Ce mardi 31 décembre, L’Épuisette, institution marseillaise du Vallon des Auffes, a fermé ses portes après 48 ans d’exploitation sous la direction de Bernard Bonnet. La Métropole a attribué la gestion du restaurant à The Social Club et la chef Coline Faulquier, qui prendront les rênes dès ce 1er janvier 2025.
« Vous n’aurez pas les clés ! » lance Bernard Bonnet, gérant de L’Épuisette, ce mardi 31 décembre, à 11 heures tapantes, devant les journalistes qu’il a conviés. Face à lui, l’huissier de justice envoyé par la Métropole franchit le seuil de cette institution marseillaise. « Donnez-moi une date, dans ce cas », réplique la représentante, visiblement désemparée. « Ce soir à 18 heures, mon huissier se rendra dans les locaux de la Métropole pour vous les remettre. Nous ne sommes pas prêts. »
L’atmosphère est électrique en ces dernières heures d’existence de ce lieu mythique marseillais. Bernard Bonnet, amer et peinant à dissimuler son émotion, a repris la gestion de l’établissement en 1992, succédant à son père.
Depuis 1976, le restaurant fonctionnait grâce à une Autorisation d’occupation temporaire (AOT) du site, laquelle prend fin ce 31 décembre, comme l’a stipulé la Métropole d’Aix-Marseille-Provence dans un courrier adressé aux propriétaires de L’Épuisette le 22 octobre dernier, par courrier signé de Didier Réault, vice-président de la Métropole délégué à la mer et au littoral.
Face à cette situation, le gérant et son chef, Guillaume Sourrieu, ont tout tenté pour sauver l’établissement : d’abord en participant à l’appel d’offres émis par l’intercommunalité, puis en lançant une pétition mobilisant près de 9 800 Marseillais. En vain.
Une procédure lancée le 3 janvier
« Faire un déménagement dans un établissement aussi chargé d’histoire, en trois jours et un 31 décembre, ce n’est pas simple », confie Bernard Bonnet, épuisé aux côtés de son équipe qui s’active pour charger les derniers cartons à l’entrée du restaurant.
D’une voix tremblante, le gérant exprime sa frustration : « Comment en est-on arrivé là aujourd’hui ? Ce scénario repose sur la malveillance et le mensonge. Le résultat, c’est qu’une étoile marseillaise disparaît. Et pour qui ? » Il dénonce plusieurs irrégularités dans le processus de sélection. « Il y a des éléments dans ce dossier que je trouve scandaleux et malhonnêtes. Ces éléments feront l’objet d’une procédure devant le juge administratif dès vendredi 3 janvier », affirme-t-il.
Selon lui, The Social Club, qui a remporté l’appel d’offres, aurait eu accès à des informations confidentielles concernant la gestion de L’Épuisette.
Il y a un an, des négociations avaient eu lieu pour vendre le bail au groupe hôtelier, mais aucun accord n’avait été trouvé entre les deux parties. Bernard Bonnet est persuadé que ces informations ont permis à son concurrent de surenchérir et de remporter l’appel d’offres. Résultat : finalement, le nouveau bail « sera signé gratuitement pour une durée de 10 ans, alors qu’un rachat du fonds de commerce (que ce dernier estime entre un million et deux millions d’euros) était envisagé. C’est de la colère ! », lâche-t-il.
Autre grief : le flou des critères de sélection de l’appel d’offres (dont la commission était composée de membres de la Métropole et de la Ville de Marseille entre autres), estimant qu’ils auraient favorisé The Social Club. Selon lui, les évaluations étaient incohérentes, notamment sur les critères financiers, de tarification et environnementaux : « Financier (5,85 pour eux, 6 pour nous), tarification (6 pour chacun) et environnemental (5,80 pour eux, 6 pour nous). »
La chef étoilée Coline Faulquier prépare son arrivée
Malgré l’amertume de ce dénouement, l’avenir de l’établissement est désormais scellé avec sa reprise à partir de janvier 2025. The Social Club, implanté à Nîmes et dirigé par Denis Allegrini ainsi qu’Audrey et Christophe Chalvidal, vainqueur de l’appel d’offres, s’associe à la chef étoilée Coline Faulquier, fondatrice du restaurant Signature dans le 8ᵉ arrondissement de Marseille. Ensemble, ils ambitionnent de redonner un nouveau souffle à ce lieu emblématique.
Coline Faulquier, marseillaise de cœur et d’adoption, s’est réjouit de l’opportunité de perpétuer l’esprit de l’établissement tout en y apportant une touche de modernité. Toutefois, ces dernières semaines ont été éprouvantes pour elle, ébranlée par de « nombreuses attaques dans les médias », nous confie-t-elle.
Révélée en 2016 par l’émission Top Chef, elle confie aujourd’hui vouloir « se concentrer sur son métier et préparer sa future carte ». Ce nouveau défi ne l’effraie pas : « Passer à une capacité de 40 couverts, c’est le même métier, mais avec une approche différente et une équipe plus large. Nous avons également proposé de reprendre les salariés actifs, y compris le chef. Dans notre projet, nous avons prévu quelque chose pour lui ».
Le chef Guillaume Sourrieu, pour sa part, reste discret sur ses projets. Mystérieux quant à la suite de sa carrière, il n’exclut pas une retraite en 2026. Quant à la transformation des lieux, elle sera confiée au cabinet d’architectes Ateliers A+, qui veillera à adapter l’établissement à son environnement unique.
Le Vallon des Auffes ne verra sans doute pas un autre restaurant portant le nom de L’Épuisette, Bernard Bonnet a exprimé sa volonté de ne pas céder la marque déposée. À ce sujet, Denis Allegrini a précisé dans une interview à Bouillantes : « Nous allons demander à nos avocats de nous éclairer sur ce point. Et s’il faut changer l’enseigne, nous la changerons ».
Pour l’instant, la date d’ouverture du nouveau restaurant du Vallon des Auffes reste inconnue.
Rania GABEL