Le projet de giga-usine photovoltaïque Carbon à Fos-sur-Mer a obtenu un avis favorable de l’enquête publique, sous réserve de respecter de nombreuses conditions. Entre enjeux écologiques, pression sur les infrastructures locales et ambitions industrielles, le point sur un dossier sous haute surveillance.
Avec ses 45 hectares de béton et ses deux halls principaux de production, Carbon Sud veut jouer dans la cour des grands. Objectif : produire chaque année 5 GWc de cellules photovoltaïques – l’équivalent de 25 km² de panneaux solaires.
C’est dans les bassins ouest du Grand Port Maritime de Marseille (GPMM) que cette giga-usine doit voir le jour, à Fos-sur-Mer une localisation stratégique. Le silicium brut arriverait par bateaux, les panneaux terminés repartiraient par rail ou mer, limitant les émissions liées au transport.
L’investissement est colossal : 1,7 milliard d’euros, dont une aide de l’État à hauteur de 4 millions via le guichet French Tech Souveraineté. Carbon Sud promet de réduire les émissions de CO₂ de 40 millions de tonnes sur dix ans.
Un symbole pour une France qui court après son indépendance énergétique et ses objectifs climatiques. Mais comme le soulignent les conclusions de l’enquête publique, le dossier révèle des failles.
Préserver le pic épeichette et le milan noir, deux espèces protégées
L’enquête publique, menée entre novembre et décembre 2024, avait pour objectif d’informer le public et de recueillir ses avis sur ce projet d’envergure. Elle visait à analyser les impacts environnementaux, économiques, et sociaux de la future giga-usine, tout en vérifiant la compatibilité du projet avec les réglementations en vigueur, comme le Plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI) et le Plan de prévention des risques technologiques (PPRT).
En outre, l’enquête devait s’assurer que le porteur de projet réponde aux préoccupations soulevées en matière de biodiversité, de sécurité et de mobilité.
Et c’est justement la biodiversité qui pourrait payer le prix fort. Malgré la forte industrialisation de Fos-sur-Mer, le projet touche une zone où subsistent encore quelques écosystèmes fragiles. Parmi les espèces protégées identifiées dans la zone, le pic épeichette, un oiseau de petite taille vivant principalement dans les boisements, et le milan noir, un rapace migrateur, figurent au premier plan des préoccupations.
L’emprise prévue de 45 hectares a déjà été réduite par rapport à l’estimation initiale de 62 hectares. Cette concession vise à limiter l’impact sur les espaces naturels de la zone industrialo-portuaire. Mais selon le document de 70 pages, l’aménagement des 45 hectares grignotera quand même des habitats essentiels pour ces deux espèces, déjà mises à mal par la fragmentation des espaces naturels.
« Les impacts résiduels sur la biodiversité devront faire l’objet d’un suivi rigoureux », insiste le commissaire enquêteur. Parmi les engagements de l’entreprise figurent ainsi la préservation d’une bande littorale de 20 mètres et la création de corridors écologiques pour permettre la circulation des espèces.
Des investissements complémentaires pour limiter l’aggravation du trafic
Sur le papier, Carbon Sud promet une usine propre. Mais l’activité génèrera 20 000 conteneurs par an et un ballet de camions sur des routes déjà saturées. Les élus locaux ont déjà exprimé des inquiétudes quant à la capacité des infrastructures à absorber ce surcroît d’activité.
« Des investissements devront être réalisés pour éviter des tensions supplémentaires sur le réseau routier », indique le rapport. Parmi les conditions posées figure l’optimisation de la logistique, une recours accru à des énergies décarbonées, avec des engagements pour des navettes électriques, l’utilisation de voies ferrées et fluviales.
Si Carbon Sud s’engage à privilégier le transport par rail et par voie maritime, le rapport recommande d’étendre les études pour inclure l’effet cumulatif des futurs projets industriels (H2V Fos, GravitHy, Neo Carb). « Les conditions de circulation ne sont pas dégradées ou restent acceptables, en comparaison à la situation projetée avec mesures de réduction », note le commissaire enquêteur.
Toutefois, il insiste sur l’importance d’un suivi continu et d’investissements complémentaires pour limiter l’aggravation du trafic.
À noter. En juin 2023, l’État et la Région ont signé un accord engageant 770 millions d’euros de financements publics sur un total de 1,5 milliard, dans le cadre du contrat de plan dédié à la mobilité et aux infrastructures de transport en Provence-Alpes-Côte d’Azur pour la période 2023-2027. Parmi les projets inscrits, la liaison routière Fos-Salon occupe une place stratégique. Ce tronçon de 25 km, reliant la zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer à l’A54 via Port-Saint-Louis-du-Rhône et Grans, est régulièrement saturé, nécessitant des aménagements pour fluidifier le trafic et soutenir le développement économique local.
Respecter les engagements
L’enquête publique a reçu peu de contributions : seulement sept sur le registre numérique et une sur papier, sans opposition majeure. Carbon Sud prévoit toutefois la création d’un comité de suivi regroupant collectivités, associations et experts afin d’assurer une concertation continue sur la mise en Å“uvre et le suivi des engagements.
Malgré les réserves, l’enquête publique s’est soldée par un avis favorable. Carbon Sud s’est engagé à respecter les exigences du PPRT (Plan de prévention des risques technologiques) et à coopérer avec le SPPPI (Secrétariat permanent pour la prévention des pollutions industrielles). Les rejets atmosphériques et les impacts sur la qualité de l’air seront étroitement surveillés.
Le commissaire enquêteur précise que la réussite du projet dépendra du respect strict des engagements pris, notamment en matière de mobilité et de biodiversité.
Début des travaux cette année mais…
Déposée en avril 2024, la demande de permis de construire franchit une étape majeure avec l’avis favorable de l’enquête publique, même assorti de nombreuses conditions.
Les premiers travaux de la giga-usine sont annoncés pour 2025 et la production des premiers modules photovoltaïques à Fos-sur-Mer dès 2026, sous réserve que les 4 millions d’euros engagés par l’État soient complétés par les apports des investisseurs privés.
Christophe Mirmand, préfet des Bouches-du-Rhône jusqu’il y a encore quelques jours, rappelait que « le site de Fos-sur-Mer est attractif grâce à sa proximité avec la zone portuaire, mais cela ne garantit pas que les investissements se concrétiseront automatiquement, surtout dans un contexte de crise économique et internationale ».
Le feu vert de l’enquête publique pourrait envoyer un signal rassurant aux partenaires industriels et renforcer leur engagement. Désormais, la décision finale revient à la préfecture des Bouches-du-Rhône. Elle devra vérifier que les engagements fixés par le commissaire enquêteur sont scrupuleusement respectés avant d’accorder le permis, dernière clé – sauf recours – pour éclairer l’avenir de ce projet solaire.
Narjasse Kerboua