Pour Rachida Dati, Marseille souffre d’un patrimoine sous-protégé

Avec seulement 93 monuments classés, Marseille accuse un retard historique en matière de protection patrimoniale. En visite dans la cité phocéenne, la ministre de la Culture, Rachida Dati, a souligné l’urgence de protéger ce patrimoine unique et dévoilé une stratégie ambitieuse pour valoriser des trésors souvent négligés.

« Marseille est une ville sous-protégée. » La déclaration de Rachida Dati, prononcée sur les escaliers de l’imposante cathédrale de La Major, résonne comme un appel à l’action.

Avec seulement 93 monuments classés, la deuxième ville de France est « très loin de Bordeaux (384 monuments), de Lyon (241) et même d’Aix-en-Provence », a précisé la ministre de la Culture. Un comparatif chiffré et objectif qui permet de mesurer le chemin à parcourir.

Depuis 2023, 24 monuments ont rejoint la liste des sites protégés, parmi lesquels la fontaine Cantini, le grand escalier de la gare Saint-Charles ou encore le monument aux Mobiles des Bouches-du-Rhône.

Mais pour Rachida Dati, ce premier pas reste insuffisant. « L’objectif est clair : nous devons quasiment doubler le nombre de monuments protégés à long terme », a souligné la ministre de la Culture, rappelant que ces actions s’inscrivent dans une politique nationale visant à sauvegarder les 4 000 édifices religieux en péril en France.

Cinquante nouveaux sites classés d’ici 2026

Piloté par la DRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur, un projet inédit à l’échelle nationale vise à faire entrer plus de cinquante nouveaux sites marseillais dans le cercle des monuments historiques classés d’ici 2026.

L’idée ? Redonner à Marseille la reconnaissance qu’elle mérite. Parmi les sites concernés, le Palais de la Bourse, siège de la Chambre de commerce et d’industrie métropolitaine, le Palais du Pharo, vestige du passage de Napoléon III, mais aussi des trésors plus discrets comme l’obélisque de Mazargues ou la Bastide Saint-Joseph.

Certaines églises sont aussi dans le viseur : l’église Saint-Ferréol-les-Augustins, en bordure du Vieux-Port, et l’église Saint-Martin-d’Arenc figurent parmi les lieux qui pourraient bénéficier de cette revalorisation. Le patrimoine profane n’est pas oublié avec le centre Notre-Dame du Roucas ou encore la fontaine Estrangin.

Mais c’est la Bonne Mère qui cristallise les attentes. Ce symbole mondialement connu, jamais classé jusqu’à présent, devient semble-t-il, une priorité ministérielle. « Que serait Marseille sans la Bonne Mère ? C’est l’âme de la ville, le premier repère de tout Marseillais ou visiteur », a insisté Rachida Dati, surprise que la gardienne de Marseille ne soit pas déjà classée au patrimoine historique.

Et d’annoncer que son classement serait l’un des piliers de ce programme « formalisé [auprès de l’État] en novembre dernier », a quant à lui précisé le président de la Région Sud, Renaud Muselier.

Toutefois, le diocèse de Marseille, propriétaire de la basilique, a indiqué dans un communiqué que « les discussions sont en cours » et qu’aucune décision n’a encore été prise pour accepter ou refuser le classement. [Lire ici]

Agir pour préserver

« On ne classe jamais pour se faire plaisir. On classe pour agir, martèle la ministre. Je ne veux pas qu’on se limite à sécuriser, réparer ou bricoler en attendant le prochain drame. » Pour elle, le classement est un moyen de prévenir plutôt que de réagir, permettant des restaurations planifiées et durables. Les erreurs du passé – interventions mal encadrées ou travaux bâclés – ne doivent plus se reproduire. « Le patrimoine, c’est notre passé, mais aussi notre avenir. »

La Major et Notre-Dame de la Garde ne sont pas seulement des joyaux locaux, mais aussi des moteurs touristiques. « Ce sont des lieux où se mêlent histoire, communion et curiosité. Même ceux qui ne croient pas se retrouvent dans ces lieux de rassemblement populaire », a-t-elle poursuivi, mettant en lumière la portée universelle du patrimoine religieux.

La ministre a d’ailleurs développé son propos en insistant sur la dimension inclusive de ces édifices : « Vous n’êtes pas obligé d’être croyant ou d’appartenir à une confession pour entrer dans une église. Vous pouvez vous installer, vous recueillir, méditer ou simplement admirer. Ces lieux sont ouverts à tous, sans préjudice de l’exercice du culte. C’est cela aussi, leur force : accueillir, rassembler, offrir un espace de paix dans une société où les divisions sont nombreuses ».

Des collectivités engagées

La ministre de la Culture n’a pas manqué de saluer les collectivités locales pour leur rôle clé dans cette dynamique patrimoniale. De la Ville de Marseille au Département des Bouches-du-Rhône, en passant par la Région Sud, chacun met la main à la poche. « Les collectivités ne se désengagent pas par plaisir. Maintenir un tel engagement, c’est garantir la cohésion sociale et préserver ce qui fait l’identité de la ville. »

À titre d’exemple, la restauration de l’église des Réformés, financée à hauteur de 18 millions d’euros – dont 11,7 millions apportés par le Département et 6,9 millions par la Ville de Marseille – illustre cet effort collectif pour préserver un patrimoine emblématique.

Mais comment ne pas voir dans l’annonce récente de Benoît Payan, présentant le dispositif « Pépites patrimoniales » lors de ses vœux à la presse, une initiative opportunément alignée avec la dynamique nationale portée par l’État ? Ce programme, qui vise à raviver des lieux marseillais emblématiques, arrive comme un écho direct aux priorités affichées par le ministère de la Culture.

Redonner une voix au patrimoine oublié

Depuis Cosquer Méditerranée (la réplique de la grotte Cosquet, qui jouxte le Mucem), où elle a accompagné Renaud Muselier, président de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur, pour la visite virtuelle du site, Rachida Dati a pu entendre le rôle moteur revendiqué par la Région.

Une stratégie qui inclut également des projets comme le sanctuaire de la Sainte-Baume ou la chapelle Matisse à Vence. « Avec l’État, nous construisons une culture vivante, entre sauvegarde du patrimoine et création contemporaine », a déclaré le président de la Région Sud.

Renaud Muselier a aussi mis en avant le contrat de plan État-Région, doté de 8 millions d’euros, qui soutient des initiatives comme la réhabilitation de la Cité des arts de la rue à Marseille. « Ces partenariats, c’est le mélange parfait entre mémoire et modernité. On préserve ce qui nous lie au passé tout en inventant ce qui nous propulse dans l’avenir », a-t-il ajouté, assumant fièrement le rôle de la Région dans cette ambition.

La liste est longue, tout comme le chemin à parcourir pour redonner une voix à un patrimoine qui, trop souvent, a souffert en silence.

N.K.