La masterclass qui a conduit le BMX français vers le triplé olympique

Le Cristolien Julien Sastre était à Marseille ces derniers jours, comme l'ensemble des sélectionneurs et managers français ayant disputé les Jeux olympiques et paralympiques 2024. Photo B.G.

Le sélectionneur du BMX Racing Julien Sastre a détaillé son projet qui a permis à Joris Daudet, Sylvain André et Romain Mahieu de monter sur le podium olympique le 2 août dernier.

Ces derniers jours, l’ensemble des sélectionneurs et/ou managers des différentes équipes de France olympiques et paralympiques ayant disputé les Jeux de Paris 2024 étaient réunis à Marseille.

A l’hôtel Mercure Vieux-Port, Jean-Aimé Toupane (basket féminin) a ainsi longuement discuté avec Guy Ontanon (para athlétisme), Quentin Coton (natation) est venu en voisin d’Antibes, Jérôme Daret (rugby à 7) ou encore Vincent Collet (basket masculin) étaient particulièrement attendus.

Tout ce beau monde était accueilli, mardi, par l’universitaire Pierre Dantin, pour ce qu’il a qualifié de « jubilé Â» du Plan Coachs 2024. Un dispositif créé par l’Agence nationale du sport (ANS) et qui a grandement participé à la réussite sportive des Tricolores lors des Jeux à la maison (64 médailles olympiques, 75 paralympiques).

Daudet, André et Mahieu, les « trois Mousquetaires ont fait la course parfaite Â»

L’occasion de faire un dernier bilan, avant de basculer sur une nouvelle Olympiade pour certains ou de voguer vers de nouveaux projets pour d’autres. Tables rondes et échanges sur le mode partage d’expérience ont rythmé cet ultime séminaire, dans la cité phocéenne, le tout dans une ambiance assurément bon enfant.

En marge de ce rassemblement autour de ceux qui ont conduit les athlètes français vers le succès cet été, le sélectionneur du BMX Racing Julien Sastre a accepté, pour Le Méridional, de revenir en détail sur l’un des exploits qui a marqué ces JO.

Et d’en expliquer sa genèse : le triplé masculin signé par le Bordelais Joris Daudet, le Cavaillonnais Sylvain André et le Sarriannais Romain Mahieu sur la piste de BMX à Saint-Quentin-en-Yvelines, le 2 août dernier. « Nos trois Mousquetaires ont fait la course parfaite », rappelle-t-il.

Un projet né de l’échec, « de la frustration et la blessure Â» des Jeux de Tokyo

Cent ans, soit depuis 1924, que le sport français n’avait plus placé trois de ses athlètes sur le podium aux JO d’été ! « Le projet de triplé est né de discussions avec Pierre Dantin lors de ces séminaires de l’ANS, explique Sastre, en poste depuis dix ans. On s’était dit qu’il fallait trouver un objectif un peu fou qui puisse les amener à se sublimer. Quelque chose d’un peu fou, mais réalisable. Â»

L’ambition de victoire est née de l’échec, « de la frustration et la blessure que les JO de Tokyo ont pu générer Â», rembobine-t-il. Avec le même trio, en lice et en finale, les Bleus avaient fait un zéro pointé en 2021. « Ã‡a reste une plaie ouverte à jamais, même si Paris l’a pansée un peu, confie Sastre. Il a fallu des mois, une année presque, pour digérer et transformer cette frustration en carburant. Â»

« Au lieu d’être un frein, il fallait que l’esprit d’équipe devienne un boost. Nous devions aller de la collaboration à la coopération Â»

Avec des champions du monde dans son groupe (Joris Daudet 2011 et 2016, Sylvain André 2018, puis Romain Mahieu en 2023), le sélectionneur français savait, « en tout humilité » et à raison, qu’il avait sous ses yeux « la meilleure équipe » de la planète. Des médaillés olympiques en puissance, à condition de courir en bonne intelligence. « Il fallait passer la vitesse supérieure : au lieu d’être un frein, il fallait que l’esprit d’équipe devienne un boost. Nous devions aller de la collaboration à la coopération », explique le jeune quadragénaire.

Sauf que, « la première chose qui meurt à la guerre, c’est le plan de bataille Â», dit le dicton. « Et c’est encore plus vrai en BMX, ajoute ce dernier. Alors le but était faire fructifier le talent, le mettre en musique et faire en sorte que la musique soit la plus harmonieuse possible. Â»

Diffuser « une espèce de contagion positive et ambitieuse Â»

Le sélectionneur a donc utilisé deux leviers pour permettre à la somme des individualités de réussir à rouler de concert et atteindre un niveau encore supérieur à la concurrence : l’exigence du très haut niveau au moment d’établir la sélection et diffuser « une espèce de contagion positive et ambitieuse Â». Soit la fameuse « prophétie autoréalisatrice Â» très chère à Pierre Dantin.

Encore fallait-il réussir à convaincre les pilotes du bien fondé de cette méthode. « J’ai dû semer la graine, fonctionner comme une contagion en cercles concentriques », explique Julien Sastre. Il a commencé à en parler au staff de l’équipe de France, puis aux entraîneurs. « Ça a créé une dynamique pour pousser dans l’objectif commun », a-t-il remarqué.

Puis le but a été partagé aux familles des pilotes, aux médias dès le mois d’avril 2023, ce qui a permis la diffusion auprès du grand public… « Les sportifs se retrouvent dans un environnement qui ne leur parle que de triplé. C’était prendre le pari qu’ils n’avaient plus le choix », résume Sastre.

Julien Sastre
Photo B.G.

« Le dire sans mettre la pression, sans surjouer. Rappeler qu’ils en étaient capables Â»

Une tactique à long terme qui aurait pu se révéler inhibante, voire contre-productive. « Le but était de le dire sans mettre la pression, sans surjouer. Rappeler qu’ils en étaient capables (Daudet fut encore champion du monde en mai 2024, André 3e) et qu’ils s’en saisissent au moment opportun », dit encore le sélectionneur tricolore, proche de ses coureurs qu’il côtoie depuis plus de vingt ans.

La mise en Å“uvre aurait pu se heurter à la réalité du terrain, au risque de gamelle qui se fait jour à chaque virage, lancé à pleine vitesse. Encore plus en finale olympique, alors que rodaient encore les fantômes de Tokyo… « Il ne fallait pas qu’ils se gênent dans le premier virage ; on sait que c’est là où il peut y avoir le plus de chutes. Â»

« L’ambition collective s’est mise au service des ambitions individuelles, et pas l’inverse ! Â»

Arrivés tous les trois devant en fin de première ligne droite, Daudet, André et Mahieu ont eu l’intelligence de s’éviter. « Dans notre sport, on sait alors qu’il y a de fortes chances que ça ne bouge pas trop jusqu’à l’arrivée. Ils ont fait un travail phénoménal. Tout le monde ce jour-là, pilote et staff, était sur la même longueur d’onde. Â»

Ce qui a donné, trente secondes plus tard, cette photo mémorable, où les deux premiers se retournent, au moment de franchir la ligne, pour s’assurer que Mahieu complétait bien le podium… Ou comment « l’ambition collective s’est mise au service des ambitions individuelles, et pas l’inverse ! Â», félicite encore Julien Sastre.

Juste avant les JO, ils ont rentrée les héros du triplé en skicross en 2014 à Sotchi

Dans les dernières semaines de préparation, ce collectif a « baigné dans une atmosphère de réussite olympique pour vaincre la malédiction Â» du BMX français aux JO (aucune médaille depuis l’intégration de la discipline en 2008) : Claude Onesta, Florian Rousseau, Anne-Caroline Chausson ou encore Guillaume Gille s’étaient relayés pour partager leur expérience.

Surtout, les « trois Mousquetaires Â» ont rencontré en fin de préparation olympique, en juin à Sarrians, Jean-Frédéric Chapuis, Arnaud Bovolenta et Jonathan Midol. Ça ne vous dit rien ? Ils avaient pourtant réalisé le dernier triplé français aux JO (d’hiver), en skicross à Sotchi 2014. Tout un symbole.

Une masterclass de management et de leadership qui fera date

Les trois pilotes seront « liés à jamais Â», comme ils l’ont déclaré à chaud ce soir-là de début août. Le sélectionneur, qui avait annoncé avant les Jeux arrêter sa mission quel que soit le résultat, en retire aujourd’hui « une grande fierté et un sentiment de mission accomplie Â». Une masterclass qui fera date.

« Je devais amener l’équipe à un endroit où elle ne se pensait pas capable d’aller au départ, conclut-il. Surtout, faire en sorte que les acteurs aient le sentiment d’y aller par eux-mêmes. C’était ça le défi. Si j’avais dû l’imposer, ça ne serait jamais arrivé. Â»

Benoît GILLES

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