
En visite ce lundi 24 mars sur les sites de Marcegaglia et Kem One, le ministre de l’Industrie Marc Ferracci a défendu une réindustrialisation fondée sur la décarbonation. Mais entre prix de l’électricité, concurrence mondiale et raccordement à la ligne à haute tension, les industriels du bassin de Fos attendent encore des engagements concrets.
Le décor a de quoi faire rougir un roman de Zola rechargé aux électrons. Fos-sur-Mer, ses vapeurs industrielles, ses convois d’acier, son électrolyse géante. Ce lundi 24 mars, Marc Ferracci, ministre délégué à l’Industrie, a enchaîné les casques sur deux sites stratégiques : Marcegaglia, sidérurgiste italien décidé à produire de l’acier bas-carbone, et Kem One, chimiste français qui électrolyse le sel pour fabriquer du PVC. Deux haltes, une même partition : la souveraineté industrielle, version décarbonée. Et surtout, un territoire sous haute tension, au sens propre comme au figuré.
Chez Marcegaglia, c’est un projet à 750 millions d’euros qui s’annonce. Mistral, c’est son nom, promet deux millions de tonnes d’acier par an d’ici 2028. Exit les hauts-fourneaux et le charbon, place aux fours électriques et à la ferraille recyclée.
Le ministre, en visite dans la halle de l’ancienne Ascometal, aujourd’hui reconvertie, salue un projet « emblématique de la stratégie de souveraineté industrielle ». Et insiste : « L’acier, tout comme la chimie, sont des industries de base qui alimentent l’ensemble des chaînes de valeur, de l’automobile à la défense. »
Le groupe italien veut doubler les effectifs d’ici la mise en service, moderniser l’usine existante et construire une nouvelle unité. L’entreprise mise sur son autonomie financière, mais aussi sur les synergies du territoire : logistique fluviale, accès au rail, canal, proximité de GravitHy et NeoCarb.
Le ministre, lui, parle « d’alignement de tous les acteurs du territoire » et ne cache pas sa satisfaction de voir « les lignes bouger » au niveau européen sur la clause de sauvegarde et la taxation carbone aux frontières. En creux, une mise en garde : les industriels engagés dans la transition ne peuvent pas être les seuls à payer.

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Chlore, soude et COâ‚‚ en moins
Un peu plus loin, toujours dans la zone industrialo-portuaire, changement de décor mais même cap. Chez Kem One, on électrolyse du sel pour produire chlore, soude et hydrogène. Et on vient d’investir 200 millions d’euros dans une nouvelle salle d’électrolyse, baptisée Elyse, pour remplacer un procédé vieillissant au diaphragme par une technologie à membrane bipolaire. Résultat attendu : 35% d’économie d’électricité, près de 50 000 tonnes de CO₂ en moins, et une efficacité démultipliée.
« C’est un projet historique pour Kem One », affirme Alain Consonni, directeur du site. Il faut dire que l’entreprise consomme, à elle seule, autant d’électricité qu’une ville comme Aix-en-Provence : deux térawattheures par an.
Les deux industriels partagent une même attente : de l’électricité en quantité, à prix stable. Et vite. « Il faut fournir à nos industriels des prix de l’électricité compétitifs et pérennes », martèle Marc Ferracci. Une phrase adressée à EDF, mais aussi à tous ceux qui suivent avec attention le projet de ligne à très haute tension (THT) entre Fos et Jonquières (Gard).
Longue de 65 kilomètres, cette liaison 400 000 volts est censée répondre au doublement attendu de la demande dans la zone. Le tracé de moindre impact a été validé fin 2024, mais le projet suscite une opposition farouche, notamment en Camargue et chez les agriculteurs. « Il faut faire atterrir les projets vite, et sans casser le lien avec les territoires », ajoute le ministre.
Un centre de gravité d’une réindustrialisation
Mais la compétitivité passe aussi par des règles du jeu équitables. Sur la sidérurgie, Marc Ferracci ne cache plus son impatience : « Il faut faire en sorte que des activités comme celle de cette usine soient préservées de la concurrence, notamment chinoise », insiste-t-il. L’acier importé, produit à bas coût avec de l’électricité issue du charbon, n’a pas les mêmes contraintes.
La France presse Bruxelles d’agir. Et le ministre se félicite que « la Commission européenne ait récemment annoncé une évolution de la clause de sauvegarde dès 2025 », ainsi qu’une révision du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM), prévue pour 2026. Des mesures destinées à éviter que les industriels européens ne soient les seuls à payer le prix de la transition.

Entre deux transfos, le ministre n’oublie pas de parler d’Europe. Le dialogue stratégique sur la chimie débute, les textes européens sur les matières premières critiques (Critical Raw Materials Act) se précisent, et la France joue des coudes pour défendre ses filières lourdes. « Nous avons construit une alliance des industries lourdes avec plusieurs pays », rappelle-t-il. Une manière de poser Fos comme le centre de gravité d’une réindustrialisation qui s’invente sous tension.
Dans ce contexte, un débat public inédit s’ouvrira le 2 avril 2025, organisé par la Commission nationale du débat public (CNDP). Il couvrira une quarantaine de projets industriels ou d’infrastructures à horizon huit ans, pour tenter de construire une vision d’ensemble sur les besoins en énergie, transport, logement, emploi ou environnement dans le bassin de Fos-Étang de Berre.
L.-R.M.