Quand l’économie souffre du mal démocratique

Entre dissolution, censure et défis budgétaires, l’instabilité politique inquiète. Report des réformes, chute de la consommation et tensions sur les marchés : décryptage des impacts sur l’économie française.

Une loi de finances spéciale, présentée mercredi dernier en conseil des ministres démissionnaire, sera débattue ce lundi à l’Assemblée. Texte d’urgence pour assurer la continuité des services de l’État, elle prolonge simplement le budget 2024 dans l’attente d’une nouvelle loi de finances proposée par un nouveau gouvernement, en début d’année.

Conséquence : les nouvelles dépenses publiques originellement prévues pour 2025 ne seront pas débloquées, pénalisant les bénéficiaires. De plus, le barème de l’impôt sur le revenu restant inchangé, des centaines de milliers de ménages se verront mécaniquement assujettis du fait de la hausse des revenus (indexés à l’inflation).

D’un autre côté, les retraités verront leur retraite indexée (augmentée de 2,2 %) dès le 1er janvier, et non le 1er juillet, comme souhaité initialement par M. Barnier pour faire des économies.

Certains nouveaux prélèvements prévus ne seront pas exigés, notamment pour les entreprises qui devaient payer la surtaxe exceptionnelle prévue pour combler le déficit, ce qui impactera les recettes fiscales. Pour autant, il y a peut-être plus ennuyeux.

Un frein à la consommation et à la confiance des marchés

L’instabilité politique génère une incertitude qui entraîne d’abord le report d’achats importants par les ménages, donc une baisse de la consommation.

Cela se traduit par de faibles perspectives de croissance du chiffre d’affaires des entreprises, qui hésitent à embaucher et investir, d’autant que la fiscalité à venir est incertaine.

Instabilité rime ainsi avec morosité. Les banques, de leur côté, deviennent réticentes à prêter. Le risque accru de défauts de paiement des entreprises, par exemple, les paralyse… accroissant encore la morosité.

Le marché financier reflète ce manque de confiance par un moindre dynamisme relatif à ses concurrents. Le CAC 40 français, dans sa faible performance relative, semble effectivement avoir intégré la crise politique et son impact sur l’économie française.

L’instabilité politique impacte également la confiance des investisseurs en obligations souveraines (d’État). L’incapacité à voter un budget, alors que la situation financière du pays est très délicate et nécessite des mesures fortes, n’envoie pas un signal rassurant.

Le taux auquel l’État français emprunte a connu des tensions autour de la dissolution le 9 juin dernier, après les résultats des élections européennes.

L’écart (spread) entre le taux allemand et le taux français s’est creusé. La France a emprunté au même taux que la Grèce il y a quelques jours. Les agences de notation pourraient encore abaisser la note du pays, incitant les investisseurs à moins parier sur la France. La conséquence directe serait une capacité réduite à s’endetter et un coût plus élevé.

Des signaux positifs à relativiser

D’abord, concernant le CAC 40, il faut noter, d’une part, la sur-représentation en son sein du secteur du luxe, qui n’a pas connu une bonne année.

D’autre part, le fait que les entreprises du CAC réalisent leur chiffre d’affaires essentiellement à l’étranger (plus de 75 %, avec des marchés américain et chinois en berne) traduit mal, par définition, l’état de l’économie française. Sa « métrique » comporte donc un biais.

Quant au taux d’intérêt souverain, le 10 ans est monté en octobre 2023 bien plus haut que les 2,85 % actuels, à 3,56 %. En outre, la France n’est pas la Grèce : son administration a une capacité à prélever l’impôt tout à fait remarquable (ce qui rassure les créanciers).

Ensuite, concernant les taux souverains, les investisseurs ont déjà intégré dans l’équation… la politique monétaire. Ils parient en effet – sans doute assez correctement – que la Banque centrale européenne ne laissera jamais tomber la France, dont la chute entraînerait un cataclysme.

Et ce, d’autant plus que l’institution de Francfort dispose de nouveaux instruments d’intervention depuis la crise du Covid. Ce pari « évident » rassure encore, naturellement.

Enfin, l’agence Standard & Poor’s n’a pas dégradé la note de la France le 29 novembre : sans doute ne voulait-elle pas, précisément, être à l’origine d’une nouvelle étape de la crise et précipiter la France – et donc la zone euro – dans l’inconnu. Beaucoup parient sans doute que la France arrivera à se réformer.

Instabilité et fractures sociales : un cercle vicieux à briser

Et pourtant… Il ne faut pas minimiser les effets potentiels de cette instabilité. Des réformes sont nécessaires, car la situation financière l’exige. Mais elles doivent être menées intelligemment, dans le cadre d’un véritable débat démocratique. Et c’est précisément sur ce point que le bât blesse : l’expérience récente d’un parlement non-godillot a rapidement montré ses limites.

Cette instabilité politique pourrait, par ailleurs, exacerber les conflits sociaux, en partie liés aux questions budgétaires évoquées, mais également à une crise plus large de la représentativité.

Ces tensions, comme celles de 2018, risquent d’affaiblir davantage l’économie, créant ainsi une spirale infernale où troubles sociaux et fragilité économique se renforcent mutuellement. Il est plus que jamais nécessaire que les Français trouvent un moyen de se parler pour envisager des solutions « ensemble ».

Emmanuel Martin
Economiste à la Faculté de Droit et de Sciences Politique
Aix-Marseille Université