Football – Philippe Diallo défend le football qu’il aime

Philippe Diallo, président de la Fédération française de football, était de passage à la Ligue Méditerranée, en campagne pour briguer un nouveau mandat. Photo B.G.

Président (depuis janvier 2023) de la Fédération française de football, Philippe Diallo est en campagne pour sa réélection. Au coeur de son tour de France, il était de passage ce mardi au siège de la Ligue Méditerranée à Aix-en-Provence, avant l’élection des 10 et 11 décembre. Interview.

Après avoir sillonné la nord de la France la semaine passée (Orléans, Strasbourg, Rennes, Angers…), le président de la Fédération française de football (3F) Philippe Diallo continue son tour de France. Au lendemain d’un stop à Toulouse, il était de passage à Aix-en-Provence, au siège de la Ligue Méditerranée ce mardi 3 décembre, avant de rallier Nice, pour assister au match amical entre les Bleues et leurs homologues espagnoles.

Entouré de certains de ses colistiers, notamment le vice-président Jean-Michel Aulas, Diallo a présenté aux dirigeants provençaux présents son programme appelé « Le football qu’on aime », adossé à une promesse : « Une fédération engagée au service des clubs ».

Si le président de la Ligue Éric Borghini était bien présent ce mardi mais ne prolonge pas son aventure à la 3F, le comité régional est représentée dans cette liste par Véronique Lainé, dirigeante du club vauclusien de La Tour d’Aigues, ancienne présidente déléguée de la Ligue, aujourd’hui élue au bureau exécutif de la Ligue de football amateur. Elle occuperait, en cas d’élection, le poste de trésorière générale.

Durant deux heures, les dirigeants méditerranéens ont pu aborder des thématiques qui leur sont chères : les incivilités, la thématique écologique et les soucis d’arrosage… Le district Grand Vaucluse a notamment pu revenir sur l’expérimentation menée sur ses terrains (le port d’une caméra GoPro par ses arbitres lors de matchs classés à risques) et dévoiler les deux bénéfices immédiats : le côté dissuasif et l’apport d’une preuve au moment de définir une sanction.

Pour le mandat 2024-2028, deux candidats à la 3F sont en lice : outre Philippe Diallo (61 ans), Pierre Samsonoff, un Breton de 47 ans, a également monté une liste. Il sera d’ailleurs de passage à la Ligue Méditerranée ce mercredi soir, à 18h.

Le vote pour la préidence à la Fédération française de foot se déroulera à distance, via une plateforme de vote en ligne, les mardi 10 et mercredi 11 décembre. La proclamation des résultats interviendra le samedi 14 décembre.

« Partout, les parents apparaissent aujourd’hui comme un facteur de perturbation, certains transférant peut-être des ambitions personnelles sur leur garçon ou sur leur fille, et perdant le rôle qui doit être le leur »

Que vous apporte de ce tour de France, à la rencontre des dirigeants des Ligues, districts et clubs ?  

C’est très enrichissant. Vous avez des remontées qui sont celles de la réalité du terrain. Donc on nous parle de structuration de club, d’incivilités, d’encadrement, de règlements ; tous les éléments de la vie quotidienne de nos clubs. Ça nous permet d’ajuster le projet que l’on porte pour qu’il soit le plus près de la réalité quotidienne de notre football. Cela nous donne un bon éclairage. 

La lutte contre les violences et les discriminations figurent dans votre programme, mais pas tout en haut de la liste. Est-ce un problème sous-estimé ? 

Non, pas du tout. C’est une vraie réalité. On avait déjà commencé à s’en saisir puisque j’ai créé une direction de l’engagement au sein de la fédération qui, justement, prend en compte la lutte contre les violences et les discriminations. Nous avons mis des moyens humains et financiers pour essayer de régler ce type de questions. 

Lorsqu’on se déplace, on a les illustrations des difficultés rencontrées un peu partout. Ce qui est mis en avant, c’est le rôle des parents. Partout, ce sont les parents qui apparaissent aujourd’hui comme un facteur de perturbation, certains transférant peut-être des ambitions personnelles sur leur garçon ou sur leur fille, et perdant le rôle qui doit être le leur : celui de parents qui accompagnent des enfants pour prendre du plaisir à jouer au football. 

Chacun est libre de s’exprimer comme il veut en tribune. Comment faire pour endiguer ces violences ? 

C’est un vrai sujet parce que beaucoup de ces parents ne sont pas licenciés à la 3F. Nous n’avons pas de prise directe sur eux. Il faut qu’on renforce la prévention, la formation des éducateurs et des dirigeants. Il faut certainement aussi, lorsque ça déborde, faire des signalements. 

Il existe une plateforme d’alerte pour qu’il puisse y avoir une prise en compte des comportements qui vont trop loin et qui ne devraient pas exister. Malheureusement, il y a une passion tellement déchaînée par endroits que certains clubs en sont rendus à faire des entraînements à huis clos pour des jeunes. On est au-delà de l’acceptable en matière de football. 

« Tous ceux qui rêvent de devenir Mbappé, c’est un peu comme s’ils allaient au bureau de tabac pour acheter un ticket de Loto. Il faut revenir à l’essentiel : le foot est un jeu »

On a l’impression que les parents ont oublié que le football reste avant tout un jeu, un plaisir…

Il y a 2,4 millions de licenciés et seulement 26 jouent en équipe de France, donc tous ceux qui rêvent de devenir Mbappé, c’est un peu comme s’ils allaient au bureau de tabac pour acheter un ticket de Loto. La proportion doit être à peu près la même. 

Il faut revenir à l’essentiel : le foot est un jeu. Quand on est jeune, on doit prendre du plaisir à jouer au football, on doit avoir de la convivialité avec ses coéquipiers. Et puis si le talent, le travail font qu’à un moment, vous puissiez émerger dans des catégories supérieures, il sera toujours temps, ensuite, de faire carrière. Mais vraiment, au départ, notamment dans des catégories de jeunes, il faut revenir au plaisir du jeu. 

Comprenez-vous que certains parents refusent d’inscrire leurs enfants dans les clubs de foot pour ne pas avoir à subir les violences, verbales et parfois physiques ? 

Le paradoxe, en dépit de ces observations, c’est que le football reste extraordinairement attractif. La saison dernière (2023-24), nous avons atteint le record de licenciés au total, idem pour les féminines (250 000). Le foot n’a jamais été aussi puissant, malgré certaines dérives contre lesquelles il faut qu’on lutte. 

« Le football reste un formidable ascenseur social : il permet de connaître une certaine réussite sociale. C’est ça qui le rend particulièrement attractif »

Comment peut-on sortir de ce cercle vicieux, de cette course aux détections dès le plus jeune âge ?

On en parlait encore ce (mardi) matin : on voit parfois des accords de non-sollicitation à douze ans. Il y a peut-être des réflexions à avoir pour monter l’âge minimum pour signer ce genre d’accord.

Mais autre paradoxe, le football reste un formidable ascenseur social : quand, dans la société, il peut y avoir des blocages, des freins à une forme de promesse républicaine de promotion sociale, le football permet à un certain nombre de joueurs ou de joueuses de connaître une certaine réussite sociale. C’est ça qui le rend particulièrement attractif. Comme c’est un sport très populaire, beaucoup se disent qu’ils auront peut-être plus de chance de réussir là que dans d’autres secteurs de la société. 

On martèle le message auprès des clubs pour que l’élément de scolarité soit un élément déterminant de la formation de nos jeunes. Parce que beaucoup ne seront pas pro et encore moins en équipe de France. 

Photo B.G.

Dans le premier point de votre programme, vous faites le distinguo entre le foot des villes et le foot des champs, pour notamment « adapter les aides » aux « districts ruraux ». Pourquoi ? 

Pour schématiser, quand vous êtes dans une grande ville, votre difficulté est de trouver des terrains (pour jouer). Quand vous êtes en milieu rural, la difficulté, c’est de rassembler, pour former une équipe parce qu’il y a un problème démographique. 

Donc il faut adapter nos règlements pour faire en sorte que les gens puissent former ces équipes, se déplacer, organiser des championnats. Notre approche consiste à passer d’un prêt-à-porter au sur-mesure. Peut-être avons-nous été trop uniformes dans les aides, dans nos soutiens, sans tenir compte plus spécifiquement de la réalité du terrain. 

Ce n’est pas du tout pareil d’être un club ultramarin, avec des problèmes de vie chère en Guadeloupe ou en Martinique, que de faire du football à Paris ou encore de le pratiquer dans un département rural. Il faut que nos approches soient de plus en plus diverses.

« Nous devons essayer d’éradiquer les phénomènes d’homophobie qui peuvent exister ici ou là »

Vous parliez des dérives observées sur et autour des terrains. Estimez-vous qu’il y a un problème d’homophobie dans le foot français aujourd’hui ? En Ligue 1, certains joueurs refusent de porter un logo ou un maillot dont le nom est floqué en arc-en-ciel. Dimanche dernier, le gardien de Monaco était copieusement insulté à chaque dégagement d’un ”Oh hisse…”  

Il y en a certainement un. Autrement, on n’agirait pas contre. Or, la Fédération française de football a fait un grand appel à projets dans le cadre de la Direction de l’engagement pour établir des partenariats avec tous les experts sur ces questions-là. Le but, c’est de développer, avec tout le secteur associatif de lutte contre l’homophobie, des actions concrètes dans nos clubs, auprès de nos éducateurs. Nous devons essayer d’éradiquer les phénomènes d’homophobie qui peuvent exister ici ou là. 

Le chantier est immense… 

Ce n’est pas gagné mais pas plus que dans la société. Nous comptons 2,4 millions de licenciés, pratiquement 13 000 clubs, cela veut dire que tous les problèmes de la société traversent ma fédération : les problèmes d’homophobie, les soucis de violence aussi, les problèmes de sexisme, de transition écologique, de laïcité… Toutes ces questions là sont au coeur de notre activité. Ça la rend passionnante. Difficile, parce que ce sont des sujets au quotidien, mais passionnante. 

C’est ça, notre défi. On parle souvent de ce qui est dans la lumière, de l’équipe de France, des grands matchs, des grandes stars, mais notre réalité, c’est celle de nos 12 500 clubs et des problématiques auxquelles ils sont confrontés au quotidien et de la difficulté parfois à les traiter. 

« On mettra la VAR en Ligue 2 la saison prochaine. La LFP n’est pas en capacité aujourd’hui de porter un tel investissement, alors la 3F va le faire à sa place »

Si vous êtes réélu à la tête de la 3F, un des plus gros dossiers de votre prochain mandat pourrait être la question du sélectionneur de l’équipe A. Le contrat de Didier Deschamps court jusqu’en 2026, ça ferait alors 14 ans à ce poste. La charge sera sacrément lourde pour lui trouver un remplaçant. Avez-vous commencé à y réfléchir ? 

Pour l’instant, je n’en suis pas là. On vient de se qualifier pour les quarts de finale de la Ligue des nations. Après, on aura la qualification pour la Coupe du monde, dont l’édition 2026 sera un objectif majeur. Il sera bien temps de voir ce que l’on fait à ce moment-là. 

Il existe des difficultés financières importantes au sein des clubs, surtout dans le monde professionnel. La baisse des droits télé met en péril certains clubs historiques. Comment le vivez-vous? 

Je mets en avant l’unité fédérale : être président de la fédération, ce n’est pas être président du football amateur, c’est être président du football français, donc ça intègre les pros. Quand ils rencontrent des difficultés, une partie de mon rôle, c’est de les soutenir. 

C’est ce que j’ai fait de manière très concrète, en début d’année, lorsque devait être lancé le challenge des Espoirs. La Ligue (LFP) voulait l’abandonner faute de moyens, alors je l’ai pris en charge à la Fédération. On l’a lancé à l’automne parce que je pensais que c’était bon pour la formation de nos jeunes. 

Je suis également venu à leur soutien financièrement , avant même la campagne électorale. Depuis, dans ma candidature, j’ai aussi pris l’engagement de venir à hauteur de plus de 20 millions d’euros au soutien de la Ligue de football professionnel et de ses clubs. 

La Fédération est présente. Comme elle est présente lorsqu’un district ou une Ligue rencontrent une difficulté. Le rôle de la Fédération, c’est de venir au soutien de ces structures, et la Ligue de football français en est une. Par exemple, on mettra la VAR en Ligue 2 la saison prochaine, c’est un élément important pour le jeu. La LFP n’est pas en capacité aujourd’hui de porter un tel investissement, alors la 3F va le faire à sa place. 

« Je souhaite qu’on se réunisse (LFP, clubs, DNCG) pour évoquer les conditions du rebond du foot professionnel. Nous devons faire en sorte qu’il soit pérenne » 

Et-ce le rôle de la Fédération de venir en aide au monde professionnel ? Le monde amateur l’accepte-t-il ? 

Ça serait vrai si nous ne nous étions pas mis en situation de croissance. Chaque euro que je vais mettre du côté du foot pro n’enlèvera aucun euro au foot amateur parce que mon engagement, c’est de pouvoir faire les deux. C’est ça, notre force aujourd’hui : au moment où on finit le mandat, la Fédération française est plus forte qu’elle ne l’était avant. Notamment d’un point de vue économique parce que nous sommes capables d’apporter au foot amateur une aide de 100 à 150 millions d’euros dans les années qui viennent, ce qui est inédit dans l’histoire du foot français, et en même temps de venir au soutien du foot professionnel. 

Le monde professionnel, c’est aussi le feuilleton hebdomadaire offert à tous les fans, donc il faut qu’ils soient en bonne santé. C’est pour ça que, à côté de ces aides que je vais apporter, je leur ai dit aussi que je souhaite – et j’en prendrai l’initiative – qu’on se réunisse (LFP, clubs, DNCG) pour évoquer les conditions du rebond du foot professionnel. Nous devons faire en sorte que notre football professionnel soit pérenne. 

Quand je vois la situation des Girondins de Bordeaux, leur apporter un soutien correspond d’abord à notre rôle, c’est légitime, et de l’autre côté il y a l’idée de se mettre autour de la table avec les parties prenantes pour dire ”Maintenant, comment on envisage l’avenir ?” 

Je l’ai dit au président de la LFP (l’ancien président de l’OM Vincent Labrune) et je pense qu’il le comprend parfaitement parce que c’est dans l’intérêt général. Le foot français marche bien quand l’équipe de France marche bien, quand les licenciés sont là et quand le foot pro marche bien aussi. Il faut essayer de se reposer sur ces différents piliers. 

Recueilli par Benoît GILLES

> Retrouvez la composition des deux listes en lice à la présidence de la Fédération française de football et leur projet.