Marseille, carrefour stratégique du commerce indo-européen

Emmanuel Macron and Narendra Modi. French President Emmanuel Macron and Indian Prime Minister Narendra Modi attend a departure ceremony at Marseille Provence airport in Marignane as part of a visit in Marseille, Southern France, February 12, 2025. Le President Emmanuel Macron et le Premier ministre indien Narendra Modi assistent a une ceremonie de depart a l aeroport Marseille Provence a Marignane dans le cadre d une visite a Marseille a Marignane mercredi 11 fevrier 2025
Emmanuel Macron et le Premier ministre indien, Narendra Modi au départ de Marseille. © Alain Robert

Marseille a accueilli Emmanuel Macron et Narendra Modi pour une visite stratégique. Derrière les hommages et la ferveur populaire, un enjeu majeur : ancrer la ville comme porte d’entrée européenne du corridor IMEC, future grande route commerciale entre l’Inde et l’Europe.

Le cérémonial est huilé, millimétré. Avant d’entrer dans le dur des affaires, Emmanuel Macron et Narendra Modi ont soigné la symbolique. Hommage au cimetière de Mazargues (9e) où reposent des milliers de soldats indiens tombés durant la Première Guerre mondiale, salut aux porte-drapeaux, Marseillaise.

Puis direction le consulat indien, inauguré sous les acclamations d’une foule acquise à la cause de « Modi », scandant son nom au rythme des tambours traditionnels. Le Premier ministre indien goûte son moment de ferveur. Du haut des marches, il salue, avant d’être rejoint par le président de la République pour le dévoilement de la plaque. Une parenthèse protocolaire, vite refermée.

L’IMEC, un corridor pour réinventer les routes commerciales

Car derrière cette visite, il y a une équation stratégique à résoudre : le commerce indo-européen, l’axe maritime à structurer et le rôle de Marseille dans l’histoire. En quatre lettres : IMEC (India-Middle East-Europe Economic Corridor).

Ce corridor commercial, lancé lors du G20 de New Delhi en 2023, veut restructurer le commerce mondial en créant une route alternative au canal de Suez. Il doit relier l’Inde à l’Europe via le Moyen-Orient et la cité phocéenne entend bien y jouer un rôle central. Entre le port de Marseille Fos et CMA CGM, la France veut capter une part du grand jeu maritime qui se dessine.

Alors changement de décor. Exit les drapeaux, bienvenue dans l’univers des écrans de contrôle et des cartes de flux maritimes. Au Fleet Center (centre de navigation) de CMA CGM, au 15e étage de la tour éponyme, Rodolphe Saadé reçoit les deux chefs d’État avec une pointe d’humour, confiant qu’il est « tellement ravi de leur venue qu’il en a presque perdu sa voix. »

La plaisanterie fait sourire, mais le patron de CMA CGM ne perd pas son objectif. L’Inde est un marché stratégique et il veut que son groupe y prenne une part encore plus grande.

Le Fleet Center de CMA CGM suit en temps réel une flotte de plus de 600 navires de l’armateur. © Alain Robert

CMA CGM, un géant en Inde qui veut s’agrandir

L’armateur n’est pas un nouveau venu sur le marché indien. Présent dans le pays depuis 34 ans, le groupe emploie 17 000 collaborateurs sur place et opère 18 services maritimes reliant l’Inde au reste du monde.

Il a investi dans les terminaux de Nhava Sheva et Mundra et développe des solutions logistiques à travers sa filiale Ceva Logistics, qui contrôle 11% de la logistique du pays. Son groupe vient d’acquérir Standard Logistics, une entreprise clé du transport intérieur indien.

« Je crois en l’Inde. Le timing est parfait. Nous voulons être partenaires« , assure Rodolphe Saadé, qui veut développer une flotte sous pavillon indien, des chantiers navals sur place, un ancrage industriel encore plus fort. L’Inde, de son côté, pousse son plan « Maritime Vision 2047 », qui vise à moderniser sa flotte, ses ports et ses infrastructures logistiques. Des ambitions qui convergent donc !

Emmanuel Macron saisit l’opportunité. « Nous voyons la pertinence du projet IMEC : Marseille peut clairement être la porte d’entrée de l’ensemble du marché européen. » Logique autant que stratégique. La ville est déjà un hub clé – au 5e rang désormais – pour les câbles sous-marins, garantissant une connectivité mondiale. Dans un contexte où les tensions en mer Rouge rallongent les trajets et menacent la stabilité du commerce maritime, l’IMEC prend une nouvelle dimension.

Mais pour que l’Inde se positionne comme un acteur clé de cette nouvelle route commerciale, elle doit aussi structurer ses propres hubs portuaires. À ce titre, Emmanuel Macron interroge directement Narendra Modi. « Quel port stratégique pour l’Inde ? » Réponse immédiate, « Vadhavan ». Situé sur la côte ouest, ce méga-port en construction doit devenir un hub de premier plan, capable de rivaliser avec Singapour et Dubaï.

Un choix qui marque une préférence nette, alors qu’un autre projet plane en arrière-plan. En 2023, l’Inde, via le conglomérat Adani, a racheté une partie du port israélien de Haïfa. Mais avec les tensions au Proche-Orient, ce projet est-il toujours viable ? La question reste entière.

Le port de Marseille Fos veut capter le flux

Derrière les discussions stratégiques sur le commerce maritime, le port de Marseille Fos n’entend pas rester au second plan. Christophe Castaner, président du conseil de surveillance du Grand port maritime de Marseille, ne s’en cache pas. « Soyons clairs : c’est un projet à long terme, mais nous avons franchi une étape clé. Marseille doit être la principale porte d’entrée méditerranéenne vers l’Europe. »

Le port phocéen gère 72 millions de tonnes de marchandises par an, accueille 10 000 navires et veut capter une part majeure du trafic IMEC.

Gérard Mestrallet, envoyé spécial du président pour le corridor, le souligne. « L’IMEC sera l’un des plus importants projets d’infrastructures des prochaines décennies. Il ouvrira à Marseille une porte d’échanges maritimes, numériques et énergétiques des plus prometteuses. »

Trois grands projets sont déjà sur la table : un hub hydrogène euro-méditerranéen, une connexion ferroviaire renforcée entre Marseille et Lyon, et un réseau de câbles sous-marins pour la connectivité numérique.

Un projet qui doit se structurer

Le corridor IMEC prend forme et la visite de Narendra Modi à Marseille en aura été une étape importante. En reconnaissant officiellement la ville comme un pivot stratégique du commerce indo-européen, la France et l’Inde tracent une feuille de route où infrastructures maritimes, connectivité numérique et énergies renouvelables s’imbriquent. Encore faut-il structurer cet élan en engagements concrets.

Le forum économique sur IMEC évoqué par Emmanuel Macron pourrait être l’occasion de rassembler les acteurs du Golfe, de l’Europe et de l’Asie autour d’un projet commun et d’avancer sur ce chantier appelé à remodeler durablement les routes du commerce international.

Narjasse Kerboua

Jean-Noel Barrot, Georges-Francois Leclerc, Renaud Muselier, Benoit Payan et Emmanuel Macron sur le tarmac de l’aéroport Marseille Provence après le départ du Premier ministre indien. © Alain Robert

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