À Marseille, un soir suspendu avec Il Barbiere di Siviglia

©Opéra Odéon Marseille


Il arrive qu’on change de monde sans quitter la rue. Quelques pas suffisent. Ce soir-là, Marseille bruissait comme une ruche trop pleine. Autour de l’Opéra, la Canebière roulait sa foule, chaude malgré l’hiver. Les chalets de Noël fumaient de vin épicé, les rires s’accrochaient aux guirlandes, la lumière tombait en pluie dorée sur les visages. La ville, fidèle à elle-même, parlait fort, parlait vite, rêvait tout haut à sa manière méditerranéenne d’apprivoiser le froid.


Puis, presque en se glissant entre deux souffles, on poussait la porte de l’Opéra. Et là, d’un coup, le bruit restait dehors. Comme la mer quand on s’en éloigne de quelques mètres. Dedans, l’air changeait. Il devenait plus dense, plus attentif. Une autre fête commençait, discrète, intérieure, celle de Il Barbiere di Siviglia. Une fête qui ne crie pas, mais qui écoute.


Il y a dans ces soirs-là une respiration que Marseille connaît bien. La ville ne s’arrête jamais vraiment, mais parfois elle consent à ralentir, à poser son sac, à s’asseoir. L’Opéra devient alors une sorte de grange lumineuse où l’on vient déposer la fatigue, les humeurs, les impatiences. Rossini, qui avait l’intelligence vive et le rire rapide, écrivait pour ces moments-là. Son Barbier, composé comme on lance une poignée de graines au vent, reste une mécanique vivante, une farce profonde où l’on reconnaît nos petitesses, nos désirs de dominer, nos soifs de liberté. À Marseille, ce jeu-là sonne juste, comme une parole dite à voix haute sur une place publique.


La mise en scène de Pierre-Emmanuel Rousseau ne cherche pas à forcer le sens. Elle laisse faire la vie. Les couleurs circulent, les corps respirent, le mouvement prime sur l’idée. On raconte, simplement, avec gourmandise, comme on raconte une histoire au coin du feu. Et derrière la comédie, on sent le pas ferme de Beaumarchais : Figaro avance, bouscule, renverse. Il ne demande pas la permission. Il sait. Il agit. Dans cette ville qui n’aime guère les barrières trop droites, ce valet-là a l’allure d’un frère.


Les lumières de Gilles Gentner accompagnent ce mouvement avec la patience d’un soleil d’hiver. Elles découpent les coins d’ombre, posent des silences, éclairent les confidences. Par moments, on croirait voir les reflets du Vieux-Port entrer dans la salle, ou la douceur jaune des réverbères de la rue Beauvau et de Camille Saint Saens. L’Opéra n’est plus fermé sur lui-même : il devient un écho, une chambre où Marseille se reconnaît.


Sur scène, tout tient ensemble. Vito Priante fait de Figaro un homme debout, joyeux, indispensable. Son « Largo al factotum » n’est pas un éclat pour briller : c’est une déclaration d’existence. Santiago Ballerini donne au Comte Almaviva une élégance souple, humaine, jamais figée dans le costume. Éléonore Pancrazi, Rosine vive et déterminée, chante comme on ouvre une fenêtre. Son « Una voce poco fa » n’est pas une promesse soumise, mais une décision. Marc Barrard dessine un Bartolo profondément humain, drôle sans méchanceté, tandis qu’Alessio Cacciamani joue des replis ironiques de Don Basilio. Et jusque dans les rôles plus discrets, chacun trouve sa place, comme dans un village où personne n’est inutile.


Dans la fosse, l’Orchestre et le Chœur de l’Opéra de Marseille, sous la direction d’Alessandro Cadario, avancent comme une mer attentive. Les crescendos montent, se replient, éclatent doucement, rappelant que l’eau n’est jamais loin ici. Rien n’est lourd, rien n’est mécanique. La musique écoute la scène, la relance, l’enveloppe, et chaque ensemble devient un moment de pur théâtre vivant.
Quand on ressort, la Canebière est toujours là. Plus calme. Les lumières se sont espacées, la fête s’est amenuisée. Mais quelque chose demeure. Une légèreté dans la poitrine. Un sourire qui ne demande pas d’explication. On a partagé un moment rare, collectif, presque fraternel. Il Barbiere di Siviglia n’est pas seulement un divertissement brillant : c’est une célébration de l’esprit libre, de l’intelligence en mouvement.

À Marseille, il devient un miroir fidèle de la ville elle-même : indocile, généreuse, profondément vivante. Un soir qui rappelle que la culture, parfois, sait encore suspendre le tumulte du monde.

COPRODUCTION 
Opéra national du Rhin / Opéra Orchestre Rouen Normandie 
 
Direction musicale : Alessandro CADARIO 
Mise en scène, décors et costumes : Pierre-Emmanuel ROUSSEAU 
Assistant à la mise en scène : Achille JOURDAIN 
Lumières : Gilles GENTNER

Rosine Éléonore PANCRAZI 
Berta Andreea SOARE
Le Comte Almaviva Santiago BALLERINI 
Figaro Vito PRIANTE 
Le Docteur Bartolo Marc BARRARD 
Don Basilio Alessio CACCIAMANI 
Fiorello Gilen GOICOECHEA
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille 

DATES DE REPRÉSENTATIONS

Vendredi 26 décembre 2025 – 20:00
Dimanche 28 décembre 2025 – 14:30
Mercredi 31 décembre 2025 – 20:00
Vendredi 2 janvier 2026 – 20:00
Dimanche 4 janvier 2026 – 14:30

Philippe Arcamone