Le plan « Marseille en grand“, lancé avec la promesse de transformer les écoles vétustes de la ville, s’enlise-t-il dans des querelles politiques et une bureaucratie lourde ? Un débat, organisé par le collectif Une Génération pour Marseille, éclaire les obstacles de ce chantier colossal.
À Marseille, on a l’habitude des grands mots, des déclarations enflammées, des espoirs inlassablement trahis. Alors quand le plan « Marseille en grand » a été lancé avec tambours et trompettes pour sauver les écoles, certains se sont dit que cette fois, peut-être, les choses allaient enfin changer.
Pourtant, trois ans après l’annonce de ce projet ambitieux initié par Emmanuel Macron pour transformer des établissements vieillissants, le bilan déçoit ceux qui espéraient un renouveau. Et le rapport accablant de la Chambre régionale des comptes n’a fait qu’enfoncer le clou.
La première soirée de débats « Et si on s’en parlait ? », organisée par le collectif Une Génération pour Marseille, vendredi dernier, se voulait constructive, en s’attaquant à ce sujet ô combien sensible : le plan des écoles de Marseille à 1,5 Md€.
Et avant même d’ouvrir cette séquence, la présence d’un des intervenants a fait jaser : Christophe Pierrel, ancien directeur de cabinet de Michèle Rubirola et ex-directeur général adjoint de la Ville de Marseille en charge du Plan Écoles.
Le débat pour trouver des solutions
Mettre le doigt là où ça fait mal n’est pas un luxe, car l’objectif de ces nouvelles rencontres est d’ouvrir le débat et au-delà , « d’arriver par la discussion, par l’écoute, par le dialogue, à trouver des voies de solution, lance en préambule Romain Simmarano, co-fondateur du collectif. C’est d’arriver à sortir de ces événements-là avec quelques idées derrière la tête, qui permettront de façonner pour 2026 un véritable programme. »
Mais pas un programme « sur un plan purement électoraliste ou politicien », précise le directeur de cabinet de Renaud Muselier. « Un programme dans le sens le plus noble : la résolution des problèmes, donner une perspective aux Marseillais et la capacité à envisager le Marseille de demain, en 2030, 2050. »
Le collectif se dit même prêt aux grandes engueulades : « À tout moment, on va tomber sur des gens qui vont nous dire l’exact inverse de ce qu’on pense. Tant mieux ! On est là pour éprouver quelque chose de neuf, sans prétendre être révolutionnaire, mais animé de cet instinct de révolte. »
L’école, otage des querelles partisanes
Ce soir-là , pas de clash, pas de noms d’oiseaux dans les murs de l’Épopée, là où l’inscription « le droit de rêver et le pouvoir de le faire » est gravée en toutes lettres, comme pour rappeler « qu’on doit être capables de rêver en grand pour imaginer des perspectives à long terme », plaide Sandra Blanchard, co-fondatrice du collectif et ancienne directrice de campagne de Sabrina Agresti-Roubache.
Si l’ancienne secrétaire d’État chargée de ce plan intervenait en visio depuis Paris, elle n’a pas manqué de défendre cette ambition, rappelant les différentes étapes et la sanctuarisation des crédits.
Malgré cette défense du projet depuis la capitale, les voix du terrain, elles, résonnaient différemment. Parmi les intervenants, Patricia De Jesus, directrice de l’école de Montolivet, et Lionel Royer-Perreaut, ancien député (Renaissance) et conseiller municipal, ont exposé sans détour les dysfonctionnements d’un système englué dans des querelles politiciennes, où la bureaucratie tourne à vide et où les véritables acteurs du terrain – enseignants et directeurs d’écoles – n’ont pas le droit de regard sur les décisions qui les concernent.
Pour Christophe Pierrel, l’objectif de cette soirée était de rappeler que « l’école n’est ni de droite ni de gauche » et que Marseille devrait voir ses écoles comme un bien commun, au-dessus des clivages partisans. En tant qu’ancien directeur général adjoint chargé du Plan Écoles, il dresse un tableau sombre de l’état des bâtiments scolaires.
Toitures défaillantes, sanitaires vétustes, infiltrations : une réalité héritée de l’ère Gaudin, qu’il dénonce sans détour, devant un parterre d’élus et de sympathisants de droite, avec même, en coin de salle, quelques figures de la municipalité actuelle venus prendre le pouls de l’opposition.
La liste initiale de 174 écoles à rénover avait été élaborée sur des « critères techniques et clairs », pour prioriser en fonction de l’état des bâtiments et des besoins de chaque quartier. Mais, glisse Christophe Pierrel, « on est passé de 174 écoles à 188 » (d’ici à 2032), signe selon lui d’un glissement politique où l’objectivité s’est dissoute dans des ajustements électoraux.
Il critique une dérive qui, selon lui, affaiblit l’ambition initiale. « Nous avions planifié 174 écoles rénovées en dix ans, mais seules 27 % seront prêtes d’ici la fin du mandat actuel. À ce rythme, il faudra quatre mandats pour finir le travail. » L’ex-DGA rappelle aussi que certaines des écoles récemment sorties de terre trouvent leur origine dans des plans de la mandature Gaudin (Les Abeilles, Marceau, Jolie Manon, Capelette), pointant une politisation excessive du dossier.
Une gestion en panne et des inégalités territoriales
Patricia De Jesus, directrice de l’école de Montolivet, témoigne des difficultés de gestion auxquelles elle est confrontée. Son école, pourtant inscrite au plan, semble en avoir été retirée sans explication.
Elle décrit un quotidien où les équipements défaillent, où les alarmes incendie retentissent sans intervention et où les demandes de travaux restent sans réponse. « Nous n’avons plus de référents pour le suivi des travaux. Aujourd’hui, il faut passer par un logiciel, et il n’y a jamais de retour. »
Ce constat s’étend aux fournitures scolaires, avec des retards de livraison tels que les enseignants doivent parfois acheter le matériel eux-mêmes.
Lionel Royer-Perreaut critique l’inéquité territoriale dans la priorisation des écoles. « Benoît Payan n’est pas le maire de toute la ville, il est le maire d’une partie de Marseille, de celle qui a voté pour lui, déplore-t-il. Des établissements des 9e et 10e arrondissements, pourtant en grande difficulté, ne sont même pas prioritaires », lance l’ancien maire de secteur.
Pour l’élu, cette absence de vision équitable nuit à l’ensemble du projet. « Nous avons un problème de gouvernance. Marseille fonctionne en silo, et ça freine tout. » Il appelle à une approche plus inclusive pour que chaque secteur bénéficie des mêmes chances de rénovation.
Une société publique… à huis clos ?
Et ce n’est pas tout, car pour sa première apparition publique depuis sa défaite aux dernières élections législatives, l’ancien parlementaire avait beaucoup à dire. La Société publique des écoles marseillaises (SPEM) – associant Ville et État – afin de structurer les chantiers, « est contrôlée » uniquement par des élus de la majorité, sans droit de regard pour les maires de secteur ni pour l’opposition. « Où est la démocratie dans cette affaire ? », fustige Royer-Perreaut.
Il poursuit : « Croyez-vous normal que, pour porter une politique publique, on soit obligés de créer une société publique ? Mais il n’y a qu’à Marseille qu’on voit ça, excusez-moi. D’abord parce que nous avons déjà sur le territoire des sociétés publiques qui pourraient être activées. »
Un espoir à contre-courant des embûches
La critique est acerbe, mais elle reflète le casse-tête politique d’une ville où les rouages s’enrayent et où maintenir l’optimisme relève presque de l’exploit. Pourtant, face aux obstacles bureaucratiques et aux querelles partisanes, certains appellent encore à l’espoir, comme Romain Simmarano. « Conserver l’espoir et ne rien lâcher est vital. Cela implique de bousculer les choses, d’admettre peut-être nos ratés, mais surtout de limiter les pertes dans les mois à venir. Qu’on ait fait les choses correctement ou pas, soyons porteurs d’espoir », lance-t-il, rappelant un chiffre clé : 5 milliards d’euros, le montant total du plan « Marseille en grand ».
Et, coïncidence ou parfait timing politique, Benoît Payan, le maire de Marseille, s’apprête à inaugurer une nouvelle école, Malpassé Les Oliviers (13e), ce samedi 16 novembre. Ce groupe scolaire devrait avoir onze classes maternelles edix-huit classes élémentaires, avec un gymnase de 800 m2 ouvert sur le quartier, pour un coût total de plus de 16 Md€.
Une école de plus certes – dont le chantier a été lancé durant le mandat éclair de Michèle Rubirola – symbole d’un plan ambitieux… mais qui, pour beaucoup, avance à la vitesse d’un chantier sans fin. Mais derrière chaque cérémonie, une question persiste : combien d’écoles seront véritablement prêtes à accueillir les élèves avant la fin du mandat ?
Le collectif, lui, ne compte pas en rester là . Sa prochaine rencontre se tiendra le 12 décembre. Un autre défi, tout aussi sensible, y sera abordé : la sécurité.
Dans une ville où chaque projet semble freiné par des réalités bien plus complexes que les promesses, le collectif espère que cette nouvelle discussion ira au-delà des constats d’échec pour envisager des solutions concrètes. Car si Marseille peut encore rêver d’avenir, elle devra d’abord s’assurer que ses rues et ses écoles restent des lieux où l’on se sent en paix.
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