Longtemps reléguée au rang de caprice hormonal, l’endométriose est aujourd’hui l’une des pathologies chroniques les plus fréquentes chez les femmes en âge de procréer. À l’occasion de la Journée mondiale, le Dr Jean-Philippe Estrade, gynécologue-obstétricien à l’HPP d’Aix-en-Provence, alerte sur une maladie complexe, encore trop souvent minimisée. À l’Hôpital privé de Provence, un centre d’expertise tente de changer les règles.
« L’endométriose est une maladie dans laquelle un tissu semblable à la muqueuse utérine se développe en dehors de l’utérus. » C’est court, c’est simple — et c’est ainsi que la décrit l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Mais derrière cette définition d’apparence anodine, le Dr Jean-Philippe Estrade, spécialiste reconnu de la pathologie, déroule une mécanique biologique et culturelle bien plus vaste. Car l’endométriose, dit-il, « est une maladie qui fait mal deux fois : une fois dans le corps, une fois dans le regard médical ».
La douleur, c’est le fil rouge. Et pas qu’en période de règles. Douleurs pelviennes, digestives, urinaires, douleurs pendant les rapports, parfois même thoraciques ou scapulaires. « Le plus caractéristique, au départ, c’est la douleur cyclique. Mais ensuite, au fil du temps, le cerveau s’hypersensibilise, explique-t-il. Il intègre la douleur, l’anticipe, la généralise. C’est comme un bleu sur lequel on appuie tous les mois. »
Résultat : un cortège de symptômes souvent invisibles à l’imagerie, qui échappent aux radars diagnostiques et laissent les patientes seules face à leurs sensations. « L’endométriose, c’est comme un cancer du sein à l’envers : les symptômes arrivent avant les images. »
Et quand les examens ne montrent rien, les patientes repartent avec un verdict violent : « c’est dans votre tête ». Et pourtant, elles souffrent. Un écart qui alimente les doutes, les remises en question, et parfois le soupçon d’hystérie, au sens clinique du terme.
« On nous a appris le traducteur pour les symptômes masculins. Mais pas pour les femmes »
Dr Jean-Philippe Estrade
« On nous a appris le traducteur pour les symptômes masculins. Mais pas pour les femmes » livre sans détour le praticien. Il dénonce une médecine encore profondément marquée par une culture paternaliste, où les douleurs des femmes sont minimisées. « Dans l’esprit collectif, une femme malade, ce n’est pas trop possible. C’est souvent elle l’aidante. Dans la famille, on s’inquiète toujours plus pour un homme. » Et le phénomène se renforce au fil des consultations : « Les femmes qui entendent qu’elles exagèrent finissent par culpabiliser. Elles arrêtent de consulter. »
Pourtant, la pathologie est loin d’être rare. Un peu trop fréquente, même, pour certains praticiens débordés. « Il y a des gynécologues qui vous disent : “Ce n’est pas possible, c’est la cinquième patiente aujourd’hui. Ce n’est pas une endométriose, c’est juste des règles douloureuses.” » Comme si le réel ne devait pas se répéter.
Écouter, examiner, proposer
Face à ce constat, le Dr Estrade, lui, a fait du diagnostic précoce et de la prise en charge globale une priorité avec en premier lieu « écouter. Dès la première consultation, on peut comprendre 90% des choses si on prend le temps de poser les bonnes questions. »
Ensuite vient l’examen clinique, « qui doit être doux, autorisé, expliqué ». Puis l’échographie, souvent plus utile que l’IRM qui vient ensuite si besoin : « dans 80 à 90 % des cas, cela permet déjà d’avoir une bonne idée. » Le traitement, quant à lui, repose sur deux piliers : soulager et accompagner.
Soulager, cela veut dire « recadrer les antalgiques, qui sont souvent pris à l’aveugle et en quantité ». Accompagner, cela veut dire proposer une contraception hormonale adaptée – quand la patiente ne souhaite pas de grossesse – ou orienter vers une chirurgie, une PMA, une préservation ovocytaire, en fonction du bilan. « Ce n’est pas une maladie qu’on soigne en ligne droite. Il faut s’adapter, en permanence. »
Mais aussi – et surtout – ne pas réduire la médecine à la molécule. « Il y a les centres de douleur chronique, les soins de support, l’alimentation, la sophrologie, l’acupuncture, le yoga… »

Luna, l’algorithme qui ne juge pas
C’est aussi pour lutter contre l’errance médicale que Jean-Philippe Estrade a cofondé Luna, avec Inès Ben Amor. Une application gratuite, validée scientifiquement et dopée à l’intelligence artificielle, qui propose un dépistage précoce et anonyme.
En quelques minutes, via une série de questions, l’outil établit un score de risque d’endométriose, et oriente vers un professionnel de santé formé à l’écoute de ces patientes. « Ce que permet Luna, c’est de poser une question — sans être jugée. La machine ne vous dira jamais que c’est dans votre tête. Elle donne un pourcentage. Et ensuite, elle vous propose un rendez-vous. »
Depuis son lancement en 2019, plus de 70 000 tests ont été réalisés et depuis avril 2024, 2 000 femmes ont été suivies via Luna, notamment à l’Hôpital privé de Provence (HPP). La structure a ouvert, il y a deux ans, un centre d’expertise pluridisciplinaire, qui propose un parcours de soins cohérent, humain, et rapide, sans renvois en boucle entre services.

Un pôle d’excellence
Avec plus de 500 interventions par an, dont 100 cas complexes, il s’impose aujourd’hui comme un pôle de référence régional. IRM, échographie, chirurgie robotique Da Vinci, plasmajet, assistance en réalité augmentée… la technologie est au service d’une approche globale, avec deux parcours hospitaliers dédiés, un suivi infirmier renforcé et des équipes aguerries.
« Une patiente doit pouvoir rencontrer la bonne personne au bon moment », résume Dr Estrade. Chirurgiens, gynécologues, médecins de la douleur, de la reproduction, sages-femmes, sexologues, sophrologues, tout le spectre de la maladie est couvert, jusqu’au suivi post-opératoire à domicile. « C’est souvent au moment où la maladie s’impose que les patientes découvrent – ou redécouvrent – leur corps.
Ce parcours, c’est aussi pour beaucoup de patientes une manière de reprendre le pouvoir sur leur corps. »
Pour en parler sans tabou, l’HPP propose une table ronde ouverte à toutes et tous ce mercredi 26 mars à 18h30, sur le thème : « Rencontres et innovations : vers une endométriose sans douleur ? » Un rendez-vous en présence de spécialistes, à suivre sur place ou en ligne pour rompre le silence autour d’une maladie qui ne doit plus rester invisible.
Narjasse Kerboua
Table ronde gratuite — mercredi 26 mars à 18 h 30 à l’HPP
« Rencontres et innovations : vers une endométriose sans douleur ? »
En présence de médecins, sages-femmes, soignants. Diffusion en direct possible ici.