À l’heure où s’ouvre à Lomé le neuvième Congrès panafricain, un courant radical, racialiste et de plus en plus lié à des réseaux politico-militaires étrangers prétend incarner la renaissance africaine. Mais derrière la rhétorique enflammée de Kemi Seba, Nathalie Yamb, Franklin Niumsi ou Ibrahima Maïga, beaucoup d’Africains voient désormais les dérives d’un pseudo-panafricanisme instrumentalisé, qui menace autant la pensée politique du continent que l’équilibre de ses sociétés.
Le neuvième Congrès panafricain, qui s’ouvre cette semaine dans la capitale togolaise, devait être un rendez-vous de réflexion stratégique sur la place de l’Afrique dans un monde en recomposition. Il s’annonce finalement comme un examen de conscience. Peut-il encore incarner un horizon politique crédible pour la jeunesse africaine, au moment où des courants identitaires prétendent parler en son nom ?
Depuis quelques années, un « panafricanisme de rupture » gagne du terrain dans l’espace public africain. Ses figures les plus visibles, Kemi Seba, Nathalie Yamb, Franklin Niumsi, ou encore Ibrahima Maïga au Burkina Faso — mobilisent des foules grâce à une rhétorique de confrontation permanente entre l’Afrique et « l’Occident », réduisant les enjeux géopolitiques à une opposition raciale simpliste. L’influence grandissante de ces entrepreneurs politiques inquiète de nombreux intellectuels africains.
Parmi eux, Abdoulahi Attayoub, consultant et président de l’Organisation de la diaspora touarègue en Europe (ODTE-Tanat), qui dénonce dans une récente tribune « l’extrémisme essentialiste » qui menace de dénaturer le projet panafricain. Il y voit une dérive dangereuse, qui « enferme l’Afrique dans un rôle de victime éternelle » et détourne la jeunesse des véritables chantiers politiques du continent.
Un discours racialiste qui rétrécit l’horizon africain
Portés par des réseaux de partisans très actifs en ligne, ces militants érigeant la couleur de peau en principe politique central imposent une vision homogénéisante du continent, où la diversité historique, culturelle et linguistique est balayée au profit d’un récit identitaire étroit.
« En transformant l’expression continent noir en dogme, ils gomment une partie essentielle de l’histoire africaine », rappelle M. Attayoub. De Massinissa à Jugurtha, de Tarek Ibn Ziyad à Saint Augustin, une longue lignée d’Africains fondamentaux pour l’histoire méditerranéenne disparaît dans ce nouveau lexique militant. Pour l’auteur, cette réécriture est moins un oubli innocent qu’une stratégie : celle de reconstruire l’histoire pour justifier un projet idéologique verrouillé.
Une fascination dangereuse pour les radicaux
Ce discours, pourtant approximatif et parfois ouvertement racial, séduit certains régimes africains. En quête de légitimité ou d’un souffle politique, ils offrent une tribune à ces activistes dont les positions flattent la colère d’une jeunesse confrontée à l’injustice sociale, à la précarité et au déclassement.
Mais cette récupération masque, selon Abdoulahi Attayoub, « un vide idéologique » et une incapacité à proposer des perspectives concrètes. En donnant l’illusion d’une renaissance panafricaine, ces États fragiles prennent le risque de nourrir ce qu’il appelle « une imposture politique » qui détourne l’Afrique de ses priorités : gouvernance démocratique, éducation, sécurité, justice sociale.
La tentation de l’ingérence : l’ombre russe
La rupture du vernis militant est apparue plus nettement ces derniers mois.
Au Bénin, l’échec de la tentative de coup d’État visant le président Patrice Talon, menée par des officiers en lien avec des réseaux civils radicaux, a jeté une lumière crue sur les influences extérieures qui sous-tendent ce « panafricanisme anticolonial ».
Pour une partie de l’opinion africaine, l’affaire a révélé ce que beaucoup soupçonnaient : la proximité de certaines figures du mouvement avec les réseaux politico-militaires russes opérant dans plusieurs pays du Sahel et d’Afrique centrale.
Pour Abdoulahi Attayoub, l’épisode a servi de révélateur :
« Les véritables visages de ces activistes sont apparus au grand jour. Leur combat prétendument souverainiste est instrumentalisé par des puissances extérieures qui utilisent l’Afrique comme terrain d’affrontement stratégique. »
Kemi Seba, Nathalie Yamb ou Franklin Niumsi, longtemps présentés comme les chefs de file d’un panafricanisme de la renaissance, sont désormais perçus par de nombreux Africains comme des relais d’influence, plus que comme des porteurs de solutions politiques.
Des fractures internes instrumentalisées
Dans plusieurs pays, ces discours radicaux se greffent sur des tensions locales, qu’ils contribuent parfois à enflammer.
Au Burkina Faso, la mémoire de Thomas Sankara est réinvestie dans une rhétorique guerrière qui trahit l’héritage du leader charismatique.
Au Mali, la question brûlante de l’Azawad ou les tensions autour du Macina sont instrumentalisées au nom d’un pseudo-réarmement identitaire qui ignore les causes profondes des crises : gouvernance, marginalisation, confiance rompue entre l’État et les populations.
Au Niger, ces activistes rencontrent une résistance forte d’une partie de la jeunesse, qui refuse « le discours racial » et réclame des perspectives économiques réelles plutôt qu’un récit victimaire sans horizon.
Le « nouveau panafricanisme » prospère sur les frustrations, mais peine à produire une vision politique solide. Sa logique de mobilisation repose davantage sur la colère que sur la construction.
Pour un panafricanisme lucide et créatif
Face à ces dérives, Abdoulahi Attayoub appelle à dissocier les aspirations légitimes des peuples — souveraineté, justice, fin des relations internationales asymétriques — de la rhétorique identitaire qui les détourne de leur objectif.
L’Afrique doit, selon lui, « affronter ses propres contradictions, ses faiblesses institutionnelles et ses blocages internes ». Une introspection nécessaire pour éviter que les colères populaires, alimentées par l’histoire coloniale, ne soient instrumentalisées par des acteurs extérieurs.
Pour retrouver sa force émancipatrice, le panafricanisme doit renouer avec ses principes fondamentaux : ouverture, pluralité, intelligence politique, capacité à dialoguer avec le monde plutôt qu’à s’enfermer dans la confrontation stérile.
Un tournant décisif à Lomé
Le Congrès panafricain de Lomé offre l’occasion d’un débat de fond :
souhaite-t-on un panafricanisme enfermé dans une vision raciale du monde, ou un projet politique capable d’embrasser la diversité du continent et de proposer une trajectoire de puissance crédible au XXIᵉ siècle ?
Dans les mots d’Abdoulahi Attayoub, le choix est clair :
« Le panafricanisme ne peut retrouver son sens que s’il refuse l’essentialisme racial et s’ouvre à une pensée décomplexée, créative et réellement tournée vers l’avenir. »
Le défi est immense. Mais la légitimité du panafricanisme — comme son avenir — se joueront bien plus dans la capacité à résoudre les contradictions du continent que dans les slogans incendiaires de ses faux prophètes.
Mohamed AG Ahmedou


















