Avec la chute du gouvernement Barnier, la Métropole Aix-Marseille-Provence doit voter, ce jeudi 5 décembre, son budget dans un contexte d’instabilité politique sans précédent.
Comment construire un budget quand on ne connaît pas les règles du jeu ? C’est la question qui hante les services financiers de la Métropole, mais plus généralement de toutes les collectivités de France.
La chute du gouvernement Barnier, consécutive à une motion de censure, a fait basculer le paysage politique. La loi de finances 2024, déjà en retard, est désormais dans l’impasse. Sans gouvernement pour la défendre, son adoption semble hautement improbable dans les délais.
Pour les collectivités, cette situation amplifie les doutes. Elles doivent travailler sur des bases incertaines, sans garantie sur les dotations, ni sur les orientations budgétaires de l’État. « On vote un budget qui ne prend pas en compte les dispositions de la loi de finances, car elles ne sont pas encore applicables. On ne peut pas faire de science-fiction », tranche Didier Khelfa, vice-président en charge des Finances.
Ce budget 2024 repose toutefois sur une trajectoire tracée par le pacte financier et fiscal de l’intercommunalité. « Les engagements sont maintenus » : maîtrise des charges générales, contrôle des dépenses de personnel et un investissement ambitieux – 400 millions d’euros pour le budget principal, 300 pour les transports. Pourtant, derrière cette façade de continuité, le doute ronge.
Un choc budgétaire à venir ?
Selon le vice-président, si les dispositions du projet de loi de finances étaient adoptées en l’état, l’impact pour la Métropole pourrait atteindre 90 millions d’euros. Un gouffre à combler. « Forcément, il faudra réajuster. On le fera au moment du budget supplémentaire, une fois qu’on pourra utiliser les résultats de 2024 pour compenser une partie des pertes », explique-t-il.
Conséquences ? La dette de la Métropole, en phase de désendettement depuis plusieurs années, pourrait repartir à la hausse.
Après avoir atteint un pic de 2 milliards d’euros sur le budget principal, elle avait été ramenée à 1,8 milliard. « Si on doit recourir à l’emprunt pour compenser les pertes, notre trajectoire descendante va s’inverser. »
Cette dégradation des ratios financiers – épargne nette, capacité de désendettement – inquiète particulièrement le vice-président. La fameuse capacité de désendettement, qui était tombée sous les six ans, risque de remonter. « Nous allons probablement devoir recourir davantage à l’emprunt, ce qui inverse notre trajectoire descendante. »
Une priorité : préserver les communes
Malgré la pression, la Métropole se veut ferme sur un point : les dotations aux communes seront maintenues. « La dotation de solidarité communautaire s’élève à 66 millions d’euros, dont 45 millions pour Marseille. La retirer serait dramatique pour des collectivités déjà frappées par les mesures de la loi de finances », affirme le vice-président.
Le budget transport, lui, est en sursis. Prévue à 155 millions d’euros, « la subvention d’équilibre est finalement augmentée à 135 millions, mais cela ne suffira pas. Pour la première fois, nous devrons emprunter 14 millions pour rembourser le capital de la dette, ce qui rompt avec la notion d’équilibre réel. »
Colère face à l’instabilité nationale
Dans ce contexte tendu, la Métropole et la Ville de Marseille ont harmonisé leurs approches face aux incertitudes actuelles. « Nous avons travaillé avec mon homologue de la Ville de Marseille sur la stratégie à adopter notamment. Est-ce qu’on vote les budgets maintenant ? Est-ce qu’on prend en compte ou pas les dispositions ? Ville de Marseille et Métropole, on adopte la même stratégie pour montrer que localement, les décisions qui sont prises là -haut vont nous mettre à mal », précise Didier Khelfa.
Si la Ville de Marseille confirme cette approche, elle prévoit néanmoins de s’abstenir lors du vote. « Le budget présenté respecte les engagements du pacte, mais il demeure fragilisé par les incertitudes liées aux décisions nationales. Nous partageons des inquiétudes, notamment sur le volet des transports, où les équilibres financiers restent précaires », souligne Joël Canicave, adjoint aux Finances de municipalité marseillaise.
Toutefois, elle salue l’effort de la Métropole pour respecter les engagements en matière de dotations, notamment les 45 millions d’euros alloués à Marseille dans le cadre de la dotation de solidarité communautaire.
Reste que les incertitudes nationales alimentant une inquiétude grandissante. « Je ne suis ni optimiste ni pessimiste, juste inquiet et en colère, lâche Didier Khelfa. Ces dispositions sont injustes et néfastes. Injustes, parce qu’on nous demande de participer au redressement des comptes publics, alors que ce ne sont pas les collectivités qui ont creusé les déficits de l’État. Et néfastes, car elles nous mettent à mal, alors qu’on est déjà tendus dans toutes nos constructions budgétaires. »
Une situation politique instable qui, au-delà des chiffres, fragilise encore davantage la capacité des collectivités à planifier sereinement l’avenir de leurs territoires.
N.K.