Après deux mandats, André Giraud quitte ce samedi 14 décembre la président de la Fédération française d’athlétisme. Il dresse le bilan de ses huit années, entre actions sociales, crises et bilan sportif mitigé.
Depuis soixante ans, André Giraud a tout connu dans l’athlétisme. Du bénévolat à la Sco Sainte-Marguerite à la création de Marseille-Cassis (une idée qu’il a eue en préparant ses marathons), en passant par le comité départemental et la Ligue Paca, l’ancien professeur de mathématiques arrive aujourd’hui au bout de son engagement. Il quitte son fauteuil de président d’une des principales fédérations olympiques, bien que peu pourvoyeuse historiquement en médailles.
Il fait le bilan de ses huit années (2016-2024) à la tête de la FFA. Ce samedi, trois hommes sont en lice pour lui succéder : Philippe Lamblin, Jean Gracia, Bernard Hoze. Interview d’un homme viscéralement passionné de l’athlé et de Marseille, attachant et qui a tenté d’écoper un bateau à la dérive au fil des saisons houleuses marquées par le Covid, les cas de dopage ou les changements de DTN.
Vous présidez votre dernière assemblée générale à la Fédération française d’athlétisme. Quel est votre état d’esprit ?
J’ai le sentiment du devoir accompli. On a vécu deux mandats particuliers, même si ça n’explique pas tout. J’ai terminé mon premier mandat pendant la crise du Covid puisque j’ai été réélu en visio. J’ai vécu un deuxième mandat avec deux Jeux olympiques, au début à la fin.
Ça a été une expérience extraordinaire parce que, placé face à des difficultés auxquelles on ne s’attendait pas, j’ai essayé de faire du mieux que je pouvais. Dans l’ensemble, je vais laisser la Fédération en bon état de marche et avec une organisation modernisée, qui a reconstitué ses fonds de réserve.
Nous avons signé début décembre un partenariat avec La Chaîne L’Équipe, qui diffusera de l’athlé tout au long de l’année (cross, trail, meetings hiver comme été). Ça faisait de nombreuses années qu’on voyait plus l’athlé en clair, c’est un des succès de cette Olympiade.
Pour le public et les médias, le bilan est avant tout sportif. Quel est-il, selon vous ?
Une nouvelle génération arrive, elle a été brillante au championnat d’Europe cet été à Rome (16 médailles), mais elle est encore un peu tendre sur la scène internationale, avec une seule médaille aux JO de Paris (l’argent de Cyréna Samba-Mayela aux 100m haies).
« On n’a pas eu les résultats internationaux auxquels on pouvait s’attendre. Je ne vais pas chercher des excuses, mais c’est vrai que les planètes ne se sont pas alignées comme il fallait »
À Tokyo puis à Paris, les Bleus n’ont ramené qu’une médaille à chaque fois. Un bilan aussi maigre n’était plus arrivé depuis Séoul 88 – Barcelone 92. Ne craigniez-vous que l’on vous le reproche ?
Je n’ai pas peur, car c’est la réalité. Je suis quelqu’un d’objectif. Effectivement, on n’a pas eu les résultats internationaux auxquels on pouvait s’attendre. Je ne vais pas chercher des excuses, mais c’est vrai que les planètes ne se sont pas alignées comme il fallait.
Par exemple, Kevin Mayer, notre tête de gondole en 2022 et 2023, s’est blessé en 2024. S’il avait été compétitif, on aurait eu une médaille supplémentaire à Paris.
Ensuite, on a de très belles quatrièmes place (trois), dont Alice Finot qui bat le record d’Europe du 3000m steeple. Quand on regarde son chrono, dans n’importe quels autres Jeux olympiques ou championnats du monde, elle aurait été sur le podium. On avait un potentiel quand même pour faire trois, quatre médailles. Mais c’est la réalité de l’athlétisme, l’universalité de ce sport.
L’athlétisme est le sport qui offre le plus grand nombre de médailles aux JO (144). Et la France n’en a eu qu’une à domicile. Vous ne vous êtes pas fait taper sur les doigts au moment du bilan ?
Alors pas du tout ! J’ai été surpris ; après les Jeux, Claude Onesta (manager de la haute performance à l’Agence nationale du sport) a même souligné qu’on avait fait des progrès dans la gestion de l’équipe de France. Il a remercié le DTN alors que j’ai eu un bras de fer avec lui pour le nommer. Le ministre (démissionnaire, Gil Avérous) nous a reçus il y a trois semaines, il nous a parlés de tout, sauf des médailles. Donc il n’y a pas eu de reproche. Au contraire, on sent un encouragement à continuer ce qu’on a mis en place tardivement.
« Nos jeunes étaient un peu tendres pour les Jeux olympiques 2024, mais j’en suis persuadé, ils seront présents à Los Angeles en 2028 »
Pourquoi tardivement ?
Je ne veux pas que ce soit une excuse par rapport à nos problèmes. Mais j’ai décidé de me séparer du DTN (Patrice Gergès fin 2020) et je suis l’avis Onesta qui souhaite qu’on ait un directeur de la performance. On se met en conformité, je fais venir Florian Rousseau (triple champion olympique de cyclisme sur piste) qui a été très bien. Sauf qu’il y avait un problème avec des gens en place ; ils ne supportaient pas que quelqu’un venant du cyclisme mette les pieds dans l’athlé. C’est pour ça qu’il est parti (en septembre 2021, huit mois seulement après son arrivée) ! Les relations avec les gens en place n’étaient pas bonnes, on lui a mis des bâtons dans les roues.
Son départ soudain reste-t-il une blessure ? Il vous a fallu repartir de zéro une nouvelle fois.
Florian m’avait laissé une sorte de feuille de route, en me disant « Voilà ce qu’il faut faire à l’athlé ». Ce qu’on a fait d’ailleurs. Je persiste, je vais dans le sens de Florian en voulant recruter quelqu’un qui ne vient pas du sérail. C’est là que j’ai eu les premières difficultés, parce que je lance l’appel à candidatures juste après les Jeux de Tokyo. Le DTN actuel (Patrick Ranvier) n’arrive qu’en février 2022, il se passe six mois sans DTN… Onesta ne voulait pas de Patrick, il voulait m’imposer des gens à lui. On a pris du retard.
Aujourd’hui, j’en suis très content, il est venu avec son regard extérieur, on a créé une cellule d’optimisation de la performance, ça a demandé un gros investissement de la part de la Fédé. Il a commencé à construire et on a vu les premiers résultats à Rome, aux championnats d’Europe. Un nouvel état d’esprit est né après le trou générationnel qu’on a connu. Nos jeunes étaient un peu tendres pour les Jeux olympiques 2024, mais j’en suis persuadé, ils seront présents à Los Angeles en 2028.
Y a-t-il des choses que vous n’avez pas réussi à mettre en place ?
Je n’ai pas de regrets. Quand on fait quelque chose, il faut aller au bout, assumer. Il peut y avoir des erreurs, comme tout le monde en commet. Cette responsabilité nationale m’a amené à faire de très belles rencontres, que ce soit dans le mouvement sportif et à l’intérieur de la maison athlé. Mais aussi à l’extérieur ; j’ai rencontré des gens extraordinaires, des passionnés de sport. J’ai appris tous les jours. Ça a été très enrichissant sur le plan humain.
Votre volonté initiale, lors de votre candidature en 2016, était de rassembler. Finalement, vous vous êtes heurté à la complexité de l’athlétisme, avec des oppositions internes, la dépendance à la forme des athlètes, aux blessures. N’avez-vous pas eu l’impression d’être impuissant face à tout cela ?
Effectivement, c’est le lot d’une fédération sportive et je pense que ce n’est pas spécifique à l’athlé. Ce que j’avais peut-être mal appréhendé, quand j’ai pris mes fonctions, c’est que la partie sportive du haut niveau dépend quand même du ministère et de la direction technique nationale.
On a affaire à des cadres techniques d’État, qui sont fonctionnaires payés par le ministère, qui nous les met à ta disposition. Mais je ne suis pas leur patron ! Ce n’est ni une critique, ni un regret, c’est une analyse. Si j’avais su cela avant, je n’aurais certainement pas choisi le premier DTN. Je l’ai choisi sur un conseil qu’on m’avait donné, il était dans la maison. Mais il a voulu me faire comprendre que c’était lui le patron et que je n’avais pas mon mot à dire. Je l’ai mal vécu ; tu sais qu’il faut bousculer les choses mais tu ne peux pas changer comme tu le voudrais.
Rien ne vous aura été épargné : des cas de dopage, des accusations de protection d’athlètes sur des faits de harcèlement sexuel, le Covid…
J’ai quand même pris du plaisir, parce que je suis passionné. Et puis, c’est dans la difficulté que tu arrives à résoudre des problèmes.
Rien ne m’a été épargné, parce qu’il y a aussi eu une évolution de la société. Dès 2019, on se prend de plein fouet l’affaire Calvin (suspendue quatre ans pour dopage en 2020, elle devrait échapper à un procès, le parquet de Marseille ayant requis un non-lieu). Puis l’affaire Boxberger, l’affaire Amdouni. On était en première ligne, mais pas maître de la situation.
Avec le Covid, tout s’est arrêté, il n’y avait plus de compétitions, plus de réunions, presque une année sans activité. Et puis arrive le phénomène Me too, les violences sexuelles, les commissions parlementaires (il a été entendu à l’Assemblée nationale en novembre 2023).
On a traité tous les problèmes, on n’en a évacué aucun. J’ai laissé faire nos commissions de discipline, parce qu’elles sont indépendantes. Je ne suis pas juriste, on a un service juridique compétent, on a été amené d’ailleurs à le renforcer par rapport à tous ces problèmes. Et finalement, il s’avère que dans les cas les plus lourds, qui ont été montés en épingle, les personnes ont été blanchies par la justice.
D’un point de vue personnel, vous y avez laissé un peu de santé aussi…
C’est le moment de s’arrêter, de revenir à un peu plus de calme. J’ai 77 ans, je crois que j’ai donné. Dans mes responsabilités, certes il y avait des difficultés, mais j’ai quand même vécu des moments extraordinaires.
En juin, pour les championnats d’Europe à Rome, on savait qu’on avait une belle équipe mais on ne s’attendait pas à faire seize médailles d’un coup. Il ne faut pas oublier que la génération d’avant (Lemaître, Lavillénie…) s’est révélée à Barcelone en 2010. On avait eu 18 médailles, il a fallu attendre six ans pour que ça se transforme aux Jeux de Rio avec six médailles.
Vous y voyez un parallèle sportif ; Rome comme point de départ d’un nouveau cycle vertueux à l’instar de Barcelone 2010 ?
Tous les observateurs s’accordent sur un point : on a une très belle équipe de France actuellement. Des jeunes talents, comme Louise Maraval, Alice Finot, Gabriel Tual, Auriana Lazraq-Khlass. Il y a du potentiel. Il faut maintenant les accompagner.
« Je suis enfin arrivé au niveau national à faire valoir que l’athlétisme avait un rôle éducatif à jouer auprès des jeunes »
Quelle est votre satisfaction principale de ces huit années ?
La performance sociale de la Fédération. Je suis enfin arrivé au niveau national à faire valoir auprès de mes interlocuteurs, que ce soit le ministère, l’ANS ou les collectivités territoriales, que l’athlétisme avait un rôle éducatif à jouer auprès des jeunes.
Cet aspect éducatif est difficile à faire comprendre parce qu’on nous attend toujours au tournant de la médaille, des résultats. Je me suis battu et on a créé au sein de la fédération un secteur qui s’appelle la performance sociale, c’est-à -dire l’athlétisme dans les quartiers et en milieu rural.
Le 4 décembre par exemple, j’étais en Mayenne, dans une petite commune de 3000 habitants où on a inauguré un stade Marie-José Perec, en sa présence, avec des jeunes. Aujourd’hui nous avons fait reconnaître la pratique de l’athlétisme. C’est vital. Désormais, ce secteur existe et j’espère qu’il sera pérennisé.
Autre aspect positif, c’est la professionnalisation. Quand je suis arrivé, on avait 25 athlètes professionnels, il y en a 80 actuellement. On a mis des moyens. La nouvelle équipe de France est sur de bons rails.
De quoi sera fait votre quotidien désormais ?
Je vais revenir beaucoup plus sur Marseille. Je ne vais pas quitter le milieu sportif, mais je n’ai pas l’intention d’endosser d’autres responsabilités. Je me suis engagé à accompagner, dans la mesure où elle le souhaite, la nouvelle génération à la tête de la section athlé de la Sco Sainte-Marguerite (Alexandre Bourasseau a été élu président en octobre). Je ne me veux pas m’imposer, mais ça me permettra d’aider mon club et les manifestations.
Et puis aussi, ce qui me tient à coeur, c’est la politique des quartiers. J’ai des propositions à faire au préfet de région (Christophe Mirmand) pour que le sport se développe dans les quartiers. C’est une de mes motivations, mais je n’ai pas besoin d’avoir un titre. J’ai simplement envie d’attirer des bonnes volontés pour aller chercher des moyens où ils existent afin de développer dans les quartiers la pratique du sport et en particulier de l’athlétisme.
Benoît GILLES