafon

Chef d’entreprise

Ancien relais territorial « En Marche Â»