Marseille debout

©Philippe Arcamone - Le Méridional

Le froid est tombé sur la ville dès le matin, un froid sec qui claque au visage. Et pourtant, à 15h00 précises, Marseille s’est levée. Malgré la peur, malgré l’usure, malgré la colère qui couve, une foule compacte s’est rassemblée pour marcher en hommage à Medhi Kessaci, assassiné quelques jours plus tôt à l’endroit même d’où est partie la marche. À l’appel de son frère, Amine Kessaci, figure marquante de la lutte anti-narcotrafic, des milliers de Marseillais ont répondu présents. Très vite, la mobilisation dépasse les frontières de la ville : d’autres grandes villes du pays organisent elles aussi des rassemblements. C’est tout un pays qui vacille et qui réagit.



Une foule transversale et digne


Sur le lieu même de l’assassinat de Medhi, toutes les catégories sociales se mêlent : commerçants, artisans, employés, cadres, entrepreneurs, retraités, étudiants. Beaucoup de jeunes, sidérés mais déterminés, expriment à la fois leur effroi et leur colère. Les familles politiques, souvent opposées, marchent côte à côte. Des élus locaux, des députés.


La République blessée, menacée… mais la République debout.

Dans la foule, la dignité frappe et la stupeur des premiers jours s’est muée en une colère froide, profonde. Ce n’est plus seulement l’émotion qui domine, mais la conscience du basculement.

Christophe, syndicaliste, cadre territorial : « Quand j’ai appris la nouvelle, j’ai d’abord été frappé de stupeur, puis d’effroi, et enfin de colère. Je me suis dit : c’est nous tous qui sommes visés. Medhi était innocent. S’il y avait un avertissement derrière ce meurtre, il est destiné à toute la société. Un palier a été franchi. C’est une opposition frontale avec la République, et c’est violent. Je participe souvent à des manifestations syndicales, mais aujourd’hui, j’ai ressenti une appréhension inhabituelle, presque une menace. Pourtant, je devais être là. Voir que les gens se mobilisent, ça rassure un peu. Mais cette marche ne suffira pas. Cela fait des années qu’on parle du poids du trafic, de la violence. Tout le monde savait. Trop de responsables, trop de citoyens se sont accommodés de cette situation. Quand je vois la dignité dans les regards, l’inquiétude aussi, je me dis qu’il est temps de se redresser. Je pense à la famille Kessaci, une famille martyre. Le courage d’Amine doit devenir celui de toute la ville. »

Robert cadre dans un organisme de formation est venu avec ses jeunes enfants, il témoigne.  » L’ambiance était digne, le silence forçait l’émotion. Les mots prononcés par Amine étaient très forts. Il a dénoncé un système dont le monstre est partout, présent depuis trop longtemps. Amine nous alerte lorsqu’il dit, que ce monstre s’est imposé et immiscé dans nos faiblesses. Il y avait trop de monde mais si j’avais pu approcher Amine et lui parler directement, je lui aurais dit, tiens bon, on est debout avec toi ! »

Et maintenant ?

Tout au long du cortège, un message circule : Ne rien lâcher. Pour Medhi, pour les victimes, pour les familles, pour nos libertés. Et si la solution passait aussi par nous ? Et si les consommateurs de drogues prenaient enfin conscience de leur responsabilité dans le maintien de ce système ? Et si chacun, là où il vit, travaille, étudie, cessait toute complaisance ou fascination envers ceux qui bafouent l’État de droit ? Et si les élus de la République cessaient de tolérer que la loi du plus fort dans les quartiers remplace celle de la République ? On voit bien que le débat émerge déjà : couvre-feu, état d’urgence, quadrillage militaire…etc. Mais avant les réponses institutionnelles, une certitude s’impose : la première résistance doit venir des citoyens. Refuser la complaisance, l’acceptation, le silence, et opposer à la force de la violence la force de la politique.

Parce qu’au fond, c’est ça, le vrai Marseille, bébé.

Philippe Arcamone