Dans les plaines désertiques battues par les vents de l’ouest de Tombouctou, les drones de l’armée malienne, épaulée par les mercenaires russes de Wagner/Africa Corps, multiplient les frappes sur les campements nomades touaregs. En trois semaines, 23 civils ont été tués, dont 13 femmes et enfants, selon un décompte établi à partir des témoignages recueillis dans les cercles de Goundam, Gargando et Tombouctou. Une série de frappes que Bamako continue de présenter comme de simples « opérations antiterroristes », malgré l’absence totale d’affrontements sur les sites visés.
« Une situation proche de Gaza » : des civils frappés, dans un silence mondial glaçant
« Tout le monde sait que ces frappes visent des civils. Et pourtant rien ne change… Les morts s’accumulent, dans un silence mondial glaçant », confie un expert international basé dans la région, évoquant une situation « proche de Gaza » tant par la brutalité que par l’impunité perçue.
Les Kel Ansar : une communauté loyaliste devenue cible
Les Kel Ansar, grande confédération touarègue des cercles de Tombouctou, Goundam et Diré, ont longtemps incarné l’un des piliers locaux de l’État malien. De 2005 à 2022, face aux premiers réseaux jihadistes comme aux vagues successives d’AQMI, d’Ansar Dine ou du JNIM, ils ont maintenu une coopération constante avec Bamako, malgré les pertes, les enlèvements, les exils.
Cette loyauté ne les protège plus. Depuis l’été 2023, leurs campements, leurs puits et leurs marchés sont devenus des cibles régulières.
«C’est une violence administrative autant que militaire : on efface des communautés entières sous prétexte d’antiterrorisme», déplore un acteur local de la société civile.
Tangata : une famille entière anéantie
Dans la nuit du 13 au 14 novembre, un drone frappe la localité de Tangata, dans la commune de Tin-Aïcha. Sous un hangar de branches, sept membres d’une même famille sont brûlés vifs :
- Ali Ag Mohamed Elmehdi (41 ans)
- Toraghite Walet Innabougor (35 ans)
- Leurs cinq enfants, âgés de 7 à 15 ans
Ce n’est pas une bavure. L’armée connaît parfaitement ces campements
affirme un notable de Tin-Aïcha.
Une série noire de frappes dans l’ouest de Tombouctou
- Émimalane (24 octobre) : 8 morts, dont trois fillettes et un nourrisson
- Aratane (6 novembre) : 4 morts, dont deux adolescents
- Zouéra (8 juillet) : 4 morts sur un marché hebdomadaire
- Tangata (13 novembre) : 7 morts, dont une mère et ses cinq enfants
- Eghachar N’Tirikene (14 novembre) : 6 femmes touaregues tuées au crépuscule lors d’un tir de drone et un enfant blessé gravement.
Bilan des trois dernières semaines dans l’ouest de Tombouctou :
- 23 morts civils au total
- 10 femmes tuées (dont 6 à Eghachar N’Tirikene)
- 7 enfants tués
- Aucun combat, aucun mouvement jihadiste signalé, aucune présence armée sur les sites touchés.
Un pouvoir en difficulté au Sud qui se venge au Nord:
Depuis septembre 2025, les régions méridionales sont sous pression croissante du JNIM : routes minées, villages encerclés, flux de ravitaillement coupés.
À Sikasso, Bougouni, Koulikoro, Kita, Ségou et jusqu’à Nioro du Sahel — sous embargo jihadiste depuis plus de deux mois — l’État peine à regagner du terrain.
Pourtant, aucune frappe de drone n’a été enregistrée au Sud, malgré la présence visible de colonnes jihadistes.
Assimi Goïta justifie cette asymétrie lors d’un déplacement à Bougouni :
Les terroristes augmentent la pression pour nous empêcher de frapper le Nord.
Sur le terrain, les habitants donnent une autre lecture : la junte frappe là où les populations sont vulnérables et incapables de riposter. « Les frappes ne visent pas les menaces réelles, elles visent ceux que l’État sait pouvoir frapper sans risque », résume un chroniqueur local.
Le langage officiel : une grammaire rodée des “victimes collatérales”: La junte et ses relais médiatiques utilisent les mêmes formules dans chaque communiqué :
- « dommages collatéraux »,
- « bavure regrettable »,
- « terroristes mêlés aux populations »,
- « le pays est en guerre ».
Cette rhétorique peine à masquer l’essentiel : les drones maliens ne frappent jamais les colonnes jihadistes, ni leurs bases, ni leurs convois. Les civils touaregs, arabes et peuls, eux, paient un tribut sanglant.
Les FAMA ne capturent plus de jihadistes. Elles tuent des civils
affirme un observateur sahélien.
Drones turcs et mercenaires russes : une mécanique d’erreurs fatales
Les Bayraktar TB2 exigent un renseignement précis. Celui-ci repose largement sur :
- les réseaux d’informateurs de Wagner/Africa Corps,
- des rivalités locales instrumentalisées,
- des dénonciations communautaires,
- des logiques de représailles.
Plusieurs ONG parlent d’une « chaîne de mort bureaucratisée » : un renseignement fragile, une validation hâtive, une frappe sur un campement.
Kel Ansar : parmi les premiers opposants aux jihadistes
Entre 2005 et 2022, les Kel Ansar ont payé l’un des plus lourds tributs à la lutte antijihadiste : enlèvements, meurtres ciblés, incendies de villages, taxation forcée, exils.
« Les Kel Ansar ont protégé le Mali quand personne ne le faisait. Et aujourd’hui, c’est l’État qui les vise », dénonce un notable local.
Une fracture nationale ouverte
Dans les campements du Nord, les frappes répétées alimentent :
- une rupture totale de confiance envers l’État,
- une montée des discours de dissidence,
- un terrain plus favorable au recrutement jihadiste.
« Les populations du Nord ne voient plus l’État comme un protecteur, mais comme une menace mortelle », analyse un sociologue malien.
Une faillite sécuritaire, politique et morale
La mort de la famille d’Ali Ag Mohamed Elmehdi à Tangata, comme celle des six femmes d’Eghachar N’Tirikene, n’est pas une bavure. Elle s’inscrit dans une logique punitive qui révèle un pouvoir militaire :
- incapable d’arrêter l’avancée jihadiste au Sud,
- obsédé par la force et la communication,
- déconnecté des dynamiques sociopolitiques du Nord,
- dépendant de partenaires étrangers qui n’ont aucun projet stabilisateur.
Le silence de la communauté internationale renforce le sentiment d’abandon
« Comme à Gaza, tout le monde est informé… et personne n’arrête les massacres », confie un expert international encore choqué par les images de Tangata.
À mesure que les jihadistes étendent leur emprise au Sud, la junte s’acharne sur les populations du Nord — celles-là mêmes qui ont maintenu le Mali debout pendant des décennies.
Le pays s’enfonce dans une crise morale et sécuritaire dont il pourrait ne jamais se remettre.
Par Mohamed AG Ahmedou, journaliste et acteur de la société civile des régions de Tombouctou et Taoudeni




![[Vox Méridional]Obsèques de Mehdi Kessaci : un adieu intime, un cri d’alerte pour une ville sous pression.](https://lemeridional.com/wp-content/uploads/2025/11/2019-12-09.jpg)
![[Vox Méridional] Drones au Mali : la junte frappe les nomades, pas les jihadistes.](https://lemeridional.com/wp-content/uploads/2025/11/a93cf22b-648f-4207-a374-d98fb5bbcc8b.jpg)


![[Vox Méridional] Marseille frappée en plein cœur : après l’assassinat du frère d’Amine Kessaci, un tournant inquiétant dans la lutte contre le narcotrafic.](https://lemeridional.com/wp-content/uploads/2025/11/download.jpg)







