Jean-Noël BEVERINI : Hommage à Adrien BLES, le chantre de Marseille

Il y a  sept ans, très précisément le 20 mai 2013, Adrien Blès nous quittait. Comment ne pas rappeler en ces jours la mémoire si vivante de cet homme exceptionnel et exceptionnel sous tant d’aspects.

S’il fallait résumer en trois expressions, évidemment imparfaites, la richesse d’un tel homme, je dirais :

  • L’ouverture permanente aux autres,
  • L’amour inconditionnel de sa ville de Marseille,
  • La droiture dans la pensée et l’action.

Adrien Blès vit le jour le 11 février 1921 à Marseille, quartier du Camas, dans une maison construite entre 1665 et 1685. Dès la fin de son élévation en 1685, elle est acquise par l’arrière grand-père, côté maternel, d’Adrien. Le lieu est à l’image de l’homme : paisible et pénétré d’esprit. Le fils d’Adrien, André, l’habite toujours.

Il me sera facile de mettre en lumière les trois qualités annoncées ci-dessus au travers de trois exemples. Dans un tableau qui mériterait d’être bien plus vaste, ce ne sont que trois éclairages.

L’ouverture permanente aux autres

En 1963 Adrien Blès réalise un film historique, une de ses passions, sur l’Abbaye Saint-Victor à l’occasion de la Chandeleur et dans lequel il retrace la vie de la digne abbaye depuis le temps premier des Catacombes. À la même époque, en fonction des nouvelles prévisions de modalités liturgiques, un bronzier parisien, Jean Bernard, propose au Père-Curé de Saint-Victor de réaliser un autel en remplacement de celui existant. Le curé signe. Mais le tronc de l’Abbaye est vide !

« Dieu y pourvoira »  répète le saint homme.

Dieu qui pourvoit va prendre le visage d’Adrien Blès. L’histoire est inimaginable. Adrien crée alors, avec son ami Jean Deltort, les Concerts de Saint-Victor. Le premier concert en novembre 1966 avec le jeune clarinettiste Jean-Christian Michel attire tant de monde qu’une nouvelle prestation, non initialement prévue, est délivrée le lendemain

Le nouvel autel du bronzier est financé au delà des espérances. Adrien se tenait à l’entrée de l’Abbaye ; son fils André, âgé de 15 ans, plaçait les participants …  L’année suivante les Concerts de Saint-Victor résonnaient sous les hautes voûtes durant … huit jours.

Adrien Blès

Adrien Blès poursuivait naturellement son activité professionnelle de représentant d’une grande maison spécialisée en matière de chemiserie et d’habillement, visitant plusieurs départements du Sud de la France. Secrétaire du syndicat de sa branche professionnelle, il est élu au Conseil des Prud’hommes (1965-1982) dont il devient, s’en étonnera t-on, président général en 1976. De telles qualités professionnelles et humaines ne peuvent qu’être reconnues. Notons, au passage, qu’il est élu à la présidence du Conseil à l’unanimité des conseillers, ce qui ne s’était jamais vu.

L’amour inconditionnel de Marseille 

Passionné d’histoire de sa ville, Adrien Blès ne cessera d’écrire, de filmer, de photographier, de communiquer sur Marseille. Il filme en 16 mm, adhère avec quatre de ses amis aux Cinéastes amateurs de Provence (CACP). La maison du Camas se transforme en studio et en salle d’enregistrement. Le film qu’il réalise sur le percement du tunnel du Vieux-Port est présenté en séance privée au maire Gaston Defferre. Ses films sont couronnés de nombreux Prix. Rien n’atteint la simplicité si noble et désintéressée de l’homme qui est élu à l’Académie des Sciences, des Lettres et des Arts de Marseille en 1993, au fauteuil 14, celui de … Frédéric Mistral. 

Il devient conseiller de l’Académie. Rien ne change dans la sérénité de son visage frappé au coin inégalé de l’amitié. Son attachement viscéral à sa ville le conduit à prendre la présidence du Comité du Vieux-Marseille qui, malade, retrouve sous sa direction et son impulsion une santé de jeune homme. Aux prix d’efforts inlassables, tout ce que Adrien Blès prend sous sa responsabilité, secondé magnifiquement et amoureusement par son épouse Maguy, est couronné de succès. Comment cet homme parvient-il à conduire tant de projets ? Il écrit, publie sur Marseille, ses quartiers et réalise son ouvrage fondamental : Le Dictionnaire Historique des rues de Marseille (Ed Jeanne Laffitte). 

Il s’engage naturellement dans la défense, la préservation et la valorisation du patrimoine marseillais. Je n’ose imaginer ce qu’il penserait aujourd’hui du naufrage de la carrière grecque antique de la Corderie, de l’abandon durant tant d’années de la Tour des Catalans … . Je préfère ne citer que ces deux exemples. J’en ai tellement d’autres en tête. Par respect pour Adrien, je choisis de ne pas les évoquer. Le lecteur comprendra de lui-même.

De 1973 à 1987, le voilà responsable pour Marseille du Pré-inventaire des Richesses Artistiques de la France, puis nommé Chevalier de l’Ordre national de la Légion d’honneur.

La droiture dans la pensée et l’action

Je n’ai pas à développer : mon titre se suffit à lui-même. Encore une dernière image. Adrien ne manquait jamais d’humour. Je vous le dis, un homme exceptionnel sous tant d’aspects ! Un jour dans un téléphone il m’annonce, tout heureux en parlant de l’olivier qui resplendit au fond de son jardin et à l’ombre duquel il me conduisait :

«  J’ai doublé cette année la production de mes olives ! J’en ai récolté deux … d’habitude je n’en ai qu’une seule ! ».

On reconnait l’arbre à la qualité de son fruit, dit un texte sacré. Adrien, tu étais un sacré arbre et nous ne finirons jamais de goûter, de savourer la richesse et la beauté de tous les fruits que tu nous as donnés.

Jean-Noël Beverini – Membre de l’académie de Marseille