
Depuis la préfecture des Bouches-du-Rhône, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, a exposé sa nouvelle doctrine sécuritaire. Une réponse en profondeur à la délinquance et au narcotrafic, pensée comme une rupture stratégique, et incarnée dès l’aube par un coup de filet contre un réseau actif autour de La Castellane.
Dès les premières minutes, Bruno Retailleau annonce la couleur : une opération d’ampleur a eu lieu ce matin même, dès l’aube, à Marseille.
Vingt et une interpellations ont été menées dans le cadre d’un vaste coup de filet contre le narcobanditisme, visant « non pas le bas du spectre, mais le haut ».
L’opération, qualifiée de judiciaire et nationale, mais « aux racines marseillaises », a mobilisé 170 enquêteurs, plusieurs unités de la police judiciaire, du RAID, deux BRI, l’unité nationale d’investigation et Europol. Selon Bruno Retailleau, les cibles étaient presque toutes atteintes à l’heure de sa prise de parole.

Un triptyque inspiré de l’antiterrorisme
Mais ce n’est pas une action isolée. Cette intervention, Bruno Retailleau l’inscrit dans un cadre plus large. Une stratégie nouvelle, articulée autour d’un triptyque opérationnel : judiciaire, sécuritaire et administratif, avec pour ambition affichée d’installer une action de l’État « à armes égales » face à une criminalité organisée qu’il juge désormais plus meurtrière que le terrorisme. « En trois ans, le narcotrafic a fait plus de morts que le terrorisme en quinze ans. »
Le parallèle n’est pas seulement symbolique. Le ministre revendique une transposition directe des méthodes antiterroristes : création d’un Parquet national anti-criminalité organisée prochainement à Nanterre, de cours d’assises spécialisées pour protéger les jurés, et d’un état-major national rattaché à la direction nationale de la police judiciaire (DNPJ).
Ce dispositif réunira sur une même plateforme les services de renseignement, le fisc, les douanes, les armées, la DGSE, Tracfin et les ministères régaliens concernés. Objectif : décloisonner, échanger l’information, cibler les flux financiers, judiciariser dès l’amont.
Une loi née au Parlement
À ce socle étatique, le locataire de la place Beauvau associe une dimension politique qu’il revendique tout autant. La stratégie présentée à Marseille prend appui sur une proposition de loi transpartisane, déposée au Sénat lorsqu’il en présidait le groupe Les Républicains.
Le texte, fruit d’une commission d’enquête, a été adopté à l’unanimité au Sénat, puis à une très large majorité à l’Assemblée nationale. « Une telle unanimité sur un texte régalien, c’est quasiment du jamais vu », insiste-t-il, tout en dénonçant le vote contre de La France insoumise, accusée d’avoir tenté « de déconstruire article par article » un texte qu’il considère comme fondamental. Le vote définitif interviendra dans les prochains jours.
Le terrain, clé de voûte de la doctrine
Mais la doctrine retailleauiste ne se limite pas à la seule centralisation des moyens. Elle repose également sur une inversion du regard : la reconquête du terrain ne saurait, selon lui, venir de Paris. « Je crois en la subsidiarité. Ce n’est pas Paris qui décide, c’est le terrain qui connaît ses délinquants. »
Chaque préfet a été invité à remettre un plan d’action, bâti sur les spécificités locales. La condition ? Avoir les coudées franches, mais aussi rendre des comptes. « Le troc, c’est : vous avez la liberté d’initiative, ayez de l’audace, ayez de l’imagination, mais en contrepartie, je veux des résultats. »
Un « continuum de sécurité » mis à l’épreuve à Marseille
Cette logique s’étend aux collectivités locales, dans ce que Bruno Retailleau nomme le « continuum de sécurité ». À Marseille, il salue la mairie pour son réseau de vidéoprotection. Des chiffres habilement soufflés par le maire Benoît Payan (DVG) lors de l’opération plus tôt dans la matinée en gare Saint-Charles.

Une évolution notable, dans la mesure où la municipalité, sous la bannière du Printemps marseillais, s’était d’abord opposée à l’extension de la vidéoprotection, allant jusqu’à décréter un moratoire.
Le dispositif s’est depuis développé, avec l’appui de l’État, mais sans l’aide financière proposée par le Département, que le maire a refusée, en dépit de la main tendue par Martine Vassal (DVD), présidente du Département et de la Métropole, présente à ses côtés ce matin-là .
Retailleau souligne d’ailleurs aussi l’engagement constant de la Métropole et du Département en matière de sécurité, notamment dans les transports publics. Il rappelle qu’une convention entre l’État et le Département a été signée pour soutenir financièrement les opérations, et mentionne, à propos de la Métropole, « plus de 5 500 caméras installées ».
« Al Capone est tombé par le portefeuille. »
Bruno Retailleau
Même écho à l’échelon régional, à l’attention du président (Renaissance) Renaud Muselier : « Pour la région, ce sont 11 000 caméras. C’est fondamental. » Le ministre salue une implication structurée, avec là aussi une convention signée avec l’État. « Tous les départements ne sont pas autant engagés que celui des Bouches-du-Rhône », précise-t-il, ajoutant que « toutes les régions n’ont pas le même niveau d’engagement. »
Puis, comme pour souligner l’image de consensus local qu’il cherche à installer : « Je ne vais pas vous cacher qu’il y a des étiquettes politiques qui sont différentes. Mais quand on est au service de nos compatriotes, ces étiquettes, elles doivent s’effacer. »
Une guerre de longue haleine
Bruno Retailleau assume une méthode plus discrète que les opérations dites XXL (Place Nette), mais qu’il veut durable. « On peut porter des coups, mais si l’on ne démonte pas les écosystèmes, les points d’illégalité se reconstituent. » Et de rappeler : « Al Capone est tombé par le portefeuille. »
C’est tout l’enjeu des CODAF, comités départementaux anti-fraude, co-présidés par les préfets et les procureurs, chargés de détruire les structures économiques sur lesquelles s’appuient les réseaux.
Narjasse Kerboua