À Marseille, le château de Fontainieu renaît en refuge pour les tout-petits

Fragiles et innocents, ils arrivent ici avec leurs blessures invisibles. La nouvelle pouponnière départementale de Fontainieu, née au château éponyme, offre un cadre sécurisant et bienveillant, porté par une prise en charge pluridisciplinaire dédiée aux tout-petits de 0 à 3 ans.

Dans un cocon de couvertures, un nouveau-né d’à peine une semaine observe le monde avec ses grands yeux. Placé ici par décision de justice, il découvre la chaleur d’un lieu pensé pour apaiser les premiers traumatismes.

Depuis le 4 novembre, le château de Fontainieu, en partie réhabilité, accueille dans le 14ᵉ arrondissement de Marseille des enfants de 0 à 3 ans placés sous la protection de l’Aide sociale à l’enfance.

Avec une capacité de 18 à 20 enfants, cette pouponnière départementale, la deuxième à Marseille après celle de Montolivet ouverte en 2023, répond à une augmentation des placements : +38 % entre 2022 et 2023 dans les Bouches-du-Rhône. Une montée en flèche qui reflète l’urgence des enjeux sociaux exacerbés depuis la pandémie.

Des box en verre aux cocons modernes

Le bâtiment historique a eu plusieurs vies, toutes dédiées à l’accueil des plus vulnérables. Construit en 1925 pour les orphelins de la Première Guerre mondiale, il offre dès son ouverture des conditions dignes, bien qu’élémentaires. Avec deux cents lits — rapidement débordés par une demande de trois cents enfants —, ce foyer fait figure de pionnier dans la protection de l’enfance, dans cette France d’antant.

Mais au fil des décennies, l’ancien foyer Saint-Joseph, perd sa vocation d’origine, devenant un Ehpad avant de fermer ses portes. En 2023, après sept mois de travaux et 2,7 millions d’euros investis par le Département des Bouches-du-Rhône, dont 1,5 million financé par l’État, la bâtisse renaît pour accueillir à nouveau les tout-petits, sous la houlette de la direction des Maisons de l’Enfance et de la Famille (DIMEF).

Les 1 600 m² réhabilités offrent désormais des dortoirs lumineux, des salles d’éveil colorées et des espaces communs pensés pour favoriser l’épanouissement des enfants. « Ici, nous donnons à ces enfants de l’amour, de l’écoute et un cadre sécurisant », déclare Martine Vassal, présidente du Département, lors de sa première visite (inaugurale) des lieux le 21 novembre. Cette réhabilitation, menée en « un temps record », s’inscrit dans les engagements qu’elle avait pris lors de ses vœux en début d’année.

En 1967, une autre Martine, Guionnet de son nom, franchissait ces portes pour la première fois. « Les dortoirs étaient des box en verre, huit berceaux par pièce, se souvient l’ancienne auxiliaire de puériculture. Les pathologies d’après-guerre comme la tuberculose étaient monnaie courante. Tout était rudimentaire, mais ce lieu était déjà un refuge. »

Les anecdotes, elles, traversent les époques. En janvier de cette même année, Joséphine Baker séjourne ici avec ses treize enfants, hébergés temporairement après un spectacle donné au stade Vallier. « Elle était sans le sou et sans logis, mais elle voulait rester près de ses enfants », se remémore Martine Guionnet.

Une prise en charge transformée

Aujourd’hui, les box en verre ont disparu. Les espaces modernes, lumineux et chaleureux, sont conçus pour apaiser les jeunes âmes souvent blessées par des traumatismes invisibles. « Quand un bébé né de mère toxicomane arrive, notre priorité est de le stabiliser », nous confie Géraldine Priour, qui a commencé sa carrière ici à 17 ans.

Pour y parvenir, l’équipe applique des techniques spécifiques : portage apaisant, enveloppe corporelle, création d’un repère affectif avec une figure d’attachement. « C’est essentiel pour recréer une sécurité émotionnelle », ajoute Géraldine. La structure repose sur une équipe pluridisciplinaire de 54 professionnels, tous mobilisés autour du bien-être de l’enfant,, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

Chaque enfant bénéficie ainsi d’un suivi impliquant psychologues, éducateurs de jeunes enfants, infirmières, puéricultrices, psychomotriciens, pédopsychiatre… Deux professionnels pour un enfant. « On travaille ensemble pour répondre à leurs besoins spécifiques, qu’ils soient physiques, émotionnels ou relationnels.« 

Tout est mis en œuvre pour maintenir le lien familial autant que possible. Des espaces dédiés permettent d’organiser des visites parentales dont la fréquence et la durée sont ajustées en fonction de chaque situation, avec une attention particulière à leur impact sur le bien-être psychologique de l’enfant.

Si Géraldine dit n’avoir « pas vu passer ses années », elle a vu les pratiques évoluer, notamment grâce aux réformes de Simone Veil dans les années 1970, évoquées par Martine Guionnet ce jour-là, en écho aux 35 ans de la Convention internationale des droits de l’enfant, adoptée en 1989.

Simone Veil, une révolution pour les tout-petits

À cette époque, un constat alarmant bouleverse les consciences. Un documentaire, « Enfants en pouponnières demandent assistance », montre des bébés privés d’interactions humaines malgré des soins matériels corrects. « On a compris qu’abriter et nourrir ne suffisait pas, » explique Martine Guionnet. En 1978, Simone Veil lance l’« Opération pouponnières », introduisant le concept de bientraitance et plaçant les besoins affectifs des enfants au cœur des priorités.

Cet héritage se prolonge aujourd’hui avec le programme de santé publique Pégase, qui cible les jeunes enfants vulnérables. En s’appuyant sur un repérage précoce et une prise en charge intensive et coordonnée, cette expérimentation initiée il y a quelques mois, permet de répondre de manière globale aux besoins de ces enfants, qu’ils soient médicaux, psychologiques ou sociaux. 

Une aile à réhabiliter pour réunir les fratries

Mais si les pratiques ont évolué, les besoins, eux, ne cessent d’augmenter. Alors que la pouponnière réhabilitée représente un pas de géant pour les tout-petits, une partie du site reste encore en attente d’un nouveau souffle.

L’aile Est, avec ses 4 000 m² répartis sur trois étages, entre dans le cadre du schéma directeur immobilier du Département. Un plan stratégique visant à optimiser l’utilisation des sites publics pour répondre aux besoins actuels et futurs. En partenariat avec le Cerema, une réflexion est menée pour anticiper les impacts du réchauffement climatique et créer des espaces supplémentaires adaptés aux défis actuels.

Dans ce lieu précis, Martine Vassal nourrit une ambition forte : créer des espaces permettant de maintenir les fratries ensemble, évitant ainsi des séparations souvent douloureuses. « Certains enfants me disent : C’est vous, madame, qui m’avez mise là« , confie-t-elle, touchée par leurs récits et leur désir constant de retrouver leurs parents et leurs frères et sœurs, malgré les difficultés.

La présidente du Département souhaite par ailleurs, l’ouverture d’une troisième pouponnière en 2025, sans toutefois dévoiler la commune concernée. En moyenne, 300 millions d’euros sont consacrés par l’institution à l’aide sociale à l’enfance, chaque année.

Malgré une situation budgétaire nationale sous tension, elle insiste sur l’importance de préserver cette priorité, tout en rappelant qu’elle refuse que « l’État lui fasse les poches ». Car chaque berceau porte la promesse d’un avenir où les cicatrices de l’enfance laissent place à l’espoir.