
À Saint-Paul-lez-Durance, le projet international ITER a franchi une étape décisive dans la construction de son réacteur expérimental. Tous les éléments du système d’aimants supraconducteurs pulsés – les plus puissants jamais réalisés – sont désormais assemblés.
C’est une avancée technique autant qu’un symbole diplomatique. À Saint-Paul-lez-Durance, près de Manosque (Alpes-de-Haute-Provence), le projet international ITER a franchi une étape décisive : l’ensemble des aimants supraconducteurs du futur réacteur de fusion sont désormais assemblés.
Une avancée technique, mais aussi un symbole diplomatique, qui marque un tournant pour ce chantier hors norme, né d’un pari scientifique et politique : démontrer la faisabilité de la fusion nucléaire, cette source d’énergie propre et abondante qui alimente le Soleil.
Le dernier composant livré est le sixième et dernier module du solénoïde central, un aimant cylindrique de 18 mètres de haut pour 1 000 tonnes, fabriqué aux États-Unis.

Une fois monté au centre de la chambre à vide du tokamak – un réacteur de forme torique –, ce solénoïde générera un champ magnétique de 13 teslas, 280 000 fois plus intense que celui de la Terre. Il jouera un rôle clé dans l’initiation et le maintien du plasma, cœur du processus de fusion.
L’assemblage de ce système magnétique, dont la masse totale approche les 3 000 tonnes, illustre la complexité technologique et la coordination industrielle du projet. Les six aimants à champ poloïdal, en forme d’anneau, ont été fournis par la Russie, la Chine et l’Europe.
Les 18 bobines de champ toroïdal, en forme de « D », ont été produites en Europe et au Japon. La Chine a livré les bobines de correction, qui assurent la stabilité fine du plasma, ainsi que les alimentateurs magnétiques, essentiels au fonctionnement des aimants à -269 °C.

Un puzzle industriel mondial
L’ambition scientifique d’ITER repose sur une coopération géopolitique unique. La Chine, l’Europe, l’Inde, le Japon, la Corée du Sud, la Russie et les États-Unis unissent leurs efforts depuis près de deux décennies pour construire cette installation sans équivalent.
Chaque membre participe au financement – 45% pour l’Europe, 9% pour les autres – mais surtout à la fabrication des composants, produits localement puis expédiés sur le site.
Le Japon a fourni les matériaux supraconducteurs du solénoïde central, ainsi que huit bobines de champ toroïdal. La Russie a livré un aimant de neuf mètres de diamètre et 120 tonnes de supraconducteurs pour les champs poloïdaux.
L’Inde a conçu le cryostat, vaste enceinte de 30 mètres de diamètre qui enveloppera l’ensemble. L’Europe, hôte du site, a construit une partie majeure des aimants et cinq des neuf secteurs de la chambre à vide.
« Ce qui rend ITER unique, ce n’est pas seulement sa complexité technique, mais aussi le cadre de coopération internationale qui l’a soutenu dans des contextes politiques changeants », souligne Pietro Barabaschi, directeur général d’ITER. À ses yeux, le projet démontre qu’il est possible de dépasser les tensions géopolitiques pour faire progresser les solutions aux défis climatiques et énergétiques.

Vers un « plasma brûlant »
Le principe de la fusion repose sur l’union de noyaux d’hydrogène (deutérium et tritium) à très haute température, produisant un dégagement massif d’énergie thermique. Pour confiner le plasma – un gaz ionisé chauffé à 150 millions de degrés –, ITER utilise un champ magnétique en forme de cage invisible. C’est précisément le rôle du système récemment complété.
À terme, le réacteur devra démontrer un rendement inédit : 500 mégawatts produits pour 50 mégawatts injectés, soit un gain d’un facteur dix. Ce régime, dit de « plasma brûlant », constituerait une avancée majeure dans la quête d’une énergie de fusion maîtrisée, sans émissions de gaz à effet de serre ni déchets à longue durée de vie.
ITER ne produira pas d’électricité, mais servira de démonstrateur à l’échelle industrielle. Ses résultats alimenteront les futurs réacteurs commerciaux. Dans cette perspective, le projet s’ouvre depuis peu au secteur privé. En 2024, un programme de transfert de technologie a été lancé, visant à partager données, savoir-faire et innovations avec les entreprises engagées dans la fusion.

« Cathédrale scientifique du XXIe siècle »
En 2024, ITER annonçait avoir atteint 100% de ses objectifs de construction. En avril 2025, l’insertion du premier secteur de la chambre à vide dans la fosse du tokamak a été réalisée avec trois semaines d’avance sur le calendrier. Le prochain jalon est connu : produire un premier plasma expérimental dans les années à venir.
Reste que les défis techniques demeurent nombreux : matériaux résistants, contrôle du plasma, gestion des flux de chaleur… Mais pour ses concepteurs, ITER incarne déjà une réponse concrète et pacifique à la transition énergétique. Une vision partagée par les ingénieurs, chercheurs et décideurs qui, malgré la complexité et les retards du projet, poursuivent la construction de ce que certains qualifient de « cathédrale scientifique du XXIe siècle ».
L.-R.M.