Phocea DC, un data center qui s’ancre dans le local à Marseille

Crédit photo - Yves Tenaglia

À contre-courant des mastodontes du numérique, Phocea DC inaugure à Marseille un data center de proximité. Petit, local et écoresponsable, ce projet propose une alternative souveraine adaptée aux besoins des TPE-PME régionales.

Avec ses 18 câbles sous-marins reliant 57 pays et plus de 5 milliards d’utilisateurs, Marseille vient d’atteindre la sixième place mondiale pour le trafic de données et ambitionne toujours d’intégrer le top 5 des hubs numériques.

Sa position stratégique en Méditerranée, qui réduit coûts et délais de transmission, attire les géants du secteur. Des acteurs comme Digital Realty ont su exploiter ce potentiel en développant un campus de data centers d’envergure internationale.

À contre-courant des mastodontes du numérique, Phocea DC, créé en 2023, inaugure ce jeudi 23 janvier son premier data center de proximité. Niché dans un ancien bâtiment logistique du 3ᵉ arrondissement, sur 1700 m2, ce centre de données revendique un modèle alternatif.

Avec une capacité de 1,2 MW, le site est modeste, mais parfaitement calibré pour accueillir TPE, PME, start-ups et collectivités. « Nous ne sommes pas un hyperscaler. Ici, tout est pensé pour le local », affirme Damien Desanti, fondateur de Phocea DC, épuisé mais enthousiaste.

Des ambitions écoresponsables affichées

Et pour cause. La réhabilitation du bâtiment des années 1970 a nécessité d’importants travaux en moins d’un an : renforcement des planchers pour supporter des charges de plus de 20 tonnes au mètre carré, intégration des groupes froids et électrogènes à l’intérieur, et traitement acoustique poussé.

Chaque détail a été peaufiné pour minimiser l’impact sur le voisinage. « Nous avons travaillé avec un bureau d’études spécialisé pour que les groupes électrogènes n’engendrent aucune nuisance sonore. Même en pleine charge, on n’entend rien », précise le CEO.

Avec un PUE (Power usage effectiveness) de 1,2 – soit bien en dessous de la norme européenne de 1,3 prévue pour 2030 – et des systèmes ne consommant pas d’eau, le data center se veut « exemplaire », défend-il.

Quelques mois seulement après sa création en mai 2023, Phocea DC a réalisé une levée de fonds de 5 millions d’euros auprès de Reflexion Capital, structure réunissant des investisseurs privés, qu’ils soient entrepreneurs ou family offices. Ce premier tour de table a permis à la start-up de financer l’installation de ce datacenter de nouvelle génération. Crédit photo – Yves Tenaglia

Si le data center intègre des technologies avancées, certaines ambitions initiales ont dû être adaptées aux réalités techniques et réglementaires.

Par exemple, l’intégration de groupes électrogènes à hydrogène, jugée trois fois plus coûteuse mais plus écologique, a été abandonnée faute d’un cadre légal adapté. « Nous étions prêts à faire l’investissement nécessaire. Les autorités et même des groupes de travail comme France Hydrogène n’ont pas pu apporter de réponses définitives, ce qui rend tout projet difficile à concrétiser pour l’instant. Cela ne veut pas dire que nous abandonnons cette idée, mais il faudra attendre des évolutions réglementaires pour aller plus loin. »

C’est une démarche presque militante

Damien Desanti

La récupération de chaleur fatale, un autre axe envisagé, s’est également heurtée à des contraintes techniques et économiques. « Rénover les systèmes de chauffage de bâtiments existants demande des investissements considérables, souvent impossibles sans soutien public », déplore-t-il.

Il espère néanmoins travailler avec la Ville et les collectivités pour intégrer cette chaleur dans de nouvelles infrastructures, comme des quartiers en construction ou des piscines municipales.

Un pari stratégique sur le local

Le patron mise sur des relations de long terme avec les entreprises locales. « Une TPE qui choisit nos services est là pour des années. » Ce modèle repose sur un accompagnement personnalisé, où chaque client bénéficie d’une solution adaptée à ses besoins.

À l’inauguration, le site affiche 25 % de sa capacité réservée (sur 250 baies informatiques disponibles). « Un chiffre prometteur pour un projet lancé il y a moins d’un an. »

Dans un secteur largement dominé par les hyperscalers, pour Damien Desanti, l’implantation de Phocea DC dépasse le simple enjeu commercial. « C’est une démarche presque militante, confie-t-il. Proposer une alternative souveraine, locale et écoresponsable est essentiel pour répondre aux besoins des collectivités et des entreprises. C’est garantir un actionnariat majoritairement français et protéger les données de toute ingérence étrangère. »

Répondre aux besoins locaux et régionaux avant tout

Marseille, qui combine des câbles sous-marins, une connectivité exceptionnelle et un dynamisme régional, pourrait devenir un exemple européen en matière de numérique. « Marseille doit être l’exemple de comment conjuguer les très gros hyperscalers en périphérie et des data centers de proximité intra-urbains », affirme Damien Desanti.

Face à l’explosion de la demande pour les infrastructures numériques, la Ville et la Métropole ont élaboré un schéma directeur. Ce plan stratégique, issu de nombreuses consultations, vise à encadrer le développement des futurs data-centers tout en répondant aux contraintes foncières et énergétiques.

L’objectif : préserver l’équilibre urbain, limiter l’impact écologique et optimiser l’intégration de ces infrastructures dans l’espace métropolitain.

En appui à ces initiatives, l’État recommande de concentrer les nouveaux projets en périphérie de Marseille, dans des zones comme Plan-de-Campagne ou Bouc-Bel-Air. Ces secteurs offrent des terrains disponibles à des coûts maîtrisés et disposent de capacités énergétiques mieux adaptées à des installations massives comme le futur MRS6 de Digital Realty.

Ce choix stratégique permettrait de déployer des infrastructures à grande échelle sans alourdir les contraintes au sein de la ville, tout en maintenant Marseille au cœur des échanges numériques mondiaux.

Dans ce contexte en pleine effervescence, Damien Desanti est fortement sollicité. « Que ce soit par les investisseurs français, étrangers ou les foncières, tout le monde voit en Marseille un eldorado pour les data centers. Les demandes affluent en permanence », explique-t-il.

Pourtant, Phocea DC reste fidèle à sa stratégie : « Je n’ai pas répondu aux offres pour développer ailleurs. Tout est dans le nom : Phocea DC, c’est Marseille et ses environs. Nous voulons répondre aux besoins locaux et régionaux avant tout ».

N.K.

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