Président d’honneur du Festival du Dessin d’Arles, le comédien François Berléand, évoque son rapport instinctif à l’art, ses premières émotions de musée, ses coups de cœur en galerie et sa fascination pour ceux qui savent tracer ce qu’il ne peut faire. Une conversation drôle, libre et profondément sensible.
Installé au restaurant Le Monstre, en plein cœur d’Arles, François Berléand s’apprête à visiter quelques expositions du Festival du Dessin (plus d’infos à suivre sur Le Méridional) aux côtés du directeur artistique, Frédéric Pajak, du maire Patrick de Carolis et d’élus de la ville.
Mais avant cela, il parle. Beaucoup. Bien. Pour Le Méridional, il revient sur un autoportrait de Franz Kline qui l’a bouleversé. Des dessins de Vallotton, Delvaux, Léger ou Sherman… De ses visites hebdomadaires à « Beaubourg » « parce qu’il habitait juste à côté », de son plaisir à observer les gens dans les musées, autant que les œuvres et de son incapacité totale à dessiner : « Depuis la maternelle, je fais des ronds avec des poils autour. Une ligne droite ? » Même pas en rêve.
L’humour, toujours derrière un visage sérieux. Mais surtout, une sincère déclaration d’amour au dessin, à la peinture, à ce qu’il appelle « l’immobilisme » d’un art figé… ou son contraire. Rencontre.

Quel est votre lien avec Arles ?
Je vais être honnête : aucun. (rires) J’ai honte de le dire, mais je n’ai pas de lien particulier avec cette ville. Je la connaissais bien sûr de nom, j’y suis déjà venu une ou deux fois – j’ai déjeuné, dîné, dormi – mais en 73 ans, je ne peux pas dire que je la connaisse vraiment. C’est toujours été bref. Un petit régal à chaque fois, cela dit.
Mais je connais mieux d’autres villes du Sud : Alès, Nîmes, Avignon, Orange. Le théâtre m’a fait sillonner la région : j’ai joué un peu partout, à Aix aussi, au Palais des Papes à Avignon… mais Arles, non, pas encore. Je suis là pour découvrir.

Qu’est-ce qui vous a séduit dans cette invitation à présider le Festival du Dessin ?
J’ai toujours baigné dans l’univers pictural. Depuis tout petit, j’étais « obligé » d’aller au musée, à l’opéra, au théâtre, au cinéma. C’était ma vie. Parfois, je m’ennuyais, parfois j’étais bouleversé. Et ça a perduré.
J’ai eu la chance d’habiter à côté de Beaubourg, (plus communément appelé centre Pompidou, ndlr) j’y allais une fois par semaine. J’ai vu sa construction, son ouverture, et ensuite Orsay aussi. J’y suis toujours allé de moi-même. Et ce rapport autonome à la culture, c’est ce qui fait qu’on se construit un regard.
Qu’aimez-vous dans cette expérience de visite au musée ?
J’adore observer les visiteurs. Il y a ceux qui comprennent tout, ceux qui ne savent pas trop, ceux qui grimacent, les enfants fascinés, les guides qui s’ennuient… C’est un théâtre permanent. Et pour un comédien, c’est une mine.
Je regarde les œuvres, bien sûr, mais aussi les gens qui les regardent. On y voit toutes les strates possibles de l’humanité. Et ça, je pourrais le faire des heures.
Il y a dans ce va-et-vient entre les œuvres et les regards quelque chose de très vivant, de profondément humain. J’adore ce décalage, parfois drôle, parfois touchant.

Le dessin fait-il partie de votre pratique ?
Pas du tout ! (rires) C’est un cauchemar. Je n’ai pas évolué depuis la maternelle. Je ne sais pas dessiner, mais vraiment pas. Je fais des ronds, des poils, des soleils bizarres… même une ligne droite, je n’y arrive pas.
J’ai une mauvaise perception de l’espace. On m’a diagnostiqué tout un tas de troubles : dyspraxie, dyslexie, dyscalculie…
Le dessin, ce n’est pas pour moi. L’abstraction, peut-être. Mais je suis fasciné par ceux qui savent. J’ai vu récemment une expo sur les Picasso de jeunesse au musée Soulages, à Rodez, c’était incroyable.
Ce qui m’a frappé, c’est de voir les œuvres de jeunesse et la façon dont elles s’inscrivent déjà dans un parcours. On voit tout de suite que ce sont des peintres virtuoses, qui évoluent, bifurquent, passent à autre chose. Ce sont des artistes immenses.

Vous souvenez-vous de votre première œuvre achetée ?
Oui, c’était dans une galerie à côté de l’hôtel où je logeais, quelque part dans les pays de l’Est. Je suis tombé sur un dessin, une peinture moderne, très BD, très absurde. Un petit accordéoniste enfermé dans une forme triangulaire, un genre de prison.
C’était à la fois gai et triste. Je l’ai acheté pour trois fois rien, 100 ou 150 francs. À côté, il y avait une autre toile, plus calme, dans les verts et jaunes, un homme dans un fauteuil. J’ai pris les deux.
Puis j’ai acheté une œuvre d’un peintre qui s’appelait Sherman, juif polonais exilé aux États-Unis. C’était très noir, très fort. Je tournais alors un film, Les Milles sur un camp de prisonniers allemands en France, et ce tableau me rappelait cette atmosphère. C’était le début d’une lente collection.
Il y a eu des pièces importantes aussi, comme cet autoportrait de Franz Kline que vous avez choisi pour le festival. Qu’est-ce qui vous a ému ?
Franz Kline, on ne le connaît pas bien en France, il est peu exposé. Mais cet autoportrait… je l’ai trouvé extraordinaire. Très noir, presque morbide. Dès que je l’ai vu, j’ai dit : « Je le prends ! » Il m’a bouleversé. Plus on le regarde, plus on sent une immense tristesse. C’est un dessin qui m’émeut profondément.

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur le dessin comme art à part entière ?
Je trouve que le dessin mérite plus de reconnaissance. Moi, j’ai acheté beaucoup de dessins de grands noms, car c’était une façon d’avoir des œuvres de maîtres pour moins cher.
J’ai des dessins de Delvaux, Vallotton, Léger… Ce que j’aime dans la peinture, c’est l’immobilisme. Et je ne sais pas pourquoi, mais pour moi le dessin, c’est l’inverse. C’est du mouvement, alors que c’est tout aussi immobile.
Peut-être parce qu’il n’y a pas de perspective, c’est plus brut. Pour moi, ce n’est pas un art mineur, au contraire. C’est un art total, juste plus rapide.

Quel regard portez-vous sur l’art et la culture en général en France ?
Je crois qu’on est gâtés. Les artistes sont bien traités. On a des musées magnifiques, les plus beaux du monde. Il y en a partout. Mon seul regret, c’est le nombre d’œuvres majeures qui dorment dans les réserves du Louvre, de Beaubourg, d’Orsay… Il faudrait les faire circuler en province. Dans les musées régionaux, les expositions permanentes sont souvent pauvres. C’est vraiment dommage.
Et votre actualité artistique ?
Pas de théâtre pour l’instant. Mais un film qui sort bientôt, Ange & Cie [comédie réalisée par Vladimir Rodionov, en salle le 7 mai 2025, ndlr] Très sympathique, paraît-il – je ne l’ai pas encore vu (rires).
Narjasse Kerboua