[Vox Méridional] Après la démission de Sébastien Lecornu : la Ve République face à l’épreuve de la stabilité ou à la tentation du pouvoir exceptionnel

La démission de Sébastien Lecornu plonge la Ve République dans une zone de turbulences institutionnelles sans précédent. À la tête du gouvernement depuis à peine quelques semaines, l’ancien ministre des Armées laisse derrière lui un exécutif affaibli, une majorité introuvable et un Président de la République plus isolé que jamais, confronté à une crise de gouvernance majeure. Au-delà du choc politique immédiat, une question s’impose : la France entre-t-elle dans une crise institutionnelle profonde ? Et jusqu’où le chef de l’État peut-il aller pour assurer la continuité de l’État… ou pour redéfinir ses fondations mêmes ?

L’article 16 : la tentation de l’arme constitutionnelle absolue

Le Président de la République dispose, en vertu de la Constitution du 4 octobre 1958, de pouvoirs exceptionnels en cas de crise.
L’article 16, véritable relique gaullienne, lui permet de « prendre les mesures exigées par les circonstances » lorsque deux conditions sont réunies :

  • une menace grave et immédiate sur les institutions, l’indépendance nationale, l’intégrité du territoire ou l’exécution des engagements internationaux ;
  • une interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels.
    Cette disposition, activée une seule fois dans l’histoire (en 1961, lors du putsch des généraux à Alger), est conçue comme un bouclier républicain ultime.
    Mais dans un contexte de paralysie politique, certains y voient déjà un levier de restauration de l’autorité présidentielle voire, pour le chef de l’État, une échappatoire politique et historique.
    Car si l’article 16 permet de concentrer provisoirement tous les pouvoirs entre les mains du Président, il lui offre aussi une marge de manœuvre inédite pour redéfinir le cadre institutionnel.

Une conjoncture internationale propice à la dramatisation

Les tensions mondiales offrent aujourd’hui le décor idéal d’une telle justification : guerre prolongée en Ukraine, menaces hybrides croissantes, instabilité au Proche-Orient, tensions en Nouvelle-Calédonie et cyberattaques répétées contre les infrastructures européennes. Ce faisceau de crises alimente la perception d’un danger global et systémique, que le Président pourrait invoquer pour légitimer l’état d’exception constitutionnel. Derrière cette rhétorique de la “nécessité nationale”, se dessine la tentation de la refondation : celle d’un Président qui, face au blocage parlementaire et à l’usure du régime, pourrait chercher à rebattre les cartes.

Du pouvoir exceptionnel au pouvoir constituant ?


Dans un scénario extrême, l’usage de l’article 16 pourrait ouvrir la voie à un référendum d’initiative présidentielle destiné à “moderniser les institutions”.
Sous couvert de restaurer l’efficacité de l’État, il pourrait s’agir, en réalité, de poser les bases d’une nouvelle République :
une VIe République taillée pour un exécutif renforcé, recentré autour de la figure présidentielle.
Une telle initiative, en reconfigurant le cadre institutionnel, relancerait mécaniquement le compteur politique : une nouvelle Constitution impliquerait une nouvelle légitimité et donc, la possibilité pour le Président sortant de se représenter dans le cadre d’un nouveau mandat.
En d’autres termes, le passage par la crise pourrait devenir l’opportunité d’un nouveau départ personnel et politique.

Entre dissolution, recomposition et refondation : le choix du destin

Trois chemins se présentent au chef de l’État :
Nommer un nouveau Premier ministre pour préserver la continuité, au risque de l’immobilisme ; Dissoudre l’Assemblée nationale (article 12) pour tenter de rétablir une majorité, au risque de l’incertitude électorale ; Ou bien, plus audacieusement, invoquer l’article 16 pour restaurer l’autorité, suspendre temporairement le jeu politique, et proposer une refondation institutionnelle par référendum.
Ce dernier scénario, aussi risqué que séduisant pour un pouvoir affaibli, transformerait une crise politique en moment de refondation historique.

Une Ve République à bout de souffle, mais toujours debout


La Ve République a toujours su résister aux tempêtes, mais elle n’a jamais été aussi divisée.
Son équilibre repose sur la séparation des pouvoirs et sur la légitimité populaire.
La suspendre même temporairement reviendrait à franchir un seuil : celui d’un pouvoir exceptionnel devenu pouvoir constituant.

Entre crise et opportunité, le pari risqué de la refondation


La démission de Sébastien Lecornu place le Président devant un dilemme historique : restaurer la stabilité dans le cadre de la Ve République, ou profiter du désordre pour en écrire la suite.
La tentation est là : article 16, référendum, nouvelle République, nouveau mandat ?
Ce serait une manœuvre de haute voltige juridiquement discutable, politiquement audacieuse, mais stratégiquement imparable. La France serait alors témoin, non d’une crise institutionnelle, mais d’une mutation du régime.


Philippe Arcamone