À Marseille, un ancien du STO de 103 ans relance son combat pour être indemnisé

© Alain Robert

Albert Corrieri, contraint au Service du travail obligatoire (STO) en Allemagne durant la Seconde Guerre mondiale, conteste la décision du tribunal administratif de Marseille. À 103 ans, il réclame une indemnisation de l’État pour les vingt-cinq mois passés en camp de travail nazi.

Le nom d’Albert Corrieri ne figure pas dans les manuels d’histoire. Pourtant, son histoire personnelle s’inscrit dans les pages sombres du XXe siècle. Né en 1922, ce Marseillais aujourd’hui centenaire a été embarqué de force en 1943 vers l’Allemagne nazie dans le cadre du Service du travail obligatoire (STO), dispositif imposé par le régime de Vichy. Affecté au camp de Ludwigshafen, il y a travaillé plus de deux ans, blessé lors d’un bombardement, avant d’être libéré à la fin de la guerre.

En mars dernier, la justice administrative a rejeté sa demande d’indemnisation. Saisi en première instance, le tribunal administratif de Marseille a considéré que la requête, présentée près de 80 ans après les faits, ne pouvait aboutir. Albert Corrieri a fait appel de cette décision, comme l’a confirmé son avocat Me Michel Pautot au Figaro.

La reconnaissance du passé, mais pas la réparation

Ce n’est pas la reconnaissance des faits qui est en jeu. Une décision du préfet des Bouches-du-Rhône de 1957 avait déjà confirmé la qualité de « personne contrainte au travail en pays ennemi » pour Albert Corrieri.

Ce que le centenaire demande aujourd’hui, c’est une compensation financière pour ce travail forcé. Le montant réclamé s’élève à 43 200 euros, calculé sur la base symbolique de 10 euros par heure de labeur effectué dans les usines allemandes.

Dans un courrier adressé au président de la République, Emmanuel Macron, l’avocat d’Albert Corrieri parle d’un « devoir de mémoire » mais aussi d’un impératif moral : « La République est redevable envers ces travailleurs que l’État français a contraints et forcés de travailler avec l’ennemi », écrit Me Pautot, rappelant que son client a apporté « la preuve de l’authenticité de sa déportation ».

© Alain Robert

Le STO ne relève pas du régime juridique des crimes imprescriptibles

Le cœur du litige repose sur la qualification juridique des faits. Pour le tribunal administratif, Albert Corrieri ne peut se prévaloir de la loi du 26 décembre 1964, qui rend imprescriptibles les crimes contre l’humanité. Car, selon la justice, il n’a pas le statut de « déporté », ce qui limite la portée de sa demande. Une décision similaire a d’ailleurs été rendue en février à Nice, dans une affaire comparable.

Cette jurisprudence met en lumière une distinction juridique lourde de conséquences : le STO, bien qu’imposé, ne relève pas du même cadre que la déportation raciale ou politique, souvent assimilée à des crimes contre l’humanité. Le délai de prescription s’applique donc, au grand désespoir des survivants qui espèrent encore une reconnaissance concrète.

Albert Corrieri n’est pas le seul à réclamer réparation. Ils sont quelques-uns, encore en vie, à porter cette mémoire oubliée de la collaboration économique imposée. À plus de 100 ans, il continue de témoigner d’un pan peu visible de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Son combat judiciaire, au-delà de l’indemnisation, pose une question : que doit la République à ceux qu’elle a, autrefois, envoyés travailler pour l’ennemi ?

N.K.