À Marseille, Notre-Dame de la Garde disparaît pour mieux renaître

Pour une fois, ce n’est pas la Bonne Mère qui veille sur Marseille, mais Marseille qui s’élève vers elle. Une pierre de Calissanne a été hissée au sommet du clocher de Notre Dame de la Garde. Geste fondateur d’un chantier colossal. Prétexte aussi à un moment rare : une ville rassemblée autour d’un même symbole, au-delà des postures et des clivages.

Les Marseillais la regardent tous les jours. Pas besoin de croire pour l’aimer. Elle fait partie du décor et du cÅ“ur et qu’il est étrange de voir le ciel de la cité phocéenne sans sa Bonne Mère. Depuis plusieurs jours, la statue de la Vierge, habituellement perchée au sommet de la basilique, s’est effacée derrière un échafaudage monumental. La Vierge dorée n’est plus là, et la ville a les yeux vides.

Alors en ce jour de l’Annonciation, sous un ciel limpide, on a levé les yeux ensemble. Une pierre de Calissanne a été hissée à plus de 200 mètres de hauteur, scellant l’acte de naissance d’un chantier historique. Un geste hautement symbolique pour une rénovation qui l’est tout autant.

La statue emblématique a subi les effets du temps. Embruns, pollution, vent et corrosion ont laissé leurs marques. Un atelier suspendu en pleine hauteur a été installé pour permettre aux ouvriers spécialisés de nettoyer, traiter et redorer la statue à la feuille d’or. Un chantier millimétré, soumis aux caprices du mistral, mobilisant plusieurs entreprises expertes. Objectif : offrir à Notre Dame de la Garde une restauration durable, censée tenir un demi-siècle.

Même le vent chante pour elle

Sur le parvis, une foule compacte. Des officiels bien sûr : le maire de Marseille, Benoît Payan ; la présidente de la Métropole et du Département, Martine Vassal ; le président de la Région Sud, Renaud Muselier… – des mécènes*, des religieux, mais aussi deux donateurs anonymes venus incarner les 30 000 autres, ceux qui ont donné un euro, cinq, dix, parfois cinquante pour une feuille d’or.

Des gens que personne n’a sollicités, mais qui ont répondu. Par attachement, par foi, ou simplement par fidélité à ce qu’ils sont. « Pour une fois, c’est elle qui avait besoin de nous, dira le père Xavier Manzano. Et nous avons répondu à l’appel. »

C’est le père Olivier Spinosa qui prend le micro en premier. Pas de grands discours, pas d’effet de manche. Il pose deux mots sur l’instant : « Bienvenue » et « Merci ». Simples, presque évidents, mais « très forts », dit-il, qui « possèdent dans votre vie humaine un immense poids ».

© Alain Robert

Il les adresse aux institutions, aux entreprises, aux fidèles, aux donateurs modestes comme aux grands mécènes. Tous ceux qui, « par fierté, affection, dévotion », sont liés à ce lieu qui dépasse la foi et le panorama. « Que serions-nous sans notre Bonne Mère ? », interroge-t-il. Une phrase qu’aucun Marseillais ne conteste, croyant ou non.

Il évoque aussi ceux que l’on ne voit pas dans les discours officiels : les ouvriers du chantier. « Personne ne grimpera jamais aussi près de la Bonne Mère qu’eux », souligne-t-il. Ces ambassadeurs d’un chantier que tous observent, là-haut, dans le silence suspendu du clocher.

Il raconte aussi cette nuit de mistral. Le vent s’engouffre dans les tubes de l’échafaudage. Une vibration étrange. Un chant. « Le mistral aussi voulait honorer ce chantier. » À Marseille, même les bourrasques ont l’accent sacré.

Contre les clichés, un autre visage

La suite, c’est Xavier Manzano qui la donne, au nom du cardinal Jean-Marc Aveline. « Ce chantier, on le fait par amour de la Bonne Mère, de Marseille et de ses habitants. »

Un message tout aussi poétique mais plus politique. « On donne souvent à Marseille le privilège des trafics, de la criminalité, des zones de non-droit. » Il s’arrête. Le silence s’installe. « Ce privilège, je le crois, est aussi une injustice. Un fascisme du regard. » Pas besoin d’en dire plus.

Ce qu’il décrit ensuite, c’est l’autre visage de Marseille. Celui qui ne fait pas la une. Celui qui se lève tôt, qui donne sans qu’on le lui demande, qui se rassemble quand ça compte. Une ville capable de se mobiliser. De se rassembler. « Depuis la venue du pape François chez nous, jusqu’ici, quand un grand projet nous mobilise, quand il s’agit d’accueillir un événement marquant, quand il faut montrer son cÅ“ur, Marseille se rassemble, au-delà des clivages et des différences, et elle sait montrer son plus beau visage. »

© Alain Robert

Ce que Marseille laisse au sommet

Le chantier durera huit mois. La statue sera nettoyée, traitée, recouverte de 40 000 feuilles d’or. Le clocher restauré pierre par pierre. Un atelier suspendu au-dessus de la ville, protégé du vent, du feu et du temps. Livraison prévue : 8 décembre 2025, jour de l’Immaculée Conception. Mais la date compte moins que le geste.

Car ce 25 mars, ce n’était pas une cérémonie. C’était une transmission. Dans la pierre montée au sommet a été glissé un parchemin, signé par tous les acteurs du projet. Un message pour les générations futures. Une trace concrète d’un moment où Marseille, pour une fois, n’a pas demandé. Elle a donné.

Narjasse Kerboua


*Les mécènes du chantier. Plusieurs entreprises du territoire ont soutenu le lancement de cette restauration : CMA CGM ; Compagnie Fruitière ; Olympique de Marseille ; Caisse d’Épargne CEPAC ; groupe Pernod Ricard ; groupe Onet ; CIC Lyonnaise de Banque ; groupe SNEF.