C’est une petite révolution qui s’opère sur les rives du Rhône. À l’occasion de l’écriture de son nouveau Projet Scientifique et Culturel, le Musée Réattu a pris le temps de l’introspection pour mieux se projeter vers l’avenir. Loin de se reposer sur ses lauriers, l’institution arlésienne réaffirme son statut de musée d’art de la Ville d’Arles sensible à son héritage patrimonial mais résolument ouvert à toutes les formes de création artistique.
À travers cinq grands axes l’Histoire, le Portrait, le Corps, le Paysage et l’Image, les frontières s’effacent : Désormais, l’art ancien et la création contemporaine ne s’ignorent plus : ils dialoguent. Pensé comme un organisme vivant, ce parcours de 300 œuvres évoluera régulièrement via l’insertion temporaire d’emprunts ou d’acquisitions récentes, offrant un regard neuf et perpétuellement renouvelé sur les classiques du musée.
Ce dialogue entre les époques prend vie grâce aux artistes qui investissent aujourd’hui les salles du musée. Pour le comprendre, nous sommes allés à la rencontre de celles et ceux qui font désormais battre le cœur des collections. Focus sur trois artistes aux univers singuliers, interrogés en exclusivité sur leur vision de ce Réattu réinventé.
Caroline Duchatelet : La naissance du paysage
La recherche de Caroline Duchatelet porte sur le paysage et la lumière c’est une fervente admiratrice de James Turrell, qu’elle considère comme l’un de ses « pères », Caroline Duchatelet explore la « naissance du paysage ». Au Musée Réattu, elle présente deux vidéos focalisées sur l’aube, ce moment de bascule où les formes s’extirpent tout juste de l’inconnu de la nuit.

Ses œuvres, qu’elle nomme « films sablier », ne sont ni des ralentis ni des accélérés classiques. Il s’agit d’une véritable sculpture temporelle: l’artiste condense des heures d’enregistrement réel (parfois jusqu’à 4 heures) en quelques minutes, en calant le montage sur un rythme organique unique, celui de la respiration. Sans aucune retouche numérique ni effet Photoshop, elle travaille la durée comme une dentelle pour restituer la sensation physique de la lumière en mouvement, c’est une « sculpture du temps » qui est proposé.
Comme une promesse, l’œuvre débute dans « l’inconnu de la nuit » où des formes indistinctes émergent peu à peu sans que l’on sache ce que c’est. Il faudra patienter face à l’écran pour saisir cet instant précis où « quelque chose d’inattendu se passe », un dénouement visuel que l’artiste garde jalousement secret hors des murs du musée.
Christine Crozat : Réincarner l’absence
Christine Crozat n’est pas une inconnue au Musée Réattu : depuis son exposition majeure en 2002, elle a tissé un lien intime avec les lieux.
L’artiste cherche avant tout à « refaire vivre les gens ». Fascinée par les détails, elle s’est approprié les célèbres socques du tableau Les Époux Arnolfini de Van Eyck. Sculptés en cire d’abeille, ces patins ont été façonnés à la taille exacte de son propre pied, une manière pour elle de se glisser physiquement dans l’histoire de l’art. Cette volonté de résurrection touche aussi l’archéologie : elle a reproduit en résine rouge une vertèbre de guerrier percée d’un silex pièce historique du musée pour symboliquement redonner vie au défunt.

Le voyage continue au Japon avec la vidéo Amanohashidate. Chaussée de tabis, Christine Crozat y réalise une performance onirique où elle semble marcher dans le ciel, jouant sur la confusion visuelle entre la mer et les nuages. Entre cette illusion aérienne et l’installation olfactive des Savons d’Alep, sa présence au musée est une expérience totale pour les sens.
Julie Rousse : Le Rhône comme un instrument
Julie Rousse, elle, façonne le son. Artiste sonore, elle occupe le deuxième étage du musée historiquement dédié à cette discipline avec Métamorphose, une pièce immersive conçue comme une « fresque sonore » du Rhône.
Depuis 2019, Julie Rousse capte les vibrations du fleuve, du glacier jusqu’à la mer. Équipée de microphones aériens mais surtout d’hydrophones (micros aquatiques) et de capteurs de vibrations, elle enregistre ce qui échappe à l’oreille humaine : le chant des poissons, les mouvements de l’eau, mais aussi l’impact de l’homme.

Diffusée dans une chambre d’écoute à 360° grâce à un dispositif technique pointu issu du GMEM de Marseille, l’œuvre n’est jamais figée. Comme le fleuve, elle s’écoule et se transforme, faisant de cette création une archive vivante et un organisme en constante évolution.
Pour guider l’écoute, une sérigraphie réalisée avec l’artiste Anouck Awood accompagne l’installation. Cette « partition visuelle » circulaire permet au visiteur de se repérer dans le cycle de l’eau, visualisant ce qui se passe dessus, dessous et autour du fleuve.
À travers ces trois regards, le Musée Réattu prouve que sa métamorphose est réussie. Plus qu’un simple lieu de conservation, il s’affirme comme un laboratoire vivant où l’art ancien et la création contemporaine vibrent enfin à l’unisson.
Ryan Kashi


















