Grâce à de nombreux entretiens, l’auteur et scénariste marseillaise Alexia Belleville dépeint, dans son ouvrage aux allures de roman, Marc Thiercelin comme un « navigateur philosophe ». Par ses mots, il se confie et se révèle, lui « l’homme de mer », l’endroit où il « retrouve la paix ».
La dixième édition du Vendée Globe bat son plein actuellement, cette course de voilier en solitaire sans escale et sans assistance, qui ne se déroule que tous les quatre ans. S’il ne l’a jamais remportée en quatre participations (2e en 1997), Marc Thiercelin tient une place importante dans l’histoire de cette aventure qui confine à l’exploration vers l’inconnu, de la planète et de soi-même.
Il en parle, non pas longuement, mais avec passion et émotion dans ce livre écrit par l’auteur et scénariste marseillaise Alexia Belleville sur la base d’entretiens : « Cette course est le panthéon de mes rêves » ou encore « j’avais vécu seul, en harmonie avec le bateau. Je me sentais renaître au vrai sens du terme ».
De courts verbatims qui disent bien tout le sens de cet ouvrage dans lequel « Captain Marck » (64 ans), installé à Toulon après avoir passé une bonne partie de sa jeunesse à Marseille, raconte ce lien intime, unique, qui le lie à la mer et au bateau.
Si on connaissait Guillaume Martin le cycliste philosophe, Marc Thiercelin propose une réflexion sur sa vie et un voyage avec force détails sur les océans. On pourrait presque sentir l’iode et le vent dans les drisses… « Marc est un citoyen du monde », décrit Alexia Belleville, qui a recueilli les confidences du marin ces dernières années, dans des lieux différents tels qu’une abbaye dans le Gers, un petit bar de l’île Saint-Louis ou encore en Provence. Entretien.
Pour commencer, une question sur la méthode : vous avez mené vos entretiens en marchant, rappelant que Socrate aimait cheminer à côté de ses interlocuteurs pour recueillir des réflexions et pensées. Pourquoi l’avez-vous fait ainsi ?
Je prenais des notes et j’ai un petit peu enregistré pour garder la texture orale, ses mots, pour me mettre vraiment dans sa pensée, dans la force de son récit. Dans le travail, Marc ne répondait pas à mes questions, il voulait porter son propre message. Finalement j’ai été l’opportunité d’être un réceptacle au partage ; à la fois de son histoire, de sa trajectoire, et à la fois de montrer comment sa volonté a agi dans sa vie. Il avait ce désir de partage.
Sa passion et son lien avec la mer transpirent tout au long de l’ouvrage. Ne s’agit-il pas, selon vous, de fascination pour ce monde marin ?
Sa passion de la mer vient de loin, de l’enfance, d’un contact naturel. Naviguer, pour lui, est comme une première nature.
« Marc devient l’ambassadeur de tous les marins à travers ce témoignage qui dit : ‘J’aime la mer et je suis chez moi en mer’ »
Il raconte que, après le décès de son père, la mer est devenue une façon de se connecter avec lui-même, un exutoire…
C’était un espace de création. Dans l’enfance, il a fait l’expérience d’un rapport naturel et intuitif à la navigation. Dès lors qu’il partait au large, il avait la possibilité d’inventer un chemin, de nouer un dialogue avec le bateau et la nature. Il explique très bien le lien qu’un marin peut avoir avec le bateau, ce lien si intime, si personnel, qui part de la première esquisse d’un architecte et va ensuite se traduire par toutes les interactions possibles que l’on a au large pour faire ses manœuvres, pour tracer sa route. Marc devient l’ambassadeur de tous les marins à travers ce témoignage qui dit : « J’aime la mer et je suis chez moi en mer ». Les marins vont se reconnaître dans ce livre.
Comment s’est construite la discussion avec Marc Thiercelin ? C’est lui qui a abordé les thèmes ?
Nous avions choisi ensemble au départ de travailler sur des notions telles que le temps, le langage, la création, la volonté, la culture aussi. Le livre est en deux parties : il débute dans l’enfance, il continue sur l’adolescence puis une partie de l’âge adulte, alors que la seconde partie parle du regard qu’un marin peut porter sur la société, sur l’écologie, sur le devenir des courses au large, sur la volonté qu’on peut avoir dans une vie.
Sans dévoiler le livre, Marc décide très jeune de donner une direction à sa vie et en cela, il peut être un exemple pour les jeunes générations : il va suivre ce fil de marin, il est fidèle à cette âme de marin.
Il décrit un lien intime avec le bateau, avec minutie, exigence, déjà dans la façon de le penser et le concevoir. Peut-on dire, selon vous, que ce lien touche au charnel ?
J’ai senti qu’il voulait partager aux autres la sincérité d’un rapport avec le bateau. Dans le livre, il y a un passage sur l’harmonie de l’architecture. L’harmonie est importante pour Marc, elle permet d’affronter les conditions, les contraintes qu’il va affronter en mer. Il démontre que son lien avec le bateau démarre, évidemment, bien avant l’existence de celui-ci.
Pour lui, les préparatifs, la constitution d’une équipe permettent d’agréger des énergies. Il arrive à être sur la ligne de départ dans des temps extrêmement contraints où la somme des métiers est très variée. Il parle d’ « accomplissements » pour chaque personne de l’équipe quand tous ont le sentiment d’avoir dépassé leur propre limite.
Il parle de la mer et la navigation comme d’un « rêve d’enfant ». Avez-vous senti en discutant avec lui qu’il y a toujours cette émotion là en lui aujourd’hui ?
J’ai choisi de faire parler Marc Thiercelin parce qu’il a gardé ce rapport sincère et émerveillé face à la mer et à la course au large. C’est parce que ce lien est sincère qu’il est intact. Je rappelle qu’il a chroniqué dès son premier Vendée Globe (pour Le Télégramme de Brest ou pour L’Humanité). Pour lui, c’était un impératif de partager aux enfants, aux adolescents et aux adultes restés à terre ce qu’il ramenait : ça pouvait être des réflexions à la journée comme des réflexions plus profondes sur la vie.
Comme la chronique sur la disparation de Gerry Roufs, qui s’intitule « Ma part de risque… votre part de rêve ». C’est une réflexion sur la vie, il explique très bien que la course n’est plus la même suite à son départ des grandes zones suds après plusieurs jours passés à rechercher son ami disparu en mer (décédé le 6 janvier 1997, à 43 ans).
Avez-vous senti que la voile d’aujourd’hui lui plaît toujours ? N’est-il pas trop nostalgique de l’époque d’avant ? Lui se catégorise dans l’ancienne génération qui construisait ses bateaux (avec les Le Cam, Arthaud, Poupon…), alors qu’il décrit les skippers actuels (Gabat, Le Cléac’h) comme des « pilotes-ingénieurs ».
Je ne crois pas qu’il soit nostalgique, mais il n’y a que lui qui peut répondre.
« Il appelle les marins à ne pas lâcher la part sensorielle et intuitive dans la navigation. Il est pour la technologie et en utiliser le meilleur, sans lâcher des repères plus sensoriels »
En tout cas, il a cette formule à propos des nouveaux bateaux volants, « faisant abandonner le monde d’Archimède pour celui d’Icare ». Ça veut tout dire…
Il appelle les marins à ne pas lâcher la part sensorielle et intuitive dans la navigation. Il est pour la technologie et en utiliser le meilleur, sans lâcher des repères plus sensoriels. Je ne sens pas de nostalgie, plutôt une envie de faire le mieux avec cette technologie.
C’est un peu comme si on nous demandait de nous priver de Waze pour voyager à travers la France ; j’ai envie d’avancer seule, sans Waze, mais je l’utilise à bon escient.
A quel point le Vendée Globe, qu’il a disputé à quatre reprises, est revenu fréquemment dans vos échanges ?
J’ai contenu sa parole, je voulais que le témoignage puisse être utile à d’autres personnes. Marc a décrit pour lui-même son premier Vendée Globe, en 1996-97, qui fut dantesque par la variété des naufrages et des difficultés rencontrées. On s’est limité à cela.
Dans la postface, vous dites avoir vu « la quintessence d’un marin ». Racontez-nous…
Je trouve passionnant d’écouter des personnes qui choisissent de s’éloigner de la société, d’être très loin au large. Je m’interrogeais moi-même sur les raisons qui font que l’on va affronter des difficultés aussi fortes, notamment dans les grands Suds, dans les passages de Cap Horn. Comment peut-on trouver sa raison d’être aussi loin ? J’ai découvert autre chose : c’est en s’éloignant des côtes qu’un marin peut prendre du recul et peut-être avoir un message à délivrer.
« Je trouve que le marin est une belle expression de la liberté et qu’il y a un côté conquête de l’Ouest à traverser les océans »
Un marin est capable de s’adapter en permanence à des situations changeantes, mais qui doit tracer une direction d’un point A à un point B. La quintessence d’un marin, c’est avant tout la liberté. Il ne traverse pas de ponts, pas de frontières, en tout cas elles ne sont pas tracées sur le sol. Donc c’est un homme qui va filer sous le vent, dans un espace de totale liberté dans lequel il peut inscrire une route. Il a tous les choix face à lui, c’est quelqu’un qui doit décider en permanence. Je trouve que le marin est une belle expression de la liberté et qu’il y a un côté conquête de l’Ouest à traverser les océans. Pour moi, c’est une conquête de l’espace à l’échelle du grand bleu.
Le titre fait référence au penchant philosophique de Marc Thiercelin. Il aborde librement et avec des idées fortes la politique, l’écologie et toutes les composantes de la société actuelle. On le sent très pragmatique…
Je crois qu’il a le souci du résultat en matière écologique. Il porte une attention particulière à ce qui arrive à se concrétiser par des actions, surtout si elles ont un effet bénéfique pour la planète. Il invite chacun à se responsabiliser car les choses se font d’abord à sa propre échelle personnelle.
Vous parlez beaucoup de la mer, des bateaux. Marc Thiercelin vous a-t-il amené en mer ?
Oui, avec les mots. J’ai eu l’impression de faire plusieurs tours du monde.
Ça ne vous a pas manqué de ne pas connaître en réel, de ressentir, ce dont vous avez parlé ?
Non. Il a échangé avec moi alors qu’il était en mer. Il m’a envoyé la correction de la moitié du livre pendant qu’il était au milieu de l’Atlantique, moi j’étais à terre.
Benoît GILLES
« Marc Thiercelin, le navigateur philosophe », entretiens avec Alexia Belleville. Editions Être et lire. 120 pages. 14,50 euros.
Une séance de dédicaces et des échanges avec Marc Thiercelin et Alexia Belleville est organisée ce samedi 23 novembre à 16h, à la libraire Prado Paradis. Inscription conseillée > ici