Ils sont jeunes, déterminés, et ont transformé leurs rêves d’enfants en réalité. Mehdi, 26 ans, et Merwan, 19 ans, originaires de La Castellane, ont tourné dans Gladiator 2, la suite du chef-d’œuvre de Ridley Scott. Une rare et belle histoire marseillaise, où le talent et le destin se rencontrent pour produire une épopée digne du grand écran.
C’est une rare et belle histoire. Une de celles que Marseille réserve parfois dans le secret de ses quartiers. « J’étais au restaurant quand mon téléphone sonne, raconte Mehdi, 26 ans. ‘Demain, tu fais quoi ? Tu es disponible ?’ Je réponds oui. Là, on me dit : ‘Prends ton billet d’avion’. Je demande : C’est pour quel film ? Et la réponse tombe : Gladiator 2. »
Depuis La Castellane, quartier souvent réduit à ses clichés, jusqu’aux plateaux bouillonnants d’action de Ridley Scott, Mehdi et Merwan Karamane ont tracé leur route grâce à leur talent et leur travail acharné. Deux frères devenus horse stunt dans des productions de renommée mondiale.
À peine sortis de l’adolescence pour l’un, déjà aguerris à la vie pour l’autre, ils incarnent l’épopée moderne d’une famille marseillaise. Un exploit qui n’a rien d’un hasard, mais tout d’un rêve mûri dès l’enfance.
Un héritage chevillé au corps
« Depuis petit, je voulais être comme Zorro« , confie Merwan, en riant, le regard animé par l’enfant qu’il a été. L’image du justicier masqué chevauchant les plaines n’était pas qu’un rêve : chez les Karamane, l’équitation est un héritage ancestral, transmis depuis les plaines d’Algérie. « Mon père et mon grand-père utilisaient les chevaux pour travailler. Ils transportaient du bois pour alimenter les boulangeries autour d’Alger« , raconte Chadly, leur père, avec une fierté tranquille, attablé dans un café du Vieux-Port.
En ce mois de novembre, sous le soleil éclatant qui baigne la ville d’une lumière presque estivale, ses souvenirs semblent encore plus vivants. « Nous avions une forêt familiale. Mon grand-père y coupait des fagots qu’il chargeait sur les chevaux pour les livrer dans toute la région. À cette époque, les chevaux n’étaient pas qu’un moyen de transport : ils étaient des compagnons indispensables, des piliers du quotidien. Mon arrière-grand-père, lui, était dresseur. C’était un véritable savoir-faire, transmis de génération en génération. »
Des arts martiaux aux plateaux de tournage
Outre leur amour des chevaux, les frères Karamane doivent une partie de leur réussite à leur maîtrise des arts martiaux, pratiqués dès leur plus jeune âge. « Mon père est maître en arts martiaux, on a grandi sur un tatami », poursuit Mehdi.
Cette discipline leur a donné une agilité et une maîtrise de soi qui, sans qu’ils le sachent, allaient un jour les propulser sous les projecteurs.
Un rêve équestre dans les quartiers Nord
C’est dans les quartiers Nord, sous les emblématiques lettres « Marseille », que leur ranch a vu le jour, à l’aube de l’aventure Foresta, il y a quelques années. Désormais relocalisé à Peypin, ce lieu emblématique continue de porter les traces indélébiles de son histoire dans les quartiers Nord, un chapitre gravé à jamais dans leur parcours.
Le tournant décisif de leur histoire est survenu de manière presque anodine, comme c’est souvent le cas dans les récits extraordinaires. « On devait juste aller acheter du foin pour les chevaux, une routine, rien de plus banal, se remémore Chadly. Ce jour-là, le GPS est tombé en panne. Perdus, on a demandé notre chemin à quelqu’un, qui nous a répondu : ‘Suivez cette route, vous trouverez un certain Jean-Charles Andrieux’ »
La rencontre qui change tout
Arrivés sur place, Mehdi et Merwan ne savent pas encore qu’ils s’apprêtent à croiser la route d’un homme qui va transformer leur vie. « On ne savait pas qui il était. Pour nous, c’était juste quelqu’un qui travaillait avec les chevaux », raconte Mehdi. Mais Jean-Charles Andrieux n’est pas n’importe qui.
Cascadeur équestre de renommée internationale, il a été doublure de Morgan Freeman et figure au générique de films mythiques comme Ben-Hur. Spécialiste de la voltige cosaque et fondateur des Cavaliers Voltigeurs de France, une troupe installée à Cadenet dans le Luberon, il s’est imposé comme une référence incontournable dans le monde des spectacles et des cascades équestres.
« Ça a été un véritable coup de cœur entre nous, confie Mehdi. Il nous a pris sous son aile. » Pour les deux frères, cette rencontre marque le début d’une aventure qui les propulsera bien au-delà de tout ce qu’ils avaient jamais imaginé.
Des productions prestigieuses
Jean-Charles Andrieux les forme aux techniques les plus spectaculaires : monter, descendre et même voler sur des chevaux lancés au galop. Leur initiation les conduit à des spectacles équestres comme Cléopâtre, puis à leur premier tournage avec la mini-série Et la montagne fleurira. Ils participent à Kaamelott, où leurs cascades apportent une touche marseillaise à l’univers médiéval d’Alexandre Astier.
Mais c’est leur rencontre avec Gérard Naprous, créateur des Devil’s Horsemen, qui les propulse dans une autre dimension. Avec Naprous, légende vivante des cascades équestres, les frères entrent dans un cercle très fermé. « Les Horse Masters, ce sont les chefs d’orchestre des scènes équestres », explique Mehdi. De Game of Thrones à Troie en passant par Highlander, Gérard Naprous et son équipe chorégraphient les batailles, préparent les chevaux et forment les acteurs.
« Travailler avec lui, c’est apprendre l’excellence », confie Merwan. « On a beaucoup appris à tomber, plaisantent-ils, mais quand on aime ce qu’on fait, ce n’est pas difficile. » Leur progression est fulgurante et c’est avec Gladiator 2 qu’ils atteignent une reconnaissance internationale, confirmant leur place parmi les meilleurs dans leur domaine.
Deux mois sous la direction de Ridley Scott
Ce fameux coup de téléphone, celui qui les propulse dans cette super-production, vient de “Charly”, alias Jean-Charles Andrieux. Direction le Maroc, puis Malte, pour deux mois de tournage sous la houlette d’un Ridley Scott exigeant. « Quand on arrive sur le tournage, c’est impressionnant, on perd un peu nos moyens au départ », avoue Merwan. Les conditions sont dignes d’un conte de fée : « On est logés dans des suites avec jacuzzi. On nous habille, nous maquille, nous nourris… et la seule consigne, c’est de ne pas se blesser », racontent-ils, la tête encore dans les étoiles.
Sur le plateau, ils côtoient des stars, dont Denzel Washington. « Il est simple, comme tout le monde », confie Mehdi. Mais le travail est intense. Ils participent à des scènes titanesques : batailles, charges de cavalerie, cortèges impériaux. « Une nuit, on était 500 figurants, 50 chevaux et des explosions partout. C’était surréaliste », raconte Mehdi.
Leur talent ne passe pas inaperçu : sur les trente cascadeurs initialement sélectionnés, seuls quinze sont retenus au final. Mehdi et Merwan figurent parmi eux, les plus jeunes d’un groupe de vétérans aguerris.
Une reconnaissance internationale mais les pieds sur terre
« Si on devait calculer les chances de voir une histoire comme la leur arriver, ce serait du zéro virgule zéro zéro un pour cent », poursuit Chadly, fiers de ses deux fils. Malgré un destin digne d’un scénario hollywoodien, les deux frères gardent les pieds sur terre, bien ancrés dans leur Marseille natale. « On est des purs produits marseillais », sourient-ils, comme un clin d’œil à leurs racines.
Si leurs prochains projets restent pour l’instant confidentiels, Mehdi s’est déjà imposé comme un expert recherché pour la préparation des chevaux de cinéma. « On nous confie parfois des chevaux pour des tournages, et même pour des grands professionnels du monde de la course, explique-t-il avec humilité. Sur un plateau, tout doit être impeccable, alors la confiance qu’on nous accorde, c’est une vraie fierté. »
Quant au film Gladiator 2, ils n’ont pas encore vu le résultat final. « On veut attendre pour y aller tous ensemble, avec toute la famille », confient ces jeunes passionnés. Une manière de célébrer, à leur façon, cette épopée qui les a propulsés des quartiers Nord de Marseille aux plus grandes arènes du cinéma mondial.
Narjasse KERBOUA