Épisode 2 – Après avoir tiré sa révérence comme sélectionneur de l’équipe de France, Vincent Collet a rejoint les bancs de la NBA en tant que consultant des Cavaliers de Cleveland. Dans ce second volet, le coach livre son regard sur les évolutions du basket français, son expérience en NBA et les espoirs d’une nouvelle génération de talents.
Trois mois après la fin des Jeux olympiques en France, Vincent Collet est à Marseille depuis mardi et jusqu’à jeudi 14 novembre, pour assister à l’ultime séminaire du Plan Coachs en compagnie de ses collègues sélectionneurs français qui ont disputé les Jeux olympiques et paralympiques d’été à Paris 2024.
Un dispositif mis en place dès 2020 par la cellule haute performance (jusqu’ici dirigée par Claude Onesta) de l’Agence nationale du sport. Dans une longue et passionnante interview au Méridional, le désormais ancien sélectionneur de l’équipe de France masculine de basket (2009-2024) affirme que ce dispositif a « contribué de façon importante aux résultats » du sport tricolore cet été.
L’ancien entraîneur de Strasbourg ou des Mets (61 ans), aujourd’hui consultant pour les Cleveland Cavaliers, revient en détail sur ces JO achevés, comme ceux de Tokyo en 2021, sur une médaille d’argent. Lui avait été désigné meilleur coach. Un honneur ponctuant une carrière faites de record chez les Bleus : huit médailles en quatorze campagnes, 16 succès en 24 matches aux JO, 253 rencontres dirigées, 179 succès. La suite de notre entretien…
Durant les JO, la cellule haute performance de l’ANS dirigée alors par Claude Onesta, avait installé une sorte de ligne directe entre l’universitaire marseillais Pierre Dantin (conseiller spécial auprès de l’ex-ministre des Sports, Laura Flessel) et les coachs, pour répondre à tous les besoins, notamment en cas d’urgence. Vous en êtes-vous servi ?
Bien sûr, et pour deux raisons : pour l’ANS mais aussi par simple amitié pour Pierre. J’étais en communication régulière, j’ai même vu Claude au lendemain de notre catastrophe contre l’Allemagne (dernière rencontre de la phase de poule à Villeneuve d’Ascq). Il m’a répété qu’il ne fallait surtout pas perdre le cap, que tout était devant nous, que l’histoire commençait à s’écrire à partir du match contre le Canada en quart de finale (remporté 82-73 à Bercy).
L’adversaire était peut-être plus fort que ce que l’on aurait pu avoir si on avait mieux réussi le premier tour, mais il était battable. Il ne tenait qu’à nous de mettre les ingrédients nécessaires pour faire ce qu’il fallait.
« Ce sont les joueurs qui sont sur le terrain, mais le coach donne la bonne direction, à partir de son énergie »
Ses mots vous ont rassuré ?
Oui, et ça donne de la force, de l’énergie ; c’est essentiel. Le coach peut insuffler cette énergie à ses joueurs. Comme je le disais, ce sont les joueurs qui sont sur le terrain, mais le coach donne la bonne direction, à partir de son énergie. Ce que j’aime avec Pierre (Dantin), c’est qu’il n’a pas besoin d’en dire beaucoup, mais les mots sont forts, ils portent et permettent de trouver la bonne direction.
Vous étiez l’un des sélectionneurs français les plus expérimentés de cette Olympiade…
(Il coupe) Malheureusement.
Justement, c’est ma question : avez-vous su transmettre, peut-être inspirer, de jeunes coachs ? Avez-vous reçu de « l’aide » de votre côté ?
Evidemment ! Les multiples séminaires de ces dernières années ont été conçus un peu à l’image de ce que j’ai pu connaître, par chance, à l’Académie des Coachs. C’était un vrai partage d’expérience entre tous.
J’étais favorablement étonné, impressionné même, par l’évolution de ce groupe de coachs au fil des séminaires. C’est très hétéroclite, il y a des sports qui ne bénéficiaient pas de beaucoup de moyens et pour eux, je pense que c’était vraiment une aubaine, une opportunité incroyable.
A l’époque où les séminaires ont commencé, je travaillais déjà avec un coach mental, grâce à ma Fédération, mais ça pouvait ne pas être le cas pour beaucoup de mes collègues dans d’autres sports. Ça nous a permis aux uns et aux autres de s’enrichir des difficultés que chacun peut rencontrer dans ses pratiques. Ça a été positif pour tout le monde, certainement à des degrés et des stades divers. Mais aucun d’entre nous ne peut dire que ça ne lui a pas apporté quelque chose.
Dans nos pratiques, on est souvent isolés, même si on peut avoir un staff parfois très élargi, en l’occurrence c’était mon cas. Mais ça ne remplace pas ce partage-là , avec des gens qui connaissent vos difficultés, qui sont empreints aux mêmes questionnements.
Ça nous permet d’être un peu moins seul et d’aller piocher par ci par là une idée que l’on pourra utiliser plus tard. Quand on est dans le feu de l’action, c’est à nous de prendre les décisions et faire en sorte qu’elles soient positives.
Y a-t-il des discussions précises qui vous ont permis de progresser, de trouver des clés ?
On faisait des tables rondes, on a aussi eu beaucoup de travail en groupes. On a fait des sessions de codéveloppement avec Ikhlas Bidau (coach et préparatrice mentale spécialisée dans l’intelligence émotionnelle et la communication).
Je me suis retrouvée avec le sélectionneur du cyclisme sur piste (l’ancien sprinteur neuf fois champion du monde Grégory Baugé), j’ai aussi souvent échangé avec les gens du triathlon… On n’a pas forcément les mêmes problèmes mais au final, il y a quand même des choses qui se ressemblent beaucoup parce qu’on parle toujours de l’humain.
Là où le coach a le plus d’influence, c’est sur les ressorts de la motivation, comment on accompagne les athlètes. C’est à nous de trouver des solutions pour que nos sportifs puissent donner le meilleur d’eux-mêmes.
« Voir le rugby et Léon Marchand gagner, ça a renforcé notre détermination et l’envie de connaître les mêmes émotions »
Regardiez-vous les compétitions de vos confrères pendant les JO ? Les victoires vous boostaient et leurs défaites vous impactaient ?
Totalement. Durant la première semaine de compétition, nous étions logés au Creps de Wattignies (pour jouer au stade Pierre-Mauroy). A côté de la salle médicale, on avait une salle de repos avec une télé. Souvent, on y regardait souvent les épreuves.
Ça a commencé avec le rugby à 7 (première médaille d’or le samedi 27 juillet, au lendemain de la cérémonie d’ouverture) ; ils ont lancé cette dynamique positive. Ce n’était pas forcément attendu qu’ils soient champions olympiques.
Derrière, il y a eu Léon Marchand ; le jour de ses deux médailles d’or consécutives (200m papillon puis 200m brasse), on a regardé avec le staff et joueurs, on était tous ensemble, tous fous. Clairement, ça donne envie.
Je ne vais pas dire qu’en arrivant, on n’a pas déjà envie, parce qu’on sait pourquoi on est là , mais ça renforce encore cette détermination et l’envie de connaître les mêmes émotions.
Vous avez quitté votre poste de sélectionneur début septembre. Depuis, vous avez été nommé conseiller de la Direction technique nationale de la FFBB, mais aussi consultant pour les Cleveland Cavaliers en NBA auprès du coach Kenny Atkinson, qui était votre adjoint en équipe de France cet été. Comment ça se passe ?
Je suis déjà allé à Cleveland et j’y retourne la semaine prochaine. Je vais m’y rendre à peu près tous les mois. Je regarde tous les matches des Cavs qui font un début de saison incroyable (invaincus en douze matchs), c’est très bien pour Kenny. Je ne sais pas si ça va durer, mais jusqu’ici, c’est impressionnant.
Vous aviez déjà effectué une Summer league en 2007. Cette fois, vous vivez de l’intérieur la saison NBA.
C’est un autre monde. Ça n’a rien à voir. Avant j’y allais aussi comme visiteur ponctuellement, là j’ai déjà passé une dizaine de jours en présaison, j’étais immergé, je vivais comme un assistant, j’étais à tous les entraînements, à toutes les réunions de coachs.
C’est impressionnant : il y a une quinzaine de coachs pour l’équipe ! Ça reste une expérience intéressante qui permet de voir comment ça se passe à l’intérieur. Ça ne sert à rien de comparer (avec la Pro A ou un rôle de sélectionneur).
« La génération qui arrive est probablement encore plus forte que la précédente. Le basket français a quelques belles années devant lui »
Ambitionnez-vous d’être un jour le premier coach principal français en NBA ?
Non. Je ne pense pas que ce soit vraiment possible. Peut-être que ça arrivera, mais ça pourrait être intéressant d’occuper un rôle plein d’assistant.
Alors que la NBA s’est internationalisée en accueillant de plus en plus de joueurs étrangers, les portes n’ont pas encore été ouvertes pour les entraîneurs…
Je l’ai mesuré en arrivant à Cleveland. Il y a beaucoup de protectionnisme, ça se ressent. Mais j’ai vu au fil des jours que le regard changeait de la part des autres coaches ; c’était aussi impulsé par Kenny, qui m’a installé. Il faut prendre du recul sur ce sujet. On verra bien. Cette position (de consultant) pourrait me permettre d’évoluer. Je vais déjà essayer de profiter de cette situation et de la vivre pleinement.
Pensez-vous que votre parcours et celui de Valérie Garnier (lauréate de l’Euroligue et de la Supercoupe européenne en 2024, avec le club turc de Fenerbahce) vont permettre de réhabiliter les coachs français dans le milieu du basket ?
On voit qu’il y a une vraie progression des coaches au sein du basket français, à l’instar de la progression de notre basket de club. Ce sera un élément pour que nos entraîneurs puissent gravir les échelons. C’est souvent lié. Les résultats, c’est ce qui permet aux coachs d’évoluer.
Pendant longtemps, on n’arrivait pas à performer dans les coupes européennes, alors vous êtes rapidement catalogués. Autre élément important, peu de coachs ont réussi à s’exporter (dans des championnat à l’étranger).
Mais je pense qu’il va y avoir une évolution. On voit émerger des jeunes coaches, comme Julien Mahé (Saint-Quentin) ou Guillaume Vizade (Le Mans). D’autres arrivent aussi en Pro B. On peut espérer une amélioration de la situation, en tout cas c’est ce que je souhaite.
On voit aussi une génération de joueurs émerger au top niveau : les premiers pas de Zaccharie Risacher (N.1 de la Draft 2024) avec Atlanta sont saisissants, Victor Wembanyama deviendra à coup sûr l’un des meilleurs joueurs du monde dans les années à venir.
La génération qui arrive est probablement encore plus forte que la précédente. On peut se dire que le basket français a quelques belles années devant lui.
Benoît GILLES
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